Un intellectuel camerounais écrit à Laurent Gbagbo: Misiki itam !
16 janvier 2013
«Nous l’avons compris, qu’ils mettent aux avant-postes les nôtres pour mieux nous atteindre et nous confondre: Fatou Bensouda».
M. Le Président,
Dans notre tradition africaine héritée jalousement des Ancêtres, le procès a pour but majeur, sinon exclusif, de restaurer la paix dans la communauté divisée mais aussi dans les cœurs. Un dicton burkinabé dit d’ailleurs à ce propos que la palabre sauve le village. Car, ainsi que le précise aussi un proverbe wolof: «Il n’y a pas deux personnes qui ne s’entendent pas; il y a seulement deux personnes qui n’ont pas discuté». Madiba Mandela, noble fils de l’Afrique, est resté fidèle à cet enseignement des aînés. «Asseyons-nous et discutons!», aimiez-vous à répéter à vos adversaires. «Asseyons-nous et recomptons les voix!», leur aviez-vous martelé des mois durant. Mais ils ne vous ont pas écouté. Ceci parce qu’un petit nombre prétendument «international» a confisqué la parole, pris la justice en otage au nom des «droits de l’homme». Mais dans notre Afrique historique et sage, où des mondes, des mentalités et des temps différents se superposent comme l’affirme le savant malien Hampâté Bâ, ils ne peuvent réussir une telle entreprise que par la violence, oubliant que le plus fort, celui qui gagne, le gagneur est peut-être dans l’humanité, celui qui nous amène à la régression. Car la force primaire, la force brute n’est pas primée dans nos sociétés. (Michel Serres). Dans notre tradition africaine donc, M. le Président, un dicton ibo dit «qu’un procès n’exclut personne». C’est-à-dire que le public n’est pas simplement présent en spectateur muet, il est autorisé à faire entendre son opinion. La mienne sera à travers cette correspondance que je compte établir avec vous, aussi longtemps que durera votre incarcération.
C’est, à travers ma plume, la voix de millions d’Africains du continent: Ivoiriens, Camerounais, Maliens, Sénégalais, Ougandais, Ghanéens, Algériens, Libyens, etc. C’est aussi celle de millions d’autres, Africains de la diaspora et descendants africains vivant dans le monde: en France, en Allemagne, en Chine, en Guadeloupe, en Haïti, au Canada, en Australie, etc. C’est enfin celle de tous les combattants de la liberté de toutes confessions religieuses ou obédiences politiques: juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, athées, socialistes, démocrates, républicains, communistes, etc. Tous nous sommes là, Arc-en-ciel de liberté, défenseurs de notre humanité menacée, symbole de résistance contre l’injustice. Tous nous voulons écrire cette page de notre histoire africaine avec vous. Tous nous voulons marcher avec vous sur les traces de notre humanité.
En introduction de son livre, Histoire de France, Pierre Miquel déclare: «Il y a des pays sans histoire. La France n’est pas de ceux-là.» Cette affirmation, de la plume même d’un historien, peut paraître choquante. On s’accorderait volontiers à dire que le terme «histoire» revêt une certaine ambiguïté ici, mais c’est sans compter sur cette autre déclaration, tout aussi célèbre, d’un fils d’immigré hongrois, que les Gaulois, pour leur malheur et perte, se sont choisi comme empereur-roi et qui déclarait triomphant à Dakar en 2006 que «le paysan africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire…». Mon cher Président, en votre qualité d’historien et de sage africain, permettez-moi de vous poser cette question toute simple: «C’est quoi l’histoire? Se peut-il que nous n’ayons pas le même sens des réalités historiques que ces gens-là?». Ce questionnement, à mon humble avis, mérite d’être posé au préalable, car il nous permet de comprendre, ainsi que le notait déjà l’illustre sage et patriote africain, Cheikh Anta Diop, à son fils spirituel Théophile Obenga que toute réalité sérieuse et profonde ne peut s’expliquer et se comprendre que dans le cadre de règles, d’idées, de valeurs culturelles et de méthodologies que l’on prend pour modèle ou guide et qu’il a désigné par le terme de «paradigme culturel». En d’autres termes, nous ne pourrions nous comprendre, comprendre nos référents religieux ou socioculturels, nos valeurs, le sens et la portée de notre destinée, le cours de notre histoire et partant, sa définition même, que si nous ne sacrifions pas tous sur l’autel de la pensée unique, souvent tyrannique et impérialiste occidentale.
