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29 mars 2024

Tunisie : Sidi Bou Saïd pleure son mausolée


Tunisie : Sidi Bou Saïd pleure son mausolée

dimanche 13 janvier 2013, par La Rédaction d’ASSAWRA

En ce dimanche matin, Sidi Bou Saïd est parcouru de rumeurs. « C’est une cigarette qui a fait ça ? » demande une fillette. « Ce sont des salafistes », crie une femme voilée. « Non, c’est Ennahda », accuse, sans sourciller, un homme. Dans ce petit village touristique perché sur une colline à une vingtaine de kilomètres de Tunis, les rumeurs vont bon train. La veille au soir, le mausolée de Sidi Bou Saïd, adossé à la mosquée principale du village et datant du XIIIe siècle, a été incendié. Une partie du lieu de culte destinée aux femmes a aussi été victime des flammes.
Samedi, vers 18 heures, Ramzi, qui vit à quelques pas du mausolée, a aperçu une lueur « inhabituelle ». « Je suis sortie et j’ai vu la gardienne du mausolée en train de crier et de pleurer. Elle essayait d’éteindre le feu avec un seau d’eau », raconte-t-il en montrant sur son téléphone portable l’appel d’urgence passé vers 18 h 30. La police et les pompiers sont rapidement arrivés sur les lieux, assure ce commerçant, qui a baissé le rideau ce dimanche. À 41 ans, Ramzi a toujours vécu à Sidi Bou Saïd « avec les touristes », sourit-il. Surplombant la baie de Tunis, ce village aux maisons blanc et bleu est un site incontournable pour les touristes. « Cette année a été très mauvaise. Et avec ça, ils vont tout annuler maintenant », craint-il. Corans, tentures, boiseries, lustres, tout est parti en fumée. Le tombeau blanc est totalement noirci. « Ceux qui ont fait ça ne craignent pas Dieu, ce n’est pas possible », souffle Ramzi. Sous ses yeux, quelque deux cents personnes sont venues constater les dommages dans la matinée, alors qu’une odeur de brûlé pique toujours le nez. Certains murmurent avoir vu une personne « lancer quelque chose ». D’autres évoquent quatre individus. L’enquête se poursuit.
L’acte a été condamné par le président de la République. « Nous privilégions la piste criminelle. Nous n’avons pas encore identifié de suspects. Nous suivons plusieurs pistes », déclare Ali Larayedh, le ministre de l’Intérieur, sur place vers 14 heures sans donner plus de détails. À ses côtés, le ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk, se fait discret. « Nous condamnons cet acte de barbarie », dit-il, sans s’étendre. La veille au soir, alors qu’il venait constater les dégâts, il a été « dégagé » par les habitants. Vers 22 heures, les villageois se sont dirigés vers le palais présidentiel, à Carthage. Ils ont été rejoints par les habitants d’autres villes. Certains criaient et s’énervaient, d’autres pleuraient.
« Cela me fait mal au coeur. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des gens ont fait ça. C’est notre histoire, notre culture, notre patrimoine », s’interroge Youssef, qui vit en bas du village. Des étendards bleu et rose sont sortis par les membres de la confrérie de Sidi Bou Saïd arrivés sur les lieux. Des chants soufis (islam maraboutique, considéré comme un islam populaire) sont entonnés par la foule au rythme des tambours et des youyous. Des femmes entrent en transe devant le bâtiment calciné. La foule prend alors la direction de Carthage. Et le cortège gonfle à mesure qu’il s’approche du palais présidentiel. La rue qui mène à la résidence de Moncef Marzouki est bloquée par la garde présidentielle et la police. « Ne sors pas de ta maison, président, sans décision ! » préviennent les quelque trois cents personnes. Une délégation a été reçue par le président de la République.
« L’Unesco s’inquiète de plus en plus », soutient, accroché à son téléphone, Zoubeir Mouhli. Il est un des responsables de l’association de sauvegarde de la médina de Tunis. Sidi Bou Saïd est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. En contact avec l’organisation internationale, mais aussi avec l’Organisation des villes de patrimoine mondial, Zoubeir se déclare « indigné. Il faut arrêter ce fléau. De Tombouctou à Alep, en passant par Tunis, c’est tout le patrimoine arabo-musulman qui est en danger. » En Tunisie, depuis quelques mois, plus d’une dizaine de mausolées soufis ont été la cible d’attaques. Certains ont été endommagés, comme celui de Sidi Yacoub à Gabès. D’autres incendiés, comme celui de Saïda Manoubia à La Manouba en octobre.
« Les wahhabites veulent détruire nos sites religieux », soutient Lotfi. À 21 ans, ce jeune soufi, portant une jebba (habit traditionnel tunisien) et une chéchia rouge brique (couvre-chef en laine), rappelle que « les soufis ont rejeté le wahhabisme d’Arabie saoudite à travers une lettre ». « Le wahhabisme nous déclare la guerre », surenchérit Ahmed, professeur de médecine, qui porte un drapeau tunisien autour du cou. En 1920, sa grand-mère était la gardienne de Sidi Abdelaziz El Mahdi, situé à La Marsa. Ce mausolée a été incendié le 10 janvier. « Ce sont deux conceptions de l’islam sunnite qui s’affrontent. C’est à l’Arabie saoudite de dénoncer ces actes si on veut que cela s’arrête », estime un habitant de Sidi Bou Saïd qui souhaite garder l’anonymat.
Raouf Dakhlaoui, le maire de la ville, envisage de porter plainte contre Rached Ghannouchi, président du parti Ennahda, qu’il accuse d’être « l’instigateur de cette campagne ». « C’est lui qui couvre les extrémistes », affirme-t-il. Ce dimanche, à 19 heures, une veillée est prévue à Sidi Bou Saïd.

(13 janvier 2013 – Julie Schneider )

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