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29 mars 2024

BDS-ULB : 75 Alumni égarés dans un combat partisan.


BDS-ULB : 75 Alumni égarés dans un combat partisan.

Capture d’écran 2015-03-29 à 18.32.22Je ne peux pas croire une seconde que vous ayez dûment examiné les faits à charge et à décharge avant de signer. Pas un instant, je ne peux imaginer que vous, Bruno Colmant, Nadia Geerts, Jacques Brotchi, Olivier Chastel, Chemsi Cheref-Khan, Guy Haarscher, Sylvie Lausberg, Nicolas Zomersztajn et la soixantaine d’autres signataires de cette attaque contre le cercle BDS-ULB, qui vise également le rectorat de la noble institution dont vous êtes issus, avez sérieusement considéré le texte que vous avez ratifié.

Car sinon, comment avez-vous pu accepter que votre nom, symbole de rayonnement international, de réflexion, de progrès, de libre expression, de libre examen, soit attaché à cette diatribe partisane qui fait suite à une campagne virulente menée par quelques anciens de l’ULB, tous proches de l’UEJB et défenseurs réguliers de la politique israélienne ? Le texte que vous approuvâtes est titré assez platement BDS : Les moyens ne sont pas une fin en soi. Il accuse le cercle BDS-ULB d’antisémitisme sur des bases approximatives et unilatérales. Il est paru dans Le Soir de vendredi sous forme de carte blanche, avant d’être divulgué et défendu avec une ardeur peu ordinaire sur le mur Facebook de l’Union des Anciens Étudiants de l’ULB – ULB Alumni — au grand dam, d’ailleurs d’un certain nombre d’anciens.

Dans cette affaire, comme je l’ai montré dans mon article L’ULB et l’Étoile jaune, comment tout a dérapé, les faits et les témoignages rendent très peu convaincante la version désormais soutenue par vos 75 Lumières. Jusqu’ici, seuls les témoignages d’étudiants du cercle UEJB et d’étudiants ouvertement pro-israéliens, ainsi qu’une vidéo montée par l’UEJB pour incriminer BDS-ULB, étayent les soupçons d’antisémitisme dans le chef du cercle BDS-ULB. La simple analyse de la vidéo permet de conclure qu’elle n’est pas un élément factuel mais une preuve fabriquée sortie de son contexte. Un modèle, même, pour les étudiants en journalisme.

Votre carte blanche ne s’appuie pas sur des faits soumis à un examen contradictoire.

Les témoignages que j’ai pu recueillir et qui s’opposent à la version de l’UEJB sont convaincants et convergents. Votre carte blanche ne s’appuie donc pas sur des faits soumis à une critique ni à un examen contradictoire. Prétendant lutter contre l’antisémitisme à l’ULB, ce texte ne pourra qu’avoir l’effet contraire : être perçu comme profondément injuste et donner l’impression que le parti-pris pro-israélien domine parmi les grands noms de notre université.

Parmi les reproches extrêmement peu étayés, dévoilés dans la carte blanche, le premier est extrait d’une précédente carte blanche (2012) et tient carrément de la rumeur : « D’aucuns sont persuadés qu’un antisémitisme sournois auquel le conflit israélo-palestinien n’est pas étranger se développe à l’ULB sans que celle-ci ne réagisse de manière adéquate. » D’aucuns sont persuadés que !

Il y a aussi les déclarations anti-BDS d’Elias Sambar, ambassadeur de l’Autorité palestinienne auprès de l’UNESCO, qui constituent une opinion, mais sont présentées ici comme un réquisitoire. Le fait que d’autres éminences se soient au contraire positionnées en faveur de BDS est soigneusement gardé sous silence.

L’UEJB reconnaît par écrit que la qualité juive n’est pas la raison de la hargne de BDS-ULB.

En guise de ‘preuve’ on lit : « Des étudiants ont été insultés sur le campus parce qu’ils étaient juifs », une affirmation contredite par plusieurs témoins, mais aussi par l’UEJB elle-même, qui écrit avec une étonnante candeur le lendemain de la réunion avec le recteur : « Tout contradicteur juif mais aussi non-juif est immédiatement traité de ‘sioniste’ ou d’agent de l’UEJB ». La qualité juive n’est donc pas concernée ici, l’UEJB ayant aussi des membres non-juifs. Il n’y a pas preuve d’antisémitisme. Ce qu’il y a, au contraire, et c’est plutôt là qu’on attendrait une intervention de nos grands cerveaux, c’est une double exportation du conflit, partisans contre partisans, parfaitement improductive, qui pourrit l’ambiance dans nos universités.

D’ailleurs, à l’inverse, les insultes lancées aux militants BDS par certains pro-israéliens sont soigneusement tues dans tous les rapports faits par les pro-UEJB, et dans la carte blanche.