Il y a plus de deux mille ans, Sima Quian (145-86 av. JC), le premier historien chinois, affirmait avec assurance: «Ceux qui n’oublient pas le passé sont maîtres de l’avenir». Ce qui signifie en d’autres termes que la survie d’un peuple dépend de la sauvegarde de sa mémoire, de son histoire. Comment donc nous construire un avenir certain lorsqu’on nous dénie ce recours au passé qui est nôtre, ce rapport dialectique à notre propre histoire ? Comment être maîtres du futur quand on n’est pas maîtres du passé, quand ce dernier semble même n’avoir jamais existé? Au-delà donc de toutes ces tripatouilles du sens de l’histoire, la seule certitude vraie est que la Volksseele (âme du peuple) et le Volksgeist (esprit du peuple) se forgent dans le rapport dialectique que ce dernier entretient avec son passé. Falsifier donc ce rapport, l’occulter ou le renier même, c’est courir le risque de faire des êtres concernés, non plus des hommes et des femmes agissant et pensant, mais de pauvres ombres esclaves au service de l’imposteur.
Lorsqu’on emprisonne les historiens et sages d’un peuple, c’est l’âme de ce peuple qu’on veut emprisonner, c’est son esprit qu’on veut corrompre; c’est son génie surtout qu’on veut stopper. Jacques Owono.
«Nous crions parmi les gratte-ciel
Comme nos ancêtres criaient parmi les palmiers d’Afrique
Car nous sommes seuls
Et nous avons peur.»
Jamais nous ne dormirons plus. Jamais nous n’accepterons plus de prendre la place d’esclave qui prie et remet tout entre les mains de Dieu. Non, Dieu ne combat pour personne, pas même pour le peuple juif qui a fini par le comprendre et s’est doté de la bombe nucléaire. Dieu nous a donné l’intelligence et la liberté de discerner entre la paix et la guerre et de choisir évidemment la paix. Alors, si le voisin cherche palabre contre nous, quitte à nous de trouver les moyens de notre défense. Dieu, jamais ne lèvera son petit doigt pour nous sortir de nos prisons, parce que ce n’est pas lui qui nous a mis là. Le soleil de nos libertés ne finira par briller sur nous que si nous-mêmes acceptons déjà de quitter les creux impossibles de nos prisons où ses reflets ne peuvent nous atteindre. Si nous continuons religieusement à subir, sans réagir, il faudra bien ne pas se plaindre par la suite, car les «cris qu’on pousse ne réveilleront jamais plus personne.». Personne ne nous interdira donc de lutter, de revendiquer notre passé. Nous n’avons pas besoin de l’inventer, car un passé plus grand et glorieux n’existe nulle part. Nous avons simplement besoin de le reprendre à ceux qui nous l’ont volé et falsifié sans honte, comme de petits enfants voleurs de bonbons à l’étal. M. le Président, comme j’aurais aimé marcher sur les chemins de notre liberté aux côtés de mon père, ce guerrier africain qui m’a appris dès le bas âge le sens de la bravoure, du courage et du devoir. Hélas, il nous a quittés il y a quelques années. Paix à son âme ! Mais le combat de votre fils, Michel, à vos côtés; celui de Mouatassim, mort aux côtés de son père, le vaillant guerrier et martyr Mouammar Kadhafi, afin que nous soyons libres en Afrique m’a redonné espoir et dignité; ainsi qu’à toute la jeunesse africaine.
Voilà pourquoi rien ne nous fera plus reculer. Car arrive toujours un moment où le cri humain se fait entendre, car c’est au cri qu’on reconnaît l’homme. Et un homme qui crie n’est pas comparable à un chien qui aboie. Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. Et aujourd’hui, la jeunesse africaine crie: Assez! Y en a marre! Marre de voir nos ressources exploitées au détriment de nos populations; marre de voir nos sœurs violées, nos mères déshonorées, nos pères humiliés dans leur dignité d’hommes; Marre de voir notre jeunesse sacrifiée et son avenir hypothéqué. Qui donnera une sépulture digne à tous nos morts en Afrique? Qui commémorera nos martyrs? Lorsqu’on tue les sages, emprisonne les historiens, traîne au sol nos dirigeants, qu’en sera-t-il du commun des mortels? Mais loin d’être tristes ou résignés, notre espérance est grande, car une nouvelle étoile est née, celle qui guidera désormais nos pas vers la liberté totale. Aujourd’hui, Madiba Mandela peut transmettre le témoin de la lutte et chanter tranquillement le Nunc dimittis comme le fit le vieux Siméon qui, tenant le petit Jésus entre ses mains, remercia le ciel d’avoir vu de ses yeux l’étoile vivante qui sauverait son peuple. M. le président, lorsque de votre cellule vous pourrez voir un oiseau voler libre dans le ciel triste, pensez-y, c’est la jeunesse africaine libre qui vole à vos côtés. Lorsque le soir, dans la douceur et le calme de la nuit, vous pourrez écouter de votre cellule le vent murmurer au dehors, pensez-y, M. le Président, c’est le chant de tous les combattants de la liberté qui vous disent à l’unisson que: Misiki itam! Vous n’êtes pas seul! You will never walk alone! Sie sind nicht allein! Inschallah! Amen.
Vive l’Afrique libérée!
Vive notre humanité libre!
Jacques Owono
(Source : www.Cameroon-Info.NET)