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19 mars 2024

Interview de Jacques Borde sur la Libye, la résistance et la reconquête


Libye – Bienvenue dans la « Somalie de la Sarkozie » !

Q – L’Otan et ses alliés n’ont-ils pas crié victoire trop tôt après la chute de Tripoli ?

Jacques Borde – Assurément. C’est une évidence ! Ce d’autant que si Tripoli a été prise, et si l’essentiel des villes du pays sont bien en train de passer dans le camp des insurgés pro-occidentaux, cette mainmise n’est, encore aujourd’hui, que partielle. Rien ne nous dit, d’ailleurs, qu’elle puisse être, à court et moyen terme, autre chose ! Certains sites et repassant même pour un temps sous le contrôle de la Résistance kadhafiste. Comme cela a été le cas pour pour Ras-Lanouf et Bréga. Or, évidemment, ça n’est pas comme ça qu’on se remplit le mieux les poches ! Du coup, du côté des dépeceurs (occidentaux) de la Libye, et en dépit des apparences, le moral n’est pas au beau fixe. Loin de là. Mais, ça n’est pas moi qui en parle le mieux, mais l’un des plus forcenés interventionnistes sur ce dossier. J’ai nommé le controversé – et assez peu à sa place – ministre français de la Défense, Gérard Longuet.

Q – Par « assez peu à sa place », vous voulez dire peu compétent ?

Jacques Borde – Oui. Pour ne pas dire complètement dépassé. L’ancien d’Occident1, ressorti du placard par Nicolas Sarkozy, a – par ses propos de plus en plus creux, son manque de vision à long terme, sa piètre connaissance des choses militaires – démontré qu’il n’avait rien à faire à la tête d’un ministère de force, comme disaient les Soviétiques, aussi important que celui de la Défense.

Q – Militairement parlant, la situation n’est pas stabilisée ?

Jacques Borde – Tout dépend de ce que vous entendez par stabilisation. Bien sûr, si – comme à Kaboul – contrôler une partie du pays suffit à vos ambitions, oui ! Évidemment, si vous entendez remettre en route l’économie libyenne, pour vous en mettre plein les poches, là, non !

Q – Pourquoi cela ?

Jacques Borde – Parce que, territorialement parlant, le nouveau pouvoir ne contrôle pas grand-chose. Et fort mal, en plus. Au point – c’est Allain Jules qui s’en fait l’écho sur lavoixdelalibye.co – qu’un chef d’État, partie au conflit aurait dit aux insurgés occidentaux : « Si on tue tous les Libyens, vous pensez gouverner des arbres (…) ? L’heure pour la paix a sonné et vous avez la responsabilité de pacifier votre pays au lieu de compter sur les armes ».

Contrairement aux allégations du CNT, Khamis Kadhafi, est, bel et bien, vivant. Il a même donné au CNT, à côté de ses entretiens réguliers à des media arabes, un ultimatum pour quitter… Tripoli ! Évidemment, c’est, avant tout, de la guerre psychologique. Mais, imaginez l’effet, sur une population à qui on ne cesse d’annoncer sa mort tous les deux ou trois jours !

Q – Quid des engagements sur le terrain ?

Jacques Borde – Dans la capitale, il y a eu des attaques visant les bureaux, officieux, de l’Otan et de la CIA, et du CNT. Tout cela ne fait pas très sérieux de la part d’autorités qui demandent qu’on leur confie les milliards confisqués à la Libye. Pire, Misrata, si affrontements il y a, ceux-ci se déroulent entre fractions rebelles. Sans parler d’action de la, désormais, Résistance loyaliste.

À Benghazi, il n’est même pas certain que Moustapha Abdeljalil soit, de manière permanente, là où il affirme être. On le comprend : une fatwa contre sa personne a été émise. Il va, à terme, sans doute, faire comme Karzaï à Kaboul : s’offrir – si l’Occident, bien sûr, lui en donne les moyens – une garde prétorienne. Des Contractors qu’il lui faudra, probablement, payer rubis sur l’ongle. La privatisation de la guerre reste, avant tout, un business !