Les rédacteurs de la carte blanche livrent une autre « preuve » : « On retrouve sous la plume de BDS-ULB, quelques heures à peine après leur engagement pris dans le bureau du Recteur, des phrases qualifiant l’Union des Étudiants Juifs de Belgique de ‘défenseurs d’un état criminel’». Mais ce que le texte omet pieusement de dire, c’est que l’UEJB s’est tout autant défaussée en publiant un texte tout aussi virulent envers BDS (l’accusant notamment d’antisémitisme) quelques heures après la réunion, pendant laquelle le président de l’UEJB, Jonathan De Lathouwer avait exigé du cercle BDS qu’il renonce à demander le boycott et les sanctions contre… Israël. Autrement dit, l’UEJB a bien défendu l’État hébreu avant, pendant et après la réunion, même si elle refuse de l’admettre. Je ne vois pas comment l’on peut lutter contre le boycott d’Israël et prétendre ne pas défendre Israël. Lorsque Margaret Thatcher a refusé de boycotter l’Afrique du Sud, combien d’entre vous n’ont pas conclu que Thatcher défendait le gouvernement sud-africain ?

En conséquence de sa lutte acharnée contre le boycott d’Israël, il n’y a donc rien de répréhensible à percevoir l’UEJB, ou à la présenter, comme pro-israélienne. C’est une opinion. Il me paraît tout aussi acceptable — même si cela peut choquer — que l’on considère Israël comme un « État criminel » ; qui viole en permanence plusieurs résolutions de l’ONU, opprime une population voisine par une occupation illégale et utilise des moyens de défense disproportionnés ayant coûté la vie à plusieurs centaines d’enfants à l’été 2014. Tout comme il est légitime de penser au contraire que le pays ne fait que se défendre.

L’accusation contenue dans cette lettre se base donc sur des prolégomènes tronqués, sur une version des faits unilatérale diffusée exclusivement par le cercle de l’UEJB et ses partisans, et complaisamment reproduite par une partie de la presse.

Quand l’un des signataires, Eddy Caeckelberghs, en est venu à me pousser à violer la déontologie journalistique

Par ailleurs, si un combat est légitime, on peut s’attendre à ce que les méthodes utilisées pour le mener le soient aussi. Or, celles des partisans les plus actifs de l’éradication de BDS-ULB, dont la trace apparaît clairement dans le document, relèvent au contraire du harcèlement. Pour avoir écrit un article qui n’épousait pas exactement leur vision des choses, j’ai subi un flot continu de commentaires, de pressions, d’accusations, de manipulations sur Facebook (plus de 500 en une semaine). Eddy Caeckelberghs, journaliste de la RTBF et cosignataire de la carte blanche, a même flirté avec le viol de la déontologie professionnelle en m’incitant publiquement à révéler les sources qui m’avaient permis d’écrire mon article, non sans décrédibiliser mon travail. Exemple :

« Donc Marcel Sel fait du journalisme. Soit. Même si à la vérité il fait surtout du blog, du commentaire et de l’agitation d’idées. Donc il a confronté les témoignages et les renvoie dos à dos. Peut-on connaître ici les témoins qui permettent de dire que BDS n’a pas traité l’UEJB de fascistes et terroristes ? Quand on détient les preuves on les aligne. […]. »

ou encore

« mais votre témoin lui quelle est sa nature ? osez-nous dire d’où il sort voyons ! Ce serait tellement éclairant ».

En insistant lourdement pour que je révèle mes sources, Caekelberghs savait que je ne pouvais me défendre qu’en violant la déontologie à laquelle je suis tenu. Le seul moyen de le contredire eût été de révéler les noms des personnes qui m’avaient amené à conclure qu’il n’y avait pas eu antisémitisme dans l’affaire BDS-UEJB. Je n’impose à personne de partager mes conclusions. Elles se basent toutefois sur une étude des différentes déclarations — y inclus celles de l’UEJB, et sur des témoignages. Celles d’Eddy Caeckelberghs, similaires à celles contenues dans votre carte blanche, ne se basent que sur les déclarations de l’UEJB, niant celles du rectorat, l’incriminant même : « toutes les personnes présentes [à la réunion ont] été unanimes face à l’UEJB ».

L’acharnement de l’UEJB contre le cercle BDS et le boycott en général doit pouvoir être considéré comme une défense d’Israël.

Quant on sait que ce cercle s’est plaint que l’ULB avait refusé, lors de la réunion chez le recteur, de s’engager à ne jamais adhérer à BDS (alors que l’université refuse ouvertement tout boycott académique), il est évident que sa neutralité dans cette affaire est loin d’être établie — c’est le moins qu’on puisse dire.

Mon impression après cette semaine éprouvante où se déversaient sur Facebook et Twitter accusation après accusation, est qu’il n’y avait qu’une opinion tolérable aux yeux des partisans de l’UEJB, et que toute nuance, mise en contexte, ou tout autre témoignage était présenté comme nul, suspect, voire antisémite. La pensée unique s’articule sur une version fixée refusant l’analyse des faits, et dont toute déviance est exclue. Tout examen par quelqu’un qui ne serait pas absolument convaincu est découragé. Tout témoin qui n’adopterait pas la version prescrite est présenté comme hostile (ici, jusqu’au recteur de l’université !) Toute personne qui présenterait une autre analyse est attaquée ad hominem et accusée d’être partisane du camp opposé. On construit ensuite les preuves de son point de vue que chacun est invité à considérer comme irréfutable. J’ai constaté dans ce dossier toutes ces pratiques.

