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16 avril 2024

L’AFRIQUE sauvée par les BRICS ?


Publié par Jean Lévy

TEXTE REPRIS SUR
LE BLOG DE DIABLO

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Article paru dans la revue  

 Aujourd’hui l’Afrique,

numéro 131, février 2014
 

Le  12 Mars 2014

Même les plus obstinément optimistes parmi nous ont du mal ces temps-ci à nier les malheurs qui s’agrippent aux peuples africains : brasiers sanglants qui s’allument un peu partout, guerres féroces attisées par le fanatisme religieux et ethniciste et suscitées par les appétits extérieurs, groupes armés criminels qui remplacent l’état, millions de réfugiés apeurés du Sahel au Kivu et millions de sans emploi réduits pour survivre à vendre n’importe quoi le long des rues de Nairobi à Bamako… comment s’étonner que ces foules de jeunes gens, souvent diplômés, réduits à la misère faute de trouver à gagner honnêtement leur repas quotidien, soient réceptifs au discours de prédicateurs déjantés qui offrent d’une main un Coran frelaté et de l’autre la kalachnikov et le salaire permettant de faire fortune au plus vite ? Ou bien que ces mêmes désespérés africains n’aient qu’un rêve, partir vers la richesse occidentale, rêve obsédant au point de payer très cher leur voyage et parfois même de leur vie.

Car c’est bien de ce mal que vient d’abord le malheur africain, le sous développement économique, une agriculture vivrière délabrée par le marché mondial, une industrie réduite à l’exploitation par des firmes étrangères des ressources minérales ou énergétiques : Nigeria ou Gabon exportent leur pétrole, Niger et Congo-Kinshasa leurs minerais d’uranium ou de cuivre, mais vêtements, machines outils et véhicules sont importés et la population croupit dans la pauvreté et le chômage.

Ce non développement pèse sur l’ensemble du continent à l’exception près de l’Afrique du Sud. Il est d’abord le lourd héritage historique des siècles passés : la domination coloniale qu’ont subi peu ou prou tous les pays du continent a partout eu une même réalité : les métropoles coloniales d’Europe ou Amérique Yankee, tiraient de leur domaine réservé , leur « Empire » africain, les matières premières brutes destinées à leurs usines, coton d’Égypte, arachides du Sénégal ou pétrole du Congo-Brazza. Mais toute industrie, produisant pour les besoins quotidiens des peuples indigènes, du textile aux tracteurs était tacitement interdite aux colonies françaises ou britanniques. On achetait en 1950 au Caire des tee-shirts venus de Manchester et à Dakar du savon de Marseille.

Les indépendances en 1960 n’ont pas fondamentalement changé le mécanisme inégalitaire nord-sud , économique, monétaire, politique et militaire ; la domination impérialiste, plus hypocrite, a maintenu le même partage des rôles jusqu’à nos jours : aujourd’hui encore, Areva extrait du sous-sol du Niger l’uranium qui permet à l’électricité nucléaire française d’être l’une des plus performantes du globe. Mais la majorité des citoyens nigériens ne disposent pas de l’électricité à la maison. Et la majorité des Gabonais ou Congolais dont le sous-sol national regorge de pétrole ont un niveau de vie pitoyable ; pendant que leurs dirigeants achètent des hôtels particuliers à Paris, les jeunes chômeurs y rêvent d’un scooter importé et les marchés offrent aux « mamans » des boubous fabriqués à l’autre bout du monde.