Q – Mais Benghazi est sous contrôle du CNT, non ?

Jacques Borde – Pour partie, seulement. Les plus pessimistes – mais ce sont les plus pessimistes, évidemment – affirment que 50% des quartiers de la vile échappent aux insurgés pro-occidentaux. Qui, de toute manière, ne s’entendent pas entre eux. Là, c’est Beyrouth, années 70-80 ! Dans certains quartiers, le drapeau vert est, à nouveau, hissé. Sans; bien sûr, qu’on sache qu’il s’agit de véritables ralliements ou de simples provocations. Beyrouth, je vous dis !

À Zawiya, le dépôt d’armes et de munitions installé par l’Otan, fort mal gardé par les insurgés pro-occidentaux, a été « visité » (sic), par les loyalistes qui ont récupéré nombre d’armes. En fait, dans la région, la seule véritable zone réellement sous contrôle insurgé est l’Aéroport de Tripoli. Quelque part, tout cela rappelle confusément le Liban (des années 80) où les différents camps se servaient allègrement dans les stocks mis à disposition de l’Armée libanaise par les États-Unis. Mais, aussi, Bagdad, où, longtemps, les seules zones véritablement sous contrôle des l’occupant, étaient l’aéroport et la Zone verte. Point barre !

Q – Pour vous, quel est le plus gros problèmes du nouveau pouvoir ?

Jacques Borde – Au plan militaire, vous voulez dire ? Le problème des effectifs. Les insurgés n’ont jamais eu vraiment de forces régulières. Si vous voulez, cela rappelle – toutes proportions gardées, bien sûr – la Vendée militaire, où des irréguliers, certes motivés, prenaient les armes mais repartaient chez eux, quand bon leur semblait. Il y a bien des combattants. Mais pas d’unités régulières et enrégimentées. Ou beaucoup trop peu. Quant à l’expérience !… Et puis, contrairement aux Vendéens, il n’y a guère de chefs militaires dignes de ce nom.

Un exemple significatif vous permettra de mieux comprendre. Quelques 1.000 combattants du CNT sont toujours introuvables depuis les revers enregistrés à Syrte et Bani Walid. Ce ne sont pas des tués ou des blessés, dans leur majorité. Ni même des déserteurs, au sens de troupiers régnicoles délaissant les rangs d’unités militaires traditionnelles aux effectifs et missions clairement définis. Mais des gens qui ont dû, tout simplement, rentrer chez eux ! Normal, après HUIT mois de conflit (mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre). Conscient de la chose, le CNT voudrait bien recruter des….mercenaires. Mais, là, chasse gardée ! C’est Washington qui décide de l’implication des Sociétés militaires privées (SMP) !

Q – Et Syrte ?

Jacques Borde – L’intéressant, à Syrte, est que les Otaniens y commettent strictement les exactions qu’ils prétendaient – je parle, là, des raisons officiellement avancées à la via vactis sur la Libye, bien sûr – empêcher à Benghazi. À savoir l’épuration politico-ethnique de la ville. Même l’hôpital de la ville aurait vu son alimentation en eau coupée suite aux Guernica des armées de l’air occidentales.

Q – Et Kadhafi ?

Jacques Borde – Après avoir affirmé que Kadhafi se trouvait, sans autre précisions, à Gadhamès, retranché dans la mosquée de la ville, le CNT a demandé à l’Otan de bombarder le site ! Les Otaniens ont, bien évidemment, refusé ! Craignant, surtout, que les loyalistes ne choisissent, alors, de passer en Tunisie et/ou en Algérie, toutes proches…

Q – Sinon, qu’a donc dit Longuet sur la Libye ?

