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28 mars 2024

Les Amis d’Alain de Benoist


A l’est, du nouveau

Editorial du numéro 163 d’éléments, en kiosque le 19 novembre 2016

À l’époque de la guerre froide, les choses étaient simples. L’hémisphère Nord était coupé en deux, et l’Europe l’était aussi. La partie orientale était dominée par le système soviétique, la partie occidentale théoriquement placée sous protection américaine. D’un côté, une dictature greffée sur un capitalisme d’État, de l’autre le capitalisme tout court associé à la dictature de la marchandise. Deux occupations de forme différente, mais aux effets également paralysants. L’Est et l’Ouest étaient alors engagés dans une concurrence aux buts moins opposés qu’il n’y paraissait : il s’agissait de savoir qui produirait le plus et le plus vite, qui gagnerait la course à l’espace et au PIB.

Cette logique bipolaire ne fut remise en cause que par la France du général de Gaulle, qui se dota d’une force atomique indépendante et s’émancipa en 1966 de la tutelle de l’OTAN, et par la Chine avec la « théorie des trois mondes », élaborée par Mao Ze Dong et présentée en 1974 par Deng Xiao Ping à la tribune des Nations-Unies.

Le mouvement de l’histoire semblait se dérouler exclusivement à l’Ouest. L’Est était prévisible : on n’y voyait rien changer, les mêmes troupes défilaient devant les mêmes tribunes où se tenaient, rigides comme des mulets, des dirigeants au regard vide, comme statufiés. À l’Ouest au contraire, c’était un incessant tourbillon de nouveautés, de modes et de gadgets.

Tout change en 1989, lorsque le système soviétique s’effondre sous le poids de ses propres contradictions. Le système de Yalta vole en éclats. L’Allemagne retrouve son unité, le rideau de fer ne coupe plus l’Europe en deux.

Du coup, la géopolitique reprend ses droits. Bientôt, on va s’apercevoir que la rivalité Est-Ouest n’a pas disparu, et que l’affrontement du monde soviétique et du monde « libre » en dissimulait un autre, plus profond encore et surtout plus permanent. Tandis que les pays émergents entament leur ascension, que l’histoire retrouve son cours naturel, la Puissance terrestre de l’Europe continentale contredit plus que jamais la Puissance maritime de l’Amérique. Mais cette dyade Terre-Mer n’est pas seulement géographique. Du côté de la Terre, on trouve les valeurs telluriques : la frontière, le politique, la société ordonnée, le durable, l’histoire ; du côté de la Mer, les valeurs océaniques : le flux et le reflux, le commerce, la libre circulation des hommes, des biens et des capitaux, la « société ouverte », l’éphémère et l’éternel présent.

Tel est le sens actuel de l’affrontement Est-Ouest, et c’est bien dans ce cadre qu’il faut placer la relance de la guerre froide à l’initiative des Américains contre la Russie de Poutine, considérée, à tort ou à raison, comme la capitale