US Secretary of State John Kerry (R) attends the Libyan Ministerial meeting with Britain's Foreign Secretary Boris Johnson (3L), French Foreign Ministry's political director Nicolas de Riviere (L), Italian Foreign Minister Paolo Gentiloni (2R), Libya's Prime Minister Fayez al-Sarraj (5L) and Libya's Deputy Prime Minister Ahmed Maiteeq (6L) at the Foreign and Commonwealth Office in London on October 31, 2016. Kerry travelled to London to discuss the situation in Libya and ways to improve support for the Government of National Accord with international counterparts. During the visit he is also set to accept two awards: the Benjamin Franklin House Medal for Leadership and the Chatham House Prize. / AFP PHOTO / POOL / PETER NICHOLLS


La triste réalité est qu’hélas aucun individu d’importance en Libye ne prend le gouvernement d’union nationale soutenu par les pays occidentaux au sérieux – bien que le Royaume-Uni et l’Amérique continuent de prétendre qu’il existe réellement.

Karl Marx avait remarqué que l’histoire se répète, la première fois, c’est une tragédie et la seconde une farce. Cette célèbre observation décrit parfaitement les interventions récentes de l’Occident en Libye.

Cela fait cinq ans que le Royaume-Uni et la France ont pris la décision commune de chasser Mouammar Kadhafi, entraînant un effondrement politique et l’émergence d’un espace dépourvu de gouvernement, contrôlé par des milices. Ce fut une tragédie.

À la fin de l’année dernière, le Royaume-Uni et la France sont intervenus à nouveau. Agissant par l’entremise des Nations unies, nous avons contribué à évincer le gouvernement élu par voie démocratique en Libye, dirigé par Abdullah al-Thani.

Le malheureux al-Thani a dûment été écarté et un nouveau Premier ministre basé à Tripoli a été installé et désigné leader du Gouvernement d’union nationale (GNA). Malheureusement, c’est cette intervention qui a transformé l’histoire en farce.

Sarraj est un homme honnête qui a été contraint à son poste par les États-Unis. Toutefois, il n’a aucune expérience politique. D’après ce que j’ai pu voir, ce n’est que rarement qu’il voyage vers l’est de la Libye en sa capacité de Premier ministre.

Son assignation ne dépasse pas les limites de la base navale de Tripoli où (sagement) il préfère séjourner lorsqu’il se rend dans le pays qu’il est censé gouverner. De manière générale, il préfère (encore plus sagement) organiser ses réunions en dehors de Libye, la plupart du temps à Tunis.

Un manque de légitimité

On ne peut pas reprocher à Sarraj d’éviter sa Libye natale, dont certaines régions demeurent incroyablement dangereuses. Certaines milices libyennes cherchent à acquérir une certaine légitimité internationale en reconnaissant officiellement le GNA, mais en pratique, elles font comme s’il n’existait pas. D’autres milices ne s’en soucient pas du tout.

Sarraj ne survivrait pas s’il tentait d’asseoir l’autorité du GNA. Après tout, il ne contrôle aucune force militaire ou policière. Il semblerait qu’il ait dit à des confidents qu’il désirait ardemment se retirer mais que les Américains ne le laisseraient pas faire.

Ce ne sont pas seulement les milices qui méprisent Sarraj et son Gouvernement d’union nationale. La triste vérité est qu’aucun individu d’importance en Libye ne prend ce gouvernement au sérieux. La Banque centrale est en désaccord perpétuel avec Sarraj. Tout comme la Compagnie pétrolière nationale (NOC).

Quant à l’Autorité libyenne d’investissement, la Cour suprême s’est réunie à Tripoli le 28 octobre afin de déterminer qui a le droit de nommer ses directeurs. Le 14 novembre, elle doit rendre sa décision officielle, mais il est probable qu’elle affirme que la seule autorité légitime en Libye est celle de la Chambre des représentants, qui siège actuellement à Tobrouk à l’Est de la Libye.

