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23 avril 2024

Falsifications à l’usine Areva du Creusot : les enjeux d’un scandale à grande échelle


À l’usine Areva du Creusot, des falsifications perduraient depuis des décennies


En 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait mis en évidence des « anomalies » sur la cuve de l’EPR de Flamanville. Soupçonnant que ces défauts ne soient pas des cas isolés, l’ASN avait demandé en avril 2015 à Areva de lancer un audit sur son usine du Creusot, où avait été fabriqué ce couvercle de cuve mais d’où sortent également toutes sortes de composants (composants de cuve, rotors de turbines…) qui équipent les centrales nucléaire françaises. C’est ainsi qu’Areva a avoué à l’ASN avoir détecté des « irrégularités » dans les documents de fabrication d’environ 400 pièces produites depuis 1965. Selon EDF, 66 de ces pièces suspectes sont actuellement en service sur des réacteurs français. Comme le mentionnent Les Échos, huit dossiers concerneraient d’ailleurs un même réacteur.

Photo Creusot-Infos

Il s’agirait apparemment d’une opération de falsification à grande échelle. Selon Les Échos, qui citent une source interne, les procès-verbaux des dossiers de fabrications auraient été modifiés dès lors que les résultats obtenus lors de divers tests de résistance (chimique, mécanique, thermique, qualité des soudures…) s’approchaient trop de la limite autorisée. Ces pratiques auraient apparemment pris fin entre 2010 et 2012. Tous les types de composants fabriqués à l’usine Areva du Creusot seraient concernés.

Quelles conséquences en termes de risques ?

Les résultats finaux de l’audit sont attendus d’ici fin mai. D’ores et déjà, EDF et Areva se veulent rassurantes ; toutefois, les conséquences en termes de sûreté de ces falsifications pourraient s’avérer importantes.

En effet, ces pièces qui ne correspondent pas au niveau de qualité affiché pourraient logiquement s’avérer plus fragiles que prévu face aux contraintes qu’elles sont censées subir. Les composants de cuves pourraient notamment se révéler encore plus vulnérables aux variations thermiques liées au pilotage du réacteur. Ceci est d’autant plus grave qu’aucun moyen n’est prévu pour parer à une rupture de cuve… qui sur le papier n’est pas censée avoir lieu puisqu’on postule que les pièces en question seront suffisamment robustes !

Cette vulnérabilité imprévue est d’autant plus inquiétante dans un contexte où près des deux tiers des réacteurs français ont déjà dépassé les trente ans, leur durée de fonctionnement initialement annoncée. Or le bombardement des neutrons accélère la dégradation de la résistance mécanique des métaux, si bien que les pièces métalliques qui sont au contact des substances radioactives sont particulièrement vulnérables au vieillissement. En particulier, les cuves des réacteurs, conçues pour une trentaine d’année à pleine puissance, ne se changent pas et deviennent de plus en plus fragiles. Au regard de cette nouvelle donnée, le projet d’EDF de pousser les centrales existantes jusqu’à 50 ou 60 ans de fonctionnement s’avère encore plus dangereux.

Bugey et Gravelines : deux réacteurs touchés par les malfaçons

[Mise à jour le 25/05/16] Le 25 mai, le Canard enchaîné a révélé qu’une note interne confidentielle d’Areva reconnaît que deux composants de générateurs de vapeur installés dans les réacteurs n°2 des centrales du Bugey (Ain) et de Gravelines (Nord) présentent des défauts. Ainsi, commentant la résistance de l’acier de la calotte inférieure du générateur de Gravelines-2, le Canard note : « Un test, dont les résultats ont été ignorés jusqu’à présent, a montré qu’elle était inférieure de près de 50 % aux normes en vigueur. »

Des tricheries impardonnables

Indépendamment des conséquences potentielles, ces tricheries à grande échelle, correspondant à des « pratiques non conformes », sont d’une extrême gravité. Dans quelle mesure peut-on supposer que ce système de falsification était connu et couvert en haut lieu ? Ces pratiques étaient-elles juste le fait de quelques ingénieurs, ou s’agissait-il d’un système à plus grande échelle ?

Cette affaire montre clairement les limites du système français de contrôle de la sûreté nucléaire, qui repose sur le postulat de la sincérité des industriels. Si l’exploitant ment, il est illusoire de penser qu’une Autorité de sûreté nucléaire qui dispose de trop peu de moyens humains et n’est pas équipée pour la répression des fraudes pourra repérer toutes les pratiques irrégulières !

Les responsables politiques couvrent le scandale

Encore une fois, l’industrie nucléaire fait la démonstration de son statut d’exception : dans n’importe quelle entreprise, un tel scandale aurait débouché sur des démissions ou des renvois. Or cela n’a pas été le cas ici. Les responsables politiques eux-mêmes ne semblent pas exiger d’ « opération vérité ». Emmanuel Macron, présent sur le site la veille de l’annonce des falsifications, évoquait « des lendemains difficiles, des doutes, peut-être des accrocs  ». Faisait-il référence à cette affaire ? Était-il informé de ce scandale ? Dans tous les cas, aucune déclaration du Ministère de l’Industrie n’a été publiée à ce sujet : une complaisance inacceptable au vu de l’ampleur du scandale et de ses conséquences potentielles.

Quant à la Ministre de l’Environnement, théoriquement en charge de la sûreté nucléaire, elle a choisi de prendre la défense d’Areva. Interrogée par RTL, celle-ci a déroulé une argumentation aussi hasardeuse que complaisante envers l’industriel. Le scandale a perduré sur des décennies et n’a éclaté que grâce aux demandes de l’ASN ? Ségolène Royal loue la « transparence » du système français ! Areva est sommée de mener un audit interne après des falsifications en série ? Elle évoque une entreprise « responsable » ! Et alors même que l’ASN elle-même n’a pas encore connaissance de tous les résultats, Mme Royal se permet d’asséner avec beaucoup d’assurance que « les résultats sont bons, ce sont juste les documents qui ont été mal faits » !

Quelles suites ?

Pressentant que les anomalies de la cuve de l’EPR ne représentaient que l’arbre qui cachait la forêt, le Réseau “Sortir du nucléaire“ avait déjà interpellé l’ASN le 11 avril pour obtenir la liste exhaustive des pièces fabriquées au Creusot et potentiellement concernées par de tels problèmes, ainsi que le nom des centrales qu’elles équipaient.

 

Téléchargez la réponse de l’ASN suite à notre demande d’informations du 11/04

PDF - 200.2 ko
Réponse de l’ASN 11/05/16

 

Dans l’immédiat, il est impératif d’identifier où se trouvent ces composants, et que des contrôles approfondis puissent être effectués. Si les pièces en questions laissent alors subsister des doutes quant à leur fiabilité, ou s’il n’était pas possible d’effectuer ces contrôles, le principe de précaution exigerait que les réacteurs concernés soient arrêtés en urgence et définitivement.

Le Réseau “Sortir du nucléaire“ se réserve la possibilité de porter plainte. Dans tous les cas, il faut craindre que ce scandale ne soit pas un cas isolé et que de telles pratiques puissent se retrouver dans d’autres usines liées à l’industrie nucléaire…

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