Le bilan de ces rapports séculaires nord-sud est sans appel : la domination par l’occident, ses banques, ses firmes transnationales, les organisations internationales qu’il domine (FMI, OMC etc.) interdit aux peuples africains le développement industriel et agricole qui est leur unique chance de sortir de ce malheur qui les accable. D’autant que le système se pérennise grâce à la complicité partout « d’élites » africaines corrompues et qui n’ont trop souvent pour seul idéal que leur pouvoir ou leurs prébendes. Et cet impérialisme occidental sait les utiliser, assurer leur survie par des interventions militaires : la France en a réalisé plusieurs dizaines depuis 1960, pour assurer l’autorité de ses poulains : ainsi de Ouattara, en Côte d’Ivoire et quelques autres…

LES « EMERGENTS » DU NOUVEAU SIÉCLE

Peu avant l’an 2000, les États Unis d’Amérique et leur cortège d’alliés –vassaux occidentaux pouvaient se croire les maîtres d’un monde arrivé à « la fin de l’histoire ». La disparition de l’URSS les laissait seuls à même d’imposer aux peuples du sud un éternel statut de dominés, fournisseur de richesses brutes, « périphérie » d’un « centre » seul capable de les transformer.

Le siècle 21 a vu éclore peu à peu des concurrents nouveaux, sortis peu à peu de leur inexistence économique, capables de construire à leur tout une puissance industrielle, d’accéder peu à peu à la modernité et à l’indépendance véritable : les pays « émergents » souvent d’anciennes colonies de l’Occident ont su profiter de leur démographie, de la hausse parfois échevelée des cours des matières premières, d’un état fort, pour atteindre des taux de croissance industrielle énormes à côté des faibles performances en métropoles occidentales essoufflées.

La plupart étaient en Asie, avec la Chine au premier rang, devenue en 20 ans le premier pays exportateur du globe, de produits industriels élaborés et concurrentiels mais aussi de capitaux et d’investissements en quête des minerais et sources d’énergie nécessaires.

Mais avec la Chine, ce cortège « multipolaire » « d’émergents » se gonflait au fil des ans de participants modestes et ambitieux, surgis en Amérique, en Asie de l’est et Moyen Orient, en Afrique peut être.

C’est ainsi qu’est né sous la plume de journalistes, le sigle « BRICS » pour Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa !

Concept commode mais réducteur, car partout du Pacifique à l’Atlantique, de nouveaux émergents s’ajoutent à ce cortège disparate, ou cherchent à s’y ajouter, rejetant les prétentions des anciens maîtres occidentaux : on parle ces jours-ci de « l’émergence » de l’Indonésie, du Venezuela, de la Turquie etc.

Contre tous ceux qui rêvent d’accéder à un statut de puissance indépendante, l’Occident n’hésite pas à imposer par la guerre de rester dans leur rôle ancien de soumission et sous développement : ce fut le cas de l’Irak, dont chacun s’accordait à reconnaître l’émergence avant l’invasion US qui mina ce pays pour un siècle.

Ce pourrait être le cas de l’Iran, dangereux concurrent si elle réussit à développer son industrie nucléaire pacifique, que l’Occident rechigne à accepter, après avoir fourni à ses vassaux Israël et Pakistan l’arme nucléaire. Et quand la Chine prospecte l’exploitation de minerai et pétrole en Afrique, au Soudan, Lubie, Niger, Mali, Nigéria, République Démocratique du Congo, l’intervention occidentale directe ou indirecte est proche. Les prétextes humanitaires ou religieux ou ethniques ne manquent pas… Les 3 ans passés nous le prouvent et cela ne peut que s’aggraver, les appétits sont grands : le Niger ne tente-t-il pas d’infléchir les prétentions d’Areva en convoquant des concurrents chinois, pour exploiter l’uranium ?

LE SALUT PAR LES BRICS ?

La cause est entendue une fois pour toutes de par l’histoire : les peuples africains n’éradiqueront pas leurs malheurs séculaires sans développement industriel et agricole autonome ; et le passé et le présent démontrent qu’ils ne le trouveront pas dans ce dialogue inégal avec l’Occident , ses banques et ses firmes, ses armées et ses politiciens. Les tentations d’industrialisation d’après l’indépendance, financées toujours par un endettement tel qu’il était un nouvel lien colonial, ont échoué.

Cette « révolution industrielle » nécessaire ne peut pas trouver dans le pays localement « l’accumulation capitaliste » nécessaire au démarrage comme le firent les pays occidentaux au 18e siècle : on ne peut guère espérer devenir richissime au Sahel par le commerce ou l’agriculture, le seul biais pour y parvenir est le pouvoir d’état.