Jacques Borde – Peu de choses sensées en vérité. Mais, avec une naïveté désarmante, il nous a, malgré lui, fourni un compte-rendu, des plus révélateurs, de la récente réunion des ministres de la Défense de l’Union européenne à Wroclaw (Pologne), où, selon lui, l’ambiance était « un peu pesante »2. En fait, au sortir du dîner, Gérard Longuet, s’est confié à quelques journalistes, dont Bruxelles2.eu. À l’entendre, la réunion avait un côté assez surréaliste. « On avait l’impression, à entendre l’ordre du jour, qu’il ne s’était rien passé »3.

Q – Diable, rien passé en Libye ! Le constat est amer ?

Jacques Borde – Amer, mais pas aussi faux qu’il pourrait paraître. En effet, que nous dit encore le Longuet-à-la-triste figure ? Que « La plupart des pays n’ont pas joué de rôle dans la Libye. Et chacun regardait un peu ses chaussures – sauf la France, les Britanniques, la Belgique… les Pays-Bas – en se disant qu’ils étaient passés, à un moment, à côté de l’histoire, se demandant comment ils pourraient faire maintenant, sans vraiment savoir comment faire »4.

Passons sur le couplet de « passés (…) à côté de l’Histoire », qui n’est jamais qu’une forme d’onanisme géopolitique aggravé, dont nous laissons l’entière responsabilité à ceux qui s’y prêtent. Quelques-uns ont, à l’évidence, revisité la via factis otanienne sur la Libye, comme un occasion de revivre, à revers, leurs fantasmes les plus rances de l’aventure algérienne. Hélas, que leur dire ? Sinon que la Libye de 2011 n’a que peu de rapport avec que que fut la Guerre (dite) d’Algérie.

Mais que nous rappellent les propos de Longuet ? Qu’à l’évidence :

1.Du point de vue de ceux qui se sont jetés, un peu vite, sur la proie libyenne, il ne s’est, effectivement, « rien passé » ! Ou, pour le moins RIEN passé comme prévu. Dans la mesure où RIEN n’est réglé en Libye. Au point que l’Otan a dû prolonger ses opérations d’un trimestre supplémentaire. Cela sans jamais dire que ce trimestre permettrait de clore le dossier libyen aux mieux des ses dépeceurs. Oui. De ce point de vue-là, il ne s’est « rien passé » en Libye…

2.Du côté, des convives aux agapes de Wroclaw, l’ambiance avait, effectivement, de quoi être « pesante » ; privés qu’ils étaient, à l a fois, de leur plat de résistance et de leur dessert : le pétrole, le gaz et l’eau libyens. Et, pour ceux, s’étant joints (un peu vite) à la curée, la perspective de continuer des opérations militaires assez douteuses, à l’éclairage d’insurgés pro-occidentaux, rentrant chez eux – qui à Benghazi, qui à Misrata – au motif que les loyalistes leur tendent de coûteuses embuscades. Évidemment, lorsque les mots-clés revenant sur le tapis, sont « enlisement », « bourbier », le convive a moins l’esprit à la fête…

3.« La plupart des pays n’ont pas joué de rôle dans la Libye ». L’avantage des incapables est qu’il sont, souvent, aussi des candides. Et, là, tirons notre chapeau à Gérard Longuet ! Eh, oui ! Merci de nous rappeler que la Guerre Libye n’est pas celle de l’Europe dans son entier, mais seulement celle d’une poignée d’État (moins de CINQ sur VINGT-SEPT), auxquels il convient d’ajouter les deux monarchies – comprendre tout sauf des démocraties – qatarie et émiratie (ou émirienne). Et le Canada5 qui n’est pas une puissance européenne, sauf mouvement tectonique de grande ampleur. Mais, là, on en aurait entendu parler !
4. Et Longuet, histoire de ne pas en rater une d’ajouter qu’il faut être conscient que « la Politique européenne de sécurité et de défense n’est pas sortie par le haut de cette épreuve ». Merci, M. le ministre de m’ôter, ainsi, les mots de la bouche : « On ne peut dire qu’une initiative bilatérale, pour appliquer la résolution des Nations-unies, soit vraiment la consécration de la politique de défense européenne ». Qu’ajouter de plus, en effet ?

