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28 mars 2024

Peut-on définir ce qu’est la « gauche » en Tunisie ?


Nouvelle publication sur Entre les lignes entre les mots

Peut-on définir ce qu’est la « gauche » en Tunisie ?

by entreleslignesentrelesmots

Et d’abord d’où nous viennent ces définitions « droite », « gauche ». Quelle est l’histoire de ces mouvements et à quelles confrontations répondent-ils?
Pour être bref et concis, c’est la grande révolution française, celle qui s’est conclue par la guillotine pour le roi, Louis XVI, qui plus que toute autre révolution a donné corps à ces définitions de « droite » et « gauche ».
A l’origine il s’agit d’un simple positionnement au sein de l’Assemblée Nationale d’août et septembre 1789. Les partisans du véto royal (qui étaient majoritairement membres du clergé et de l’aristocratie) dans la future constitution se regroupèrent à droite du président. Les opposants à ce véto se rassemblèrent à gauche. Ils furent connus sous le nom de Tiers État (ceux qui travaillent).

« Oratores », « Bellatores », « Laboratores ».
Globalement dans l’ancien régime féodal, la société se décomposait en trois ordres : « Oratores » ceux qui prient, le clergé; « Bellatores », ceux qui font la guerre, la noblesse; et « Laboratores », ceux qui travaillent.
Clergé et nobles représentaient environ 20% de la population et « ceux qui travaillent » (le Tiers État), 80%.
A voir cette répartition qui date de la fin du XVIIIe siècle on est frappé (de voir) que globalement notre société tunisienne se décompose, à peu de chose près, de la même manière.
Pour élargir la comparaison, on pourrait dire que les nouveaux « Oratores » d’aujourd’hui se bousculent derrière Ennahdha et ses soeurs jumelles que les « Bellatores » (ceux qui gouvernent, font la « guerre » sociale depuis un demi-siècle) s’entassent dans la nouvelle auberge espagnole, Nida Tounes animée par un presque nonagénaire, descendant d’une lignée des basses couches de l’aristocratie beylicale et rescapé de toutes les manigances qui ont traversé le camps des possédants depuis l’indépendance.

6500 millionnaires et 75 milliardaires !
Globalement les « Oratores » et les « Bellatores » représentent 20% de la population. Font partie de leurs troupes les 6500 millionnaires et les 75 milliardaires recensés dans notre petit pays au PIB équivalent   le chiffre d’affaire de la petite multinationale européenne Orange: 50 milliards de dollars.
Les « Laboratores » représentent 80%. Ce sont tous ceux qui n’ont que leur force de travail à monnayer sur la marché du travail. Ils comprennent aussi les chômeurs, cette fameuse armée de réserve, censée maintenir une pression sur ceux qui ont la chance d’avoir un emploi. Ils incluent aussi les immigrés, un dixième de la population totale, qui ayant fait le choix de l’éxil ne sont pas moins majoritairement des travailleurs.
Donc, à partir de ce petit rappel historique toute personne, tout mouvement ou groupe ou organisation qui se veut de « gauche » doit principalement défendre les « Laboratores », le nouveau « Tiers état ».
Tout programme vraiment de gauche doit d’abord et avant tout se préoccuper des intérêts moraux et matériels des « Laboratores ».
Les autres « ordres » ont leur représentants. Ils dominent depuis au moins un demi-siècle tous les rouages de décision au sein de l’Etat (ce sont les apparatchiks tout puissants des institutions de répression (Ministère de l’intérieur, Ministère de la défense et le puissant appareil judiciaire). Ces apparatchiks sont au service d’une nouvelle classe ploutocratique bourgeoise (les fameux 6500 millionnaires et les 75 milliardaires en dollars) et que l’on nommera la « buroisie » (hybride de bureaucratie et de ploutocrates. Ces derniers sont cosmopolites. Ils détiennent le plus souvent plusieurs nationalités (occidentales de préférence). Ils se débrouillent pour mettre à l’abri une bonne partie de leurs fortunes (45% selon Global Transparency), financent des Think Tanks étrangers pour huiler leurs relations avec les dirigeants des pays où ils disposent très souvent d’un douillet pied à terre (Hôtel particulier, bel appartement dans les arrondissements chics, etc…)
Donc si l’on avait à définir qui peut se considérer de gauche la réponse serait : celui qui défend bec et ongles le monde des « Laboratores ».
Toute autre posture est une trahison de la classe des « Laboratores ».