On comprend dès lors que les progressistes d’Afrique et d’ailleurs, soucieux de développement et d’indépendance nationale, voient comme seule issues les « relations sud-sud », les investissements en Afrique des BRICS et autres « émergents ». Ils y suscitent d’autant plus d’espoir qu’étant d’ancien colonisés, ils sont supposés réfractaires à ce modèle occidental qui a longtemps pesé sur eux aussi.

C’est d’abord de la Chine y compris Hong Kong dont il est question, qui est passée entre 2011 et 2012 au 2e rang des pays investisseurs, après les USA et avant le Japon. Le flux des investissements en provenance des 5 pays des BRICS sont passés de 7 milliards de dollars en 2000 à 145 en 2012( !), soit 10 % du total mondial. Et ce n’est que le début d’un processus que l’Occident dont les USA essaie de contrer y compris par la guerre. Des Chinois, entreprises publiques et privées, sont aujourd’hui présents dans les trois quarts de l’Afrique malgré cette contre offensive dont la France de Sarkozy à Hollande est le fer de lance.

Anticolonialistes, solidaires des progressistes africains, nous devons proclamer haut et fort contre nos dirigeants que tout peuple africain a le droit et même le devoir d’établir des relations commerciales et politiques avec qui il veut et de tenter par l’accord, avec la Chine ou un autre des BRICS, de commencer sa « révolution industrielle » en nouant des contrats mutuellement profitables que l’Occident lui a toujours refusé .

Certains de ces contrats de troc paraissaient une avancée considérable entre une Chine avide d’exploiter des ressources minières en RDC, ou pétrolières ailleurs, en échange d’infrastructures (routes, hôpitaux etc.) et d’usines textiles ou métallurgiques. L’avenir dira ce qu’il en est, si les divers séparatismes, la corruption, leur laissent le temps de se déployer. Seuls les peuples africains seront en droit d’en tirer le bilan.

LES CONDITIONS DU DÉVELOPPEMENT

Dans ce grand projet progressiste pour l’Afrique, les relations « sud-sud », les BRICS plutôt que le seul Occident, sont une solution nécessaire. Mais gardons-nous de tout optimisme irraisonné, elles ne sont pas la seule condition nécessaire. Il est normal et sain pour un producteur africain d’uranium, de coltan ou de pétrole, de faire jouer la concurrence entre exploitants ; mais quel profit pour le peuple angolais ou centrafricain si ses dirigeants continuent à se goberger des royalties accrues, en les transférant en Suisse ou Paris ?

Les BRICS ne sont pas des entités altruistes, en vertu d’on ne sait quel humanisme. La Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil, sont des pays capitalistes, dont les élites politiques et économiques sont imprégnées d’idéologie libérale.

La Chine qui relève du « capitalisme d’état » malgré son gouvernement communiste a un besoin vital de matières premières au moindre coût et ses négociateurs, relevant de l’état ou d’entreprises privées, sont de redoutables affairistes attentifs à leurs seuls intérêts. La qualité du contrat négocié dépendra donc exclusivement de la capacité des tenants africains, les services d’état en général, à imposer les retours nécessaires en faveur du public et de ses besoins quotidiens.

Combien de gouvernements du continent sont aujourd’hui en état de le faire, quand la norme est plutôt aux états délabrés sans ressources du fait de l’économie informelle et de l’émigration, ,réduits à la mendicité internationale et gangrenés par la corruption ?

Quand les gouvernements n’ont pas la capacité de défendre les intérêts nationaux, les mouvements populaires peuvent y suppléer. Les relations nouées entre l’Afrique et ses partenaires venus du sud seront aptes à accoucher d’une « révolution industrielle indépendante », quand chaque peuple sera structuré autour de mouvement progressistes forts, influents, à l’image de ceux qui imposèrent les indépendances, il y a un demi siècle: Ce n’est pas encore le cas dans la plupart des pays d’Afrique.

Célestin GRANDRIEU

 

 

source:http://www.collectif-communiste-polex.org/ 

 

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