Q – Doit-on ramener le sommet dînatoire de Wroclaw à ces seuls aspects ?

Jacques Borde – Oui et non, j’en ai peur. Car, pour l’avenir, la montagne eurolandienne a accouché d’une souris, maigrelette qui plus est ! Ceci dit, écouter Longuet n’est pas sans intérêt, loin s’en faut. En effet, que nous a encore dit le ministre français de la Défense, à propos de la Libye ? Que « Pour faire émerger un État de droit complet, durable c’est autre chose. Et ce n’est pas le rôle de l’Otan ». J’aimerai que l’on s’arrête sur cette phrase qui est, certainement, l’une des plus importantes jamais prononcées à propos de la via factis occidentale sur la Libye, depuis le début des opérations ! Car, si ça n’est pas le rôle de l’Otan que de « faire émerger un État de droit complet, durable – et, encore une fois, ça n’est pas moins qui le dit mais Candide Longuet, affligeant de franchise – :

1.Que fiche donc l’Alliance atlantique en Libye, puisqu’à l’évidence la protection des populations civiles de villes comme Benghazi, Misrata, etc (raison même de son engagement en Libye, rappelons-le) n’est plus d’actualité, ayant laissé place, depuis plusieurs semaines déjà, à des frappes massives et indiscriminées sur des populations que rien de menaçait, puis que majoritairement acquises au régime et n’ayant pas pris les armes (contre qui que ce soit, d’ailleurs) ?

2.Plus important encore, que cherche-t-elle à y « faire émerger », si ça n’est pas un « État de droit complet, durable » ? Une monarchie ? Un Émirat islamique ? Une clérouquie à la solde de la thalassocratie états-unienne ? Un État de non droit, alors ? Calqué sur ces banlieues françaises où les forces de l’ordre n’osent plus pénétrer, sauf à mobiliser des centaines d’hommes ? Les citoyens des puissances engagées dans la via factis contre la Libye ont, tout de même, le droit de savoir que que nous faisons là-bas, si ça n’est même pas pour y jeter les bases d’un « État de droit ». Non ?

Autre chose à noter : les agapes indigestes de Wroclaw, auraient eu raison de la nouvelle mission européenne en Libye, imaginée par certains. Apparemment, le sujet ne serai plus de la brulante actualité dont nous parlaient certains. Or si pour Longuet, « Il faut accompagner la Libye, dans la mesure où elle le demande, dans le respect de la pleine responsabilité du CNT à qui il appartient ses objectifs », le ministre n’a « pas ressenti le besoin du CNT de voir quiconque se mêler des moyens d’autorité. Il ne veut même pas de forces de police ». Résultat, « On en reste aux vœux pieux », car, dixit Longuet, « l’UE n’est pas un acteur de complicité immédiate du nouveau pouvoir ». C’est, curieux, c’est pourtant l’impression que cela donne à beaucoup de gens !

Q – Mais, au fond, sur le dossier libyen, tout le monde semble tirer la couverture à lui ?

Jacques Borde – C’est tout à fait exact. Et, là, pas de quartier, il s’agit, d’abord, de penser à soi. Et seulement à soi. Ainsi, le Globe & Mail n’a pas manqué de noter que le président américain, Barack H. Obama, évoquant à l’Onu la Guerre de Libye, s’il n’a pas manqué de de féliciter ses alliés au sein de l’Otan et « plus particulièrement la Grande Bretagne, la France, le Danemark et la Norvège »6, a omis – tout comme le leader du CNT libyen – de mentionner le rôle du Canada. Ce alors que l’intervention de l’Otan a bien été placé sous la direction d’un officier supérieur canadien, le lieutenant-général Charles Bouchard, et que les CF-18 frappés de la feuille d’érable ont bien été responsables de 8% des missions d’attaque.

Ficelle un peu grosse, direz-vous ! Certes. À cela près qu’elle offre le mérite de limiter le rôle des Nord-Américains à cette guerre aux seuls États-Unis. Toujours ça de pris !