Comment est née la gauche en Tunisie ?
A l’origine, les premiers noyaux de gauche naissent suite à la révolution soviétique d’octobre1917.
La révolution française de 1789/1795 avait donné naissance à un phénomène révolutionnaire qui  balaya l’ensemble européen et dont les échos se sont répandus avec les expéditions napoléoniennes jusqu’aux confins de l’empire ottoman, en Egypte particulièrement. Cette première confrontation a fait vaciller beaucoup de certitudes dans le monde arabo-musulman quant à la place de la civilisation musulmane dans le nouvel équilibre mondial et ouvert la voie à la première remise en question du despotisme ottoman.
Mais c’est surtout la démence de la colonisation qui a commencé par l’Algérie en 1830 et couvrira presque l’ensemble du monde arabe transformant les peuples arabes en esclaves de la colonisation franco-anglaise qui aiguisera les premiers sentiments patriotes en faveur de l’indépendance.
La révolution d’Octobre 1917 est la conséquence de la première conflagration mondiale avec la première guerre qui verra s’entretuer ceux-là même qui, durant près d’un siècle, se sont présentés comme des êtres supérieurs, drapés de certitudes rattachées aux fondements de la civilisation chrétienne.
Les jeunes maghrébins (il y eu environ un demi million de soldats nord-africains mobilisés durant la Première Guerre Mondiale) qui furent arrachés à leurs pays pour participer à cette boucherie (sale guerre d’extermination), purent se rendre compte de la prétendue « supériorité » de ceux qui les maintenaient en esclavage colonial.
C’est dans leurs rangs que vont se recruter les premiers adhérents au jeune mouvement communiste.

Naissance du mouvement communiste
Ce fut tout d’abord Mohamed Ali El Hammi, fondateur de la première centrale syndicale, la CGTT qui se retrouve embarqué dans le tourbillon révolutionnaire de l’après guerre : il séjourne en Allemagne en pleine révolution. Armé d’une formation acquise dans les universités allemandes où il s’intéresse à la question des mouvements associatifs et coopératifs, il rentre en Tunisie pour fonder le premier syndicat de travailleurs tunisiens : la Confédération Générale des Travailleurs de Tunisie. La radicalité de ses positions en faveur de la défense des intérêts des travailleurs et sa remise en cause de la domination coloniale attire sur lui les foudres de la répression coloniale qui l’oblige à reprendre le chemin de l’éxil où il meurt dans un accident de voiture.
A Paris, c’est dans les milieux ouvriers d’origine coloniale (indochinois, nord-africain et africain) que le jeune parti communiste recrute ses premiers adhérents dont Ho Chi Minh de son vrai nom Nguyên Ai Quôc, le futur dirigeant de la révolution vietnamienne.
Ce dernier anime, autour du journal Le Paria, des cercles de travailleurs anticolonialistes. C’est là qu’en juin1926, naquit l’Etoile Nord Africaine. Animée par de jeunes maghrébins tels l’algérien Messali Hadj ou le tunisien Khalfallah qui fut son premier président, cette formation politique est clairement anticolonialiste. Son programme, la libération du joug colonialiste français, et la construction d’un ensemble nord-africain, englobe la lutte à l’échelle de toute la région. Le PCF en 1924 comptait quelque 8000 membres et sympathisants musulmans sur un effectif global de 60 000 adhérents. Ces « musulmans » étaient considérés par la police française comme « les régiments de choc du bolchévisme ». C’est ce qui permet d’affirmer que le communisme a eu probablement plus d’impact sur le monde musulman que sur l’Amérique latine dans l’entre-deux-guerres. Les premières mobilisations de ces « nouveaux régiments de choc du bolchévisme » se font au nom de la lutte de libération nationale que mène Abdelkrim El Khattabi dans le Rif Marocain de 1921 à 1926 date de son abdication (face au rouleau compresseur des deux armées espagnole au Nord et française au sud, utilisant très largement l’arme chimique : le gaz moutarde ou gaz Ypérite).