Cette cour est respectée (elle a l’an dernier rendu un jugement contre la milice de Misrata bien que cette dernière contrôlait alors quasiment la totalité de Tripoli) et a prouvé qu’elle était prête à prendre des décisions indépendantes en se basant strictement sur la Constitution libyenne.

Le Royaume-Uni, un agent double

Toutefois, il est important de se souvenir que malgré ses déclarations officielles, même le gouvernement britannique, qui, à maintes reprises, a affirmé son soutien, joue un double jeu.

Au cours des mois derniers, les forces spéciales britanniques auraient mené des combats aux côtés du GNA contre l’EI à Syrte.

Cependant, les forces spéciales britanniques ont également pris position au centre des opérations militaires multinationales dirigées par la France à Benghazi, qui soutient le général rebelle, Khalifa Haftar.

Haftar est entièrement opposé au Gouvernement d’union nationale à Tripoli.

Les forces britanniques sont actives de part et d’autre, pendant que le GNA tente d’asseoir son autorité en Libye. C’est le reflet de la politique britannique chaotique qui manque d’intégrité, de stratégie ou de cohérence.

En réalité, le GNA est essentiellement fictif, même si le Royaume-Uni et l’Amérique continuent de prétendre qu’il existe réellement. Cela est devenu évident lorsque cette semaine, le secrétaire britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a organisé un meeting pour Sarraj (en tant que Premier ministre désigné du GNA), auquel participait notamment John Kerry. L’objectif était de se pencher sur la crise économique dans laquelle la Libye est en train de s’enfoncer.

Johnson a proposé la création d’un nouvel organe appelé le Conseil supérieur d’investissement. Il a suggéré que cette autorité soit supérieure à toutes les institutions libyennes, c’est à dire la Compagnie pétrolière nationale, l’Autorité libyenne d’investissement et la Banque centrale.

Cette tentative d’accorder au GNA une souveraineté sur les finances du pays a été rejetée par tous les participants, sauf par les États-Unis, l’Italie, le Royaume-Uni et Sarraj lui-même.

L’heure d’un nouveau départ ?

Fondé sur l’hypothèse que le GNA possède une autorité qu’il n’a pas, cet événement est une farce.

Vendredi, l’International Crisis Group a publié un rapport très documenté sur la calamité libyenne intitulé : « The Libyan Political Agreement: Time for a Reset » (L’Accord politique libyen : l’heure de la remise à zéro).

Il rappelle les grands espoirs de l’ONU lorsqu’elle s’est lancée dans la reconstruction de la Libye, avant la création du GNA, il y a un an : « Un gouvernement légitime et souverain pourrait relancer la production et l’exportation de pétrole, faire redémarrer l’économie, commencer à démobiliser et réintégrer les groupes armés et faire appel à la communauté internationale pour débarrasser Syrte de l’État islamique. »

Ce document qui a fait l’objet de recherches approfondies déborde de détails inquiétants sur l’échec du gouvernement Sarraj. Il révèle par exemple qu’aucune réunion du gouvernement n’a eu lieu depuis le mois de juin dernier.

Il cite un observateur étranger : « Nous étions initialement peu optimistes, mais nous voyons que le conseil ne prend même pas les mesures les plus simples. »

Force est de conclure que le GNA et Sarraj sont désormais les otages des milices de Tripoli et que la Libye a besoin d’un nouveau départ. Le départ prématuré des forces étrangères serait un bon début.

Peter Oborne | 16 novembre 2016

Peter Oborne a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Il a publié de nombreux livres dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Photo : Le secrétaire d’État américain John Kerry (droite) participe à la réunion ministérielle libyenne avec le secrétaire des Affaires étrangères britannique Boris Johnson (3e à gauche), le directeur politique du ministère des Affaires étrangères français Nicolas de Rivière (gauche), le ministre des Affaires étrangères italien Paolo Gentiloni (2e à droite), le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj (5e à gauche) et le vice-Premier ministre libyen Ahmed Maiteeq (6e à gauche) au bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth à Londres, le 31 octobre 2016 (AFP).

Original traduit par Stiil pour MEE