Q – Pourquoi, ce comportement ?

Jacques Borde – Mais tout simplement parce que les places seront chères, dans la nouvelle Libye, quel que puisse être son visage ! Gardez à l’esprit que cette guerre n’a pas été faite pour les Libyens, leur bien -être, leurs aspirations. Mais pour leurs richesses ! Plus précisément, celles de son sous-sol. C’est bien pour ça, que Barack H. Obama, s’empresse de faire oublier le rôle des Canadiens. Inutile de faire quoi que ce soit pour les Libyens aient les yeux fixés sur le pays au monde – qui, avec la France – dispose de la meilleure expertise en matière de gestion des ressources en eau, la troisième des richesses libyennes, ne l’oublions pas. Or, nous savons, d’ores et déjà, que les rebelles – visiblement plus « cigales » que « fourmis » – ont passablement endommagé les structures de la Grande rivière, projet kadhafiste par excellence !

Mais, après tout, ceux-ci n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Rien n’obligeait vraiment les Canadiens à ce rôle de harkis de l’hegemon états-unien…

Q – Quant aux appétits US, puisque nous y sommes, y-a-t-il une différence entre Démocrates et Républicains ?

Jacques Borde – L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Et encore ! Contrairement aux idées (fausses) que nourrit le boboland germanopratin à l’endroit de l’actuel président américain, Barack H. Obama – relativement à son prédécesseur, George W. Bush, je veux dire – l’approche géopolitique de n’importe quel locataire de la Maison-Blanche sera toujours la défense la plus acharnée des intérêts US, tels que définis sur les rives du Potomac. Et pas ailleurs, contrairement à ce que croient quelques conspirationnistes. De plus, les États-Unis n’ont pas habitude faire marche-arrière. La progression hégémonique est constante : Reagan était plus dur que Carter ; William J. Clinton plus tenace que Bush Sr. ; George W. Bush plus menteur que Clinton et Obama se montrera plus intraitable que ses prédécesseurs auraient pu l’être sur la question de la Libye. C’est la marche (toujours) en avant de l’hegemon.

Q – Quel rôle rôle joue Hillary Clinton ?

Jacques Borde – Celui qui lui a été dévolu dans le partage des tâches avec Barack H. Obama. Pas vraiment le rôle d’un Bisounours. En fait, davantage celui d’un pitbull femelle. Je sais, des analystes mal-informés nuanceraient probablement le portrait du US Secretary of State (chef de la diplomatie), la Sénatrice Hillary D. Rodham Clinton. Mais ne nous leurrons pas. Dès qu’il s’agira de préserver les acquis US en Libye – qui, contrairement à ce que croient beaucoup, ne datent pas d’hier – Dame Hillary ne lâchera rien. Ses admirateurs devraient méditer les propos de l’ancien vice-président US, Richard Dick Cheney, qui s’exprimant au micro de Fox News Sunday 7, déplorait qu’Hillary Clinton ne soit pas présidente des États-Unis en lieu et place de Barack Obama !

Qui plus est, ne nous trompons pas sur le personnage. Elle a les dents aussi longues que les néo-cons, dont elle partage une partie non négligeable des convictions. Un petit exemple, si vous le voulez bien, qui vous éclairera sur le personnage : qui Erik Prince, le patron de Blackwater (Xe, désormais) – passant devant le House Oversight & Government Reform Committee présidé par Henry Arnold Waxman, en 2007 – prendra-t-il pour l’assister ? BKSH, la société de conseil politique dirigée par Mark Penn ? Ce nom ne vous dit rien ? Dommage ! Mark Penn avait été le stratège en chef de Hillary Clinton. Certains spécialistes le surnommant le « Rove de Hillary »8.