Thermidor stalinien et  trahison de la lutte de libération nationale
La victoire de la contre-révolution thermidorienne sous l’égide de Staline contre l’opposition de gauche va se traduire au plan maghrébin par un coup d’arrêt à la mobilisation en faveur de la lutte anti-coloniale.
Le PCF ayant connu une véritable purge de ses éléments révolutionnaires internationalistes et la victoire de l’aile stalinienne avec Maurice Thorez et ses soutiens va tourner le dos aux revendications d’indépendance en expliquant que les travailleurs et les masses populaires des pays colonisés devaient attendre la réalisation de la révolution en France. Celle-ci une fois accomplie libèrera les peuples colonisés. Cette stratégie était une conclusion logique de la stratégie stalinienne qui réclamait des partis communistes affiliés au Komintern de défendre prioritairement la « citadelle du socialisme: l’Union Soviétique ».
Voilà pourquoi le communisme ne prendra pas racine et restera marginal dans le Maghreb.

Nouvelles contestations du nouveau despotisme bourguibien.
Ce n’est qu’après l’indépendance qu’au sein de la jeunesse scolarisée des noyaux de renouveau militant de gauche voient le jour avec la création de cercles autour de la revue « Perspectives ». En rupture avec le squelettique Parti Communiste tunisien, ces jeunes militants sont attirés par le vent de révolte qui souffle au sein la jeunesse mondiale et qui débouchera sur les révoltes estudiantines à l’échelle mondiale des années 1967/1968.
Aux côtés de « Perspectives » d’autres militants se regroupent autour d’une revue « El Kifah » animée par des militants qui se situent dans la sphère « trotskiste ». Voilà où se situe le renouveau d’une  gauche qui s’affirme « révolutionnaire ».

Renaissance du « Marxisme » !
De ce terreau naîtront les diverses tendances du spectre « Marxiste ».
De petites organisations s’orienteront vers le Maoïsme et adopteront la dénomination de « Marxiste-Léniniste ». C’est la courte période du journal « Al Amal Ettounsi ». Au sein de cette petite nébuleuse des jeunes vont adopter le point de vue du dirigeant de la petite république socialiste d’Albanie: Enver Hodja. Ils se regrouperont au sein d’un groupe intitulé Echoolâ » (l’Etincelle).
D’autres jeunes liés à la Quatrième Internationale et à sa section française la Ligue Communiste Révolutionnaire se regrouperont autour d’un journal intitulé: « Révolution Socialiste Arabe ».
À côté de ce spectre de gauche on trouve des courants issus du nationalisme radical : nassériens et bathistes pro syrien et pro irakien.

Voilà le tableau du nouveau visage des forces d’opposition au régime de la dictature bourguibienne au sortir des années 1970. Ils porteront la contestation au sein de la jeunesse scolarisée et arracheront le syndicat étudiant des mains des  destouriens au Congrès de Korba tenu à l’été 1971. La répression qui s’en est suivie ouvrira une contestation qui culminera dans le mouvement du 5 février 1972, véritable petit « Mai 1968 » tunisien qui mobilisera l’ensemble de la jeunesse scolarisée.
Certains des animateurs de cette contestation lisaient assidument les écrits en provenance de France sur la Commune étudiante de Mai 1968. Il faut rappeler que certains de ces textes étaient en vente libre dans les quelques rares librairies de Tunis. C’est le cas de la collection Poche Rouge et Cahiers libres de Maspéro. Nous avions des titres comme « Ce que veut la Ligue Communiste », manifeste de la jeune Ligue Communiste ainsi que les écrits de Che Guevara ou d’Ernest Mandel et de Mao Tse Toung.

Radicalisation et syndicalisation
Pour survivre à la répression l’ensemble de cette opposition après la période scolaire se dilue dans le syndicalisme celui de la centrale unique l’UGTT. C’est ce sang neuf qui va irriguer la centrale caporalisée par le Destour mais qui néanmoins à cause de son histoire particulière ne sera jamais totalement  tenue en laisse par le pouvoir. Ces nouvelles recrues jeunes ont accédé aux emplois créés dans le cadre de la nouvelle politique économique libérale qui succéda à la décade de centralisme étatique dit « Socialisme destourien », l’arrestation et la condamnation de son promoteur Ahmed Ben Salah à 10 années de travaux forcés en 1969 et la promulgation de lois favorisant l’investissement étranger dites « Loi d’avril 1972 ».
C’est ce nouveau sang syndicaliste ayant déjà une expérience de la contestation scolaire qui deviendra le fer de lance des grèves qui déboucheront sur l’appel à la première grève générale à l’appel de l’UGTT, le 26 janvier 1978. Cette nouvelle séquence politique déchaîne une répression acharnée de Bourguiba contre ces contestataires. Elle voit le secrétaire général de l’UGTT Habib Ben Achour condamné aux travaux forcés, la direction du syndicat décapitée et remplacée par une direction fantoche. Des centaines de dirigeants syndicalistes sont emprisonnés et licenciés. Cette acharnement du régime de Bourguiba signe sa future déchéance.