Chers grands noms de l’intelligentsia libre de Bruxelles, le texte que vous avez signé me paraît donc à l’opposé de tout libre examen : un ensemble de préjugés qui sont exactement l’inverse de ce qui devrait prévaloir à un exposé raisonné et crédible concluant éventuellement à la nécessité de l’éviction du cercle BDS-ULB.

L’usage qui a été fait ensuite de votre signature n’est pas moins suspect : lorsque l’administrateur de la page des anciens

Comment l'administrateur de la page des Anciens réagit à une critique. Classé BDS et sommé d'en assumer "le poids des actions menées et des propos tenus". Édifiant, non ?

étudiants de l’ULB y a publié le texte que vous avez ratifié, un membre du cercle s’est ouvertement interrogé sur son droit à publier ce texte. Parmi les commentaires écrits au nom de l’Union des Anciens Étudiants de l’ULB, et donc en votre nom, on trouve des phrases comme : « Votre dossier BDS est lourd cher monsieur. Lourd de calomnies et d’attaques qui ne nous dupent pas ! Voilà la vérité ». La vérité !!! « Cher monsieur 75 signataires vous suffisent ils ? Qui ont bien lu les textes produits par BDS et l’ABP et d’autres depuis ces événements ! » Les avez-vous tous bien lus ? L’exposé fut-il à charge et à décharge ? « Monsieur vous pouvez relayer tous les articles du monde il se fait que BDS et l’ABP traitent contrairement à leurs propos des étudiants juifs et leur association de complicité criminelle ce qui relève de la calomnie et du pénal ! ». Dans ce cas, qu’attendez-vous pour les poursuivre en justice ?

Quand le cercle Alumni prétend détenir la Vérité, où en est réellement le libre examen ?

Libre examen ? Vraiment ?

Mesdames et Messieurs Brotchi, Colmant, Geerts, Sosnowski, Haacher, etc. Que vous soyez opposés à BDS est votre droit. Que vous pensiez qu’un tel cercle n’a pas droit de cité à l’ULB également. Mais la prudence n’est-elle pas de mise lorsqu’ensemble, vous signez un texte univoque qui, par exemple, ramène BDS à un seul activiste Palestinien soupçonné d’antisémitisme, et omet de rappeler que parmi ses éminents partisans, il y a Stephen Hawking, Noam Chomsky, l’American Studies Association, Naomi Klein, Shlomo Sand, Amos Oz, Desmond Tutu et des dizaines d’associations israéliennes ou juives ? Sont-ils tous antisémites, comme le laisse entendre l’UEJB ? Comme vous le laissez entendre vous-mêmes et signant un texte qui établit un lien entre le fait d’être favorable au boycott et le fait d’être antisémite ?

Bien sûr, la lutte contre l’antisémitisme doit être menée pied à pied. Mais elle doit aussi se nourrir exclusivement de faits avérés faute de quoi elle perd toute crédibilité. Surtout quand vous mettez vos noms dans la balance. Lorsque la lutte contre l’antisémitisme se convertit en défense d’Israël, l’exportation du conflit israélo-palestinien a pris le pas sur la raison et sur le légitime combat. Je ne vois rien d’autre dans l’affrontement estudiantin grossier entre BDS et l’UEJB, qu’une démonstration grandeur nature des effets d’une telle exportation, chacun défendant son camp, aucun n’hésitant à accuser l’autre des pires crimes, aucun n’étant apparemment en mesure d’accepter un débat serein. C’est cette opposition qu’il fallait fustiger. C’est cette exportation double qu’il faut convertir en débat, ici, à 4.000 km du conflit. C’est là qu’on aurait attendu votre signature !

Votre signature est attendue contre l’exportation double du conflit, pas dans une action partisane.

Vous noterez que selon la logique adoubée aujourd’hui par votre texte collectif, le simple fait que j’écrive ci-devant que l’UEJB est selon moi pro-Israélienne, permettra aux enragés qui vous ont attirés dans leur parti-pris de m’accuser à leur tour d’antisémitisme (ben oui, c’est tellement commode), après qu’ils m’ont déjà publiquement présenté comme un partisan du BDS, un « allié des antisémites », de Dieudonné, et que sais-je encore.

Que les choses soient claires : le jour où je disposerai de vraies preuves d’antisémitisme dans le chef de BDS-ULB, je n’hésiterai pas une seconde à les brandir. En espérant que cela permettra d’oublier ce mauvais procès, contreproductif, qui ne convainc que deux genres de personnes : celles qui soutiennent Israël sans le moindre esprit critique, et celles qui imaginent qu’il existerait un lobby pro-israélien tentaculaire dont le pouvoir permettrait jusqu’à la déviation de l’orbite de Jupiter. Vous avez contribué — bien involontairement — à donner corps à ce fantasme abscons. J’en suis consterné.

Je n’en garde pas moins tout le respect pour les grands esprits que vous êtes. J’en déduis seulement que, même au firmament de l’intelligentsia, l’humain reste décidément trop humain.

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