Penn, pourtant clintonien pur jus, défendant Blackwater, la plus grosse Société militaire privée (SMP) US du moment, dans une sordide affaire de massacres de civils irakiens (l’Affaire de la Place Nissour). Gageons que lorsqu’il s’agira de lâcher plus encore les chiens de guerre des SMP US sur la Libye, pour s’y réserver l’essentiel des richesses, le US Secretary of State Hillary D. Rodham Clinton n’aura pas beaucoup d’états d’âme. Ni à trop farfouiller dans son carnet d’adresses !…

Q – Quid de la reconstruction de la Libye, alors ?

Jacques Borde – Parmi les mauvaises fées à se pencher sur la Libye, tout le monde a fait mine d’oublier un acteur-clé : le FMI. Certes, l’attention a été, pour partie, détournées, par les foucades sexuelles (et printanières) de son ex-directeur-général, Dominique Strauss-Khan, mais tout de même. Or, guère de doutes à avoir : le FMI, fera tout pour que la Libye, franchisse les étapes nécessaires à son asservissement, c’est-à-dire :

1.Ouvre grandes ses portes aux multinationales, US de préférence ;
2.Privatise les entreprises publiques les plus rentables ;
3.Endette un pays qui ne l’avait plus été depuis la (vraie) révolution des Officiers libre et l’arrivée au pouvoir du plus emblématique d’entre eux, Mouammar Kadhafi ;
4.Mette à bas l’État providence qui assurait éducation, santé et emploi aux Libyen lambda.

Q – Vous ne noircissez pas le tableau ?

Jacques Borde – Non. Pas le moins du monde. Prenez le Nigeria. Une éponge à pétrole. Mais, aussi, l’un des pays les plus pauvres au monde. Ce qui attend les Libyens est, je le crains du même tonneau. Un pillage systématique, des plans structuraux imposés par le FMI. Et soupe à la grimace – voire : pas de soupe du tout – pour la population.

Q – Vous avez, brièvement, évoqué la question de l’eau..

Jacques Borde – Tout à fait. Mais permettez-moi de vous citer ce qu’en dit, Manlio Dinucci, « En plus de l’or noir, les multinationales européennes et étasuniennes visent l’or blanc libyen : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe nubienne (estimée à 150.000 km3), qui s’étend sous la Libye, l’Égypte, le Soudan et le Tchad. Les possibilités de développement qu’elle offre ont été démontrées par la Libye, qui a construit un réseau d’aqueducs de 4.000 km de long (qui a coûté 25 Md$US) pour transporter l’eau, extraite en profondeur par 1.300 puits dans le désert, jusqu’aux villes côtières (Benghazi ayant été une des premières servies) et à l’oasis de Koufra, en fertilisant les terres désertiques. Ce n’est pas un hasard si, en juillet, l’Otan a bombardé l’aqueduc et détruit la fabrique, près de Bréga, qui produisait les conduites nécessaires aux réparations »9.

Q – Mais pourquoi les détruire ?

Jacques Borde – Mais, comme en Irak, pour mieux reconstruire (en se faisant payer fort cher) ce qui a été détruit ! Et, « C’est sur ces réserves hydriques, en perspective plus précieuses encore que les pétrolifères, que veulent mettre la main -à travers les privatisations promues par le FMI – les multinationales de l’eau, surtout françaises (Suez, Veolia et autres) qui contrôlent presque la moitié du marché mondial de l’eau privatisée. Et pour réparer l’aqueduc et les infrastructures, les multinationales étasuniennes comme Kellogg Brown & Root, spécialisées dans la reconstruction de ce que les bombes USA/Otan détruisent, sont prêtes à s’en occuper : en Irak et Afghanistan elles ont reçu en deux années des contrats d’un montant d’environ 10 milliards de dollars »10.

Q – Mais qui va payer ?