« Coup d’Etat médical »
Après une seconde Intifada en janvier 1984, intitulée ‘l’intifada du pain » et la répression sanglante, plusieurs centaines de morts, le régime du sénil Bourguiba sera renversé par le fameux « coup d’Etat médical » du satrape  Ben Ali.
Son règne est celui d’une séquence économique caractérisée par le « laisser-faire! » et le « enrichissez-vous! ». Les 23 années de poigne ben aliste seront mises à profit pour une mise en coupe réglée du pays par différents cercles de ce qu’on pourrait intituler la « Buroisie », hybride de bureaucratie étatique et bourgeoisie affairiste dont la spéculation est le maître mot. Spéculation sur le foncier qui voit les prix du mètre carré de bâti passé en deux décades de 1 dinar à 1500 dinars . Cela donne une idée de la rapidité de l’accumulation. Et cerise sur le gâteau cette guerre de l’appropriation privée a produit 75 milliardaires  et 6500 millionnaires qui n’ont eu de cesse de faire un étalage au grand jour, en parfaits parvenus, du fruit de leur vols et rapines.
Face à cette minorité de riches la majorité de la population s’est trouvée contrainte de survivre par la combine. A chacun son petit lot de magouilles pour joindre les deux bouts. Mais cette situation ne pouvait durer éternellement. Le chômage en général et celui de la jeunesse, en particulier, a explosé malgré les chiffres miraculeusement bas mis en avant pas le despote.

L’Intifada du Bassin minier, une répétition générale !
La paupérisation ayant pris des proportions importantes, et le système de la débrouille connaissant sa limite extrême, le cycle des luttes va démarrer dans ce fief qu’est le bassin minier de Gafsa en janvier 2008 (encore un mois de janvier qui équivaut au mai français) et se clôturer avec la chute du dictateur le 14 janvier 2011, fruit d’une insurrection qui reconnut son premier martyr en Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010. Ces luttes se généraliseront à l’ensemble du pays, le bloquant littéralement, contraignant les clans et cliques au pouvoir à sacrifier l’aile la plus honnie pour tenter de ramener le fleuve de la contestation à un niveau maîtrisable. Mais la dynamique de la mobilisation des masses et les victoires sur les forces de répression en dépit des multiples vies fauchées (estimées à plus de 300) ont finalement désorienté les différents appareils de répression en bloquant leur capacité de nuire. La fuite du despote ouvre une vraie période de double pouvoir. Les clans et cliques de l’ancien régime tentent de retrouver une unité face à la déferlante contestataire. En face le mouvement de masses tente aussi de se structurer.

Kasbah1 et Kasbah 2
Mais un demi-siècle de dictature ininterrompue ne peuvent être effacé comme par magie. Malgré l’énergie débordante des forces de la jeunesse révolutionnaire qui      fait tomber en moins de trois mois deux « attelages » gouvernementaux (les mobilisations connues sous le nom de « Kasbah 1 » et « Kasbah 2 »), les forces contre-révolutionnaires finissent par s’accorder sur le moindre mal que serait une séquence électorale. Celle-ci sera conduite de main de maître par un ancien cacique de l’ancien régime Béji Caïd Essebsi. Il commence d’abord par liquider le rassemblement des forces mobilisées autour de l’UGTT et des forces de gauche rassemblées dans le Front du 14 janvier au profit d’une commission dont les membres sont cooptés. A la tête de cette commission est nommé un professeur de droit constitutionnel, homme du sérail qui aura la haute main sur cette assemblée hétéroclite. Celle-ci nomme une structure indépendante pour l’organisation et la supervision des élections à la Constituante et dont le représentant est un vieux militant de l’aile albanaise des marxistes-léninistes (Echoola), grand ordonnateur dans l’émigration, d’associations de luttes pour les libertés démocratiques.
Béji Caïd Essebsi en profite pour ouvrir largement les vannes :  ce sont plus de 130 partis qui se déclarent au Ministère de l’Intérieur. Certains de ces pseudos partis n’ont même pas de locaux ou de militants. Cette stratégie du trop plein visait à faire perdre leurs repères aux futurs électeurs qui à l’occasion des élections se sont retrouvés avec des centaines de listes se portant candidates à la Constituante. La gauche radicale qui s’était rassemblée en février 2011 au sein du Front du 14 janvier a préféré se disperser à l’occasion des élections. Elle sera affublée du sobriquet infâme de « Sfir Facel », (zéro virgule).

Victoire d’Ennahdha et luttes sociales ininterrompues
Le résultat de cette dispersion entre des dizaines d’organisations de gauche a profité à Ennahdha qui a su contenir ses composantes et aller aux élections de manière unie. Elle a ramassé la mise en arrivant bonne première avec environ un tiers des élus la Constituante. C’est ce qui va lui permettre de s’allier à deux autres regroupements, le CPR du futur président provisoire, et Ettakatol du futur président de la Constituante, et ainsi de former un gouvernement et accéder aux affaires.
L’année 2011 n’est pas qu’une année de joute électorale.
Cette année et la suivante ont vu une véritable déferlante sociale avec 36 000 actions comptabilisées. La presque totalité des secteurs du public comme du privé ont conduit des grèves, des sit-in, des occupations. Et dans la plupart des cas, ces mobilisations se sont conclues par des victoires : embauches définitives de salariés précaires, augmentations des salaires, respect du code du travail, dans certains cas on a vu des responsables, d’administrations ou de secteurs  démissionnés et replacés par un mouvement de protestation reprenant la formule qui a réussi concernant l’ancien dictature: « Dégage ».
Ces deux années laisseront des traces indélébiles dans la mémoire des salariés, des ouvriers, des employés. Les chômeurs, en particulier porteur de diplômes, aussi se sont structurés à l’échelle régionale et nationale pour appuyer leurs revendications à l’emploi : ils ont obtenu une allocation mensuelle correspondant à peu près à un SMIG.

Ennahdha et l’ingratitude des baronnies étatiques de la « buroisie »
Deux années écoulées depuis les élections du 23 octobre 2011 ont apporté la preuve que les anciennes baronnies au sein de l’Etat allaient faire de la résistance à toute transformation. Il faut reconnaître que Ennahdha n’a à aucun moment cherché à briser le cercle de fer qui a plombé ses velléités de réformettes. Bien au contraire, elle a tout fait pour rassurer et amadouer les patrons et les tenanciers de baronnies de l’Etat. Elle a même pris un malin plaisir à devancer les désirs de la « buroisie » en libéralisant l’économie, en édictant un nouveau code des investissements offrant la part belle au capital national et étranger. On peut même affirmer que si beaucoups en rêvaient du temps de Ben Ali, Ennahdha l’a fait une fois aux manettes de l’Etat.
Mais ce que n’a pas réussi, Ennahdha, c’est calmer le jeu social.
Rien que sur les 8 premiers mois de 2013, on a comptabilisé plusieurs centaines de grèves dans le public comme dans le privée, avec des entreprises de plusieurs milliers de salariés menacés de lock out par leur patron.
C’est pour cette raison que les baronnies de l’Etat ainsi qu’une grande partie du patronat se sont ligués pour tenter d’écarter Ennahdha.
A cette intention, il se regroupèrent encore une fois autour de l’ancien premier ministre, le presque nonagénaire Béji Caïd Essebsi en fondant une nouvelle organisation Nidaa Tounes (L’Appel de la Tunisie) qui sonne comme le fameux Forza Italia du richissisme Berlusconi. Le ban et l’arrière ban de la « buroisie » vont retrouver le chemin de la maison commune. Ils furent rejoint par toute une ribambelle d’ex-membres de différentes organisations de la gauche stalinienne et maoïste ainsi que d’ex- bureaucrates de l’UGTT. Ces retournés apportaient une caution de « gauche » au rassemblement de BCE.