Jacques Borde – Les Libyens, pardi ! Avec les fonds souverains libyens, d’abord. Manlio Dinucci les estime à, « environ, 70 milliards de dollars plus d’autres investissements extérieurs pour un total de 150 Md$US »11. Une fois « décongelés », et avec les nouveaux revenus de l’exportation pétrolière (environ 30 Md$US annuels avant la guerre), « Ils seront gérés par la nouvelle Central Bank of Libya , qui avec l’aide du FMI sera transformée en une filiale de HSBC (Londres), de Goldman Sachs (New York) et d’autres banques multinationales d’investissement. Elles pourront de cette façon pénétrer encore plus en Afrique, où ces fonds sont investis dans plus de 25 pays, et miner les organismes financiers indépendants de l’Union africaine – la Banque centrale, la Banque d’investissement et le Fonds monétaire – nés surtout grâce aux investissements libyens.

Q – Mais les Libyens ne seront, sans doute, pas d’accord ?

Jacques Borde – Mais, d’où sortez-vous que quelqu’un leur demandera leur avis ! Primo, les fonds souverains libyens sont déjà sous tutelle occidentale. Ils ne seront donc, réellement, restitués qu’au coup à coup et en fonction des contrats signés. Un scenario type : Xe (la SMP de Prince, défendue par un ancien proche d’Hillary D. Rodham Clinton, je vous le rappelle) « obtient » (sic) la sécurité de la présidence libyenne. Un fromage, disons de 250 M$US ! Miracle ! Le pseudo État libyen verra aussitôt une somme, peu ou prou équivalente, revenir dans son escarcelle…

Secundo, à qui croyez-vous que sera confié l’économie libyenne, si ce n’est à des obligés de Washington ? Que nous encore rappelé Manlio Dinucci ? Que « La « saine gestion financière publique », que le FMI s’engage à réaliser, sera garantie par le nouveau ministre des finances et du pétrole Ali Tarhouni, ancien enseignant de la Business School de l’Université de Washington, autrement dit nommé par la Maison-Blanche »12.

Le reste, croyez-moi, c’est l’écume des jours. Et rien, d’autre…

Q – Et le terrorisme, vous n’en parlez plus ?

Jacques Borde – Pour l’instant, non. Remarquez, cependant, que, selon des estimations de la communauté du Renseignements, une bonne dizaine de millier de missiles sol/air – de type Sol/air à très courte portée (Satcp) – auraient disparu des dépôts de l’armée libyenne ! Mais, il me semble que je vous en avais déjà parlé.

Je me souviens qu’en son temps, un diplomate US blanchi sous le harnais, avait tenu, en substance, ces propos : « Vous avez aimé Beyrouth ? Vous aimerez Bagdad » ! Si vous le voulez bien, plagions-le, pour conclure : « Vous avez aimé l’Afghanistan ? Vous aimerez la Somalie de la Sarkozie » ! La Libye, je veux dire…

Notes
[1] Groupuscule d’extrême-droite, nés des décombres de l’OAS, farouchement anticommuniste et hostile à l’indépendance de l’Algérie.

[2] Bruxelles2.eu.

[3] Bruxelles2.eu.

[4] Bruxelles2.eu.

[5] Et dont les forces armées restent, statutairement en raison des liens toujours existant avec Sa Très Gracieuse Majesté britannique, « royales ».Cela vous semblera plus évident lorsque je vous citerai de cette autre spécificité canadienne : la RCMP. Autrement dit la Royal Canadian Mounted Police, dont la terminologie, en français, est Gendarmerie Royale Canadienne (GRC).

[6] Globe & Mail (21 septembre 2011).

[7] Fox News Sunday (4 septembre 2011).

[8] Karl Rove est l’ancien conseiller en chef de George W. Bush. Il dût rendre son tablier lors de l’Affaire Plame. Encore appelée Affaire Plame-Wilson. Karl Rove aurait dévoilé l’identité d’un agent de la CIA, Valerie Plame, épouse, par ailleurs, d’un ambassadeur américain, Joseph Wilson, qui avait démenti la vente d’uranium par le Niger à l’Irak, ce qui mettait en difficulté George W. Bush.

[9] Il Manifesto (13 septembre 2011).

[10] Il Manifesto (13 septembre 2011).

[11] Il Manifesto (13 septembre 2011).

[12] Il Manifesto (13 septembre 2011).

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