Naissance du Front Populaire et élimination de deux de ses dirigeants
Face à cette bipolarisation Ennahdha/Nida Tounes, des franges de la gauche radicale ont pris la sage décision de se rassembler de nouveau dans un Front qui rompe le coup à la contre-révolution rampante.
La Front Populaire est né en octobre 2012. Son programme déclarait clairement refuser la bipolarisation et optait pour la continuation du processus révolutionnaire. Son mot d’ordre central affirmait son opposition à Ennahdha et à Nidaa.
L’appel d’air que cela créa, amena en masse des jeunes et des moins jeunes, des organisés et énormément d’indépendants à le rejoindre.
Beaucoup de militants avaient fait une désagréable première expérience dans les organisations qui appartiennent au spectre institutionnel. Dégoutés par des partis godillots, ils rejoignirent le Front Populaire avec la ferme volonté de participer à une organisation de combat pour la révolution.
C’est cet état d’esprit qui animera les premiers mois de l’activité de ce front. La peur dans le camp de la réaction a été tel que s’en suivi un premier assassinat d’un des plus prestigieux dirigeants : Chokri Belaïd, le 6 février 2013. La mobilisation monstre à l’occasion de ses obsèques et les deux journées de grèves générale décrétée par la centrale syndicale UGTT était un moment propice pour abattre le gouvernement de Jébali et de la Troïka. Car si le doute persiste sur l’identité exacte des donneurs de l’ordre d’assassiner, la responsabilité politique du gouvernement Nadhaoui ne faisait l’ombre d’un doute.
Le premier ministre Jébali dans une manœuvre dilatoire se déclare démissionnaire et prêt à conduire un nouveau « gouvernement de technocrates ». L’affaire est très mal conduite par la direction du Front Populaire qui rejette cette option mais ne présente aucune alternative crédible en vue de damer le point de cette manœuvre. Les pourparlers dans les coulisses traînent en longueur et finissent par voir Ennahdha imposait son ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh en lieu et place de son premier ministre. Ce jeu de chaises musicales permet à Ennahdha de gagner du temps, elle cède en apparence à une vague revendication de l’opposition et nomme à l’intérieur, aux affaires étrangères, et à la justice des têtes sensées être « neutres ». L’entourloupe consiste à former autour du nouveau premier ministre Larayedh un véritable cabinet bis avec rang de ministres auprès du premier ministres pour les recalés du gouvernement. On retrouve ce cas avec l’ancien ministre de la justice Bhiri. La ficelle est un peu grosse, mais la mollesse de la riposte de l’opposition aussi bien institutionnelle que du Front Populaire laisse le champ libre aux manœuvres dilatoires d’Ennahdha et de sa Troïka.
Six mois plus tard, en plein été, fin juillet, un deuxième dirigeant prestigieux: Mohamed Brahmi est abattu avec les mêmes méthodes par de lâches assassins. De nouveau la responsabilité politique est clairement établi et c’est Ennahdha qui est désignée sans l’ombre d’un doute. La mobilisation en ces mois de canicule est exemplaire. La revendication qui soulève tout le monde: que Ennahdha rende son tablier gouvernemental et que les constituants soient contraint à la démission.

Front Populaire ou Front du Salut National ?
Et de nouveau la responsabilité du Front Populaire auquel appartiennent les deux martyrs est grande.
Ses principaux dirigeants réuni dans un cartel de direction, loin de garder toute l’autonomie et l’indépendance au Front Populaire dans les larges mobilisations qui s’enclenchent sans discontinuité, préfèrent le saborder dans un Front contre nature avec ceux que nous désignons clairement, la veille, comme nos ennemis : Nidaa Tounes.
Ce tournant privilégiant une thématique « social-patriote » et pour « l’union sacrée » donne naissance à un fameux et fumeux « Front de Salut National » (FSN).
L’erreur des dirigeants du Front Populaire est d’imaginer griller les étapes, eux qui sont adeptes du respect de la formule « l’étapisme », grâce à une alliance avec les « ennemis secondaires » en finir avec « l’ennemi principal ».
Le crétinisme de nos dirigeants  frontistes étaient de ne même pas prendre la peine de se munir d’une « grande cuillère pour s’attabler avec le diable » comme aurait dit Lénine.
Non seulement, ils ont semé le désarroi au sein de leurs troupes, mais pire, ils se sont mis à avancer des mots d’ordre dangereux pour la continuation de la révolution. Ils se sont drapé d’un discours patriotique en défense de l’armée et des appareils de répression semant l’illusion que ces corps, dont la spécialité première est l’écrasement du mouvement social, pouvaient comme par enchantement devenir « neutres ». Pire, ils ont cru devenir des partenaires incontournables des représentants de la « buroisie ».
Et le fait que les représentants des divers impérialismes daignent se rendre dans leurs locaux était pour eux sujet de fierté.
Pauvres dirigeants qui semblent être totalement ignorant des leçons de l’histoire et qui répètent, cette fois-ci en farce, les mêmes errements de leurs ainés social-démocrates ou staliniens de l’avant et de l’après guerres mondiales.

Nouvelles séquences de la révolution
A l’occasion de la nouvelle séquence révolutionnaire qui secoue l’ensemble de notre inter-nation arabe depuis l’hiver 2010/2011, nous nous retrouvons confrontés à des questions similaires à celles que nos anciens ont du affronter.
Alors même que l’étincelle démarrant en Tunisie s’est propagée à l’ensemble arabe indiquant par là même le champs de la lutte et son périmètre, aucune initiative n’est venue donner corps à une centralisation des luttes à cette échelle géographique.
Alors même que tout indiquait que le tempo de cette révolution ne pouvait être saisi à l’intérieur des frontières des Etats nations, fruits du découpage colonial, d’aucuns continus à défendre une vision étriquée tournant le dos à la simple géopolitique régionale.
Alors même que les événements récents du coup d’Etat de l’armée égyptienne sous la conduite du général Sissi et la destitution et l’emprisonnement du président Morsi étaient, (on le sait bien maintenant), préparés de longue date par les cercles des partisans de l’ancien régime (on a même libéré Moubarak pour mieux appuyer symboliquement le sens du coup d’Etat), nos « démocrates » et nos « frontistes » partisans du Front de l’Inkadh (le Salut) tunisiens, continuent a bénir le coup d’Etat rampant des partisans  de Ben Ali.
Pour conclure, une gauche vraiment de gauche doit d’abord refuser comme la peste toute alliance avec les nouveaux/anciens clans de l’ancien régime.
La révolution est un moment où les masses laborieuses populaires prennent directement leur destinée en main.

Le peuple n’est pas métaphysicien
Le peuple des « Laboratores » n’est pas métaphysicien. Les formes nouvelles qu’il découvre dans la lutte ne sont point une création de l’esprit, une oeuvre de doctrinaires, mais le dur apprentissage des luttes, de ses victoires comme de ses  défaites.
Marx le militant et c’est l’une de ses principales trouvailles avait affirmé que pour que ceux « qui ne sont rien », les prolétaires (ce terme est plus que jamais le terme approprié pour décrire les nouvelles classes exploitées: salariés, « Yaoumistes », paysans pauvres, jeunes diplômés ou sans diplômes chômeurs, femmes au foyer) « deviennent tout », il n’y a pas d’autres chemins que celui du déchiffrage dans les luttes des hiéroglyphes de leur émancipation.
Autrement dit, il n’y a pas de raccourci pour mobiliser consciemment les larges masses laborieuses populaires. C’est dans les mobilisations et les luttes que ces derniers font l’apprentissage et le façonnage des instruments de leur libération des griffes de l’exploitation et de l’oppression.
Ils ne peuvent simplement ingurgiter un programme et des mots d’ordre (fussent-ils les meilleurs!) rédigés par une avant-garde auto-proclamée.
Cela devraient refroidir tout ceux qui se pensent « meneurs de troupes » et « dirigeants infaillibles ».
Ce sont les 36 000 actions menées depuis bientôt trois années du déclenchement de l’insurrection hivernale 2010/2011 qui laisseront des traces indélébiles dans la têtes de celles et ceux qui ont menés ces luttes et obtenus des victoires nombreuses. Elle seront à la base de l’auto-organisation qui dirigera l’assaut final contre la citadelle de l’Etat dictatorial qu’il faudra non seulement prendre mais aussi défaire et reconstruire sur des bases totalement inversées: de la base au sommet.
Une gauche vraiment de gauche ne devrait avoir d’autres préoccupations que d’aider à créer les ponts nécessaires pour unifier le monde des « Laboratores » (les nouveaux prolétaires). C’est à cette tâche que la gauche devra se consacrer pour réaliser la prise du pouvoir par ces derniers.

Tout le reste n’est que bavardage.

Hamadi Aouina, 11 décembre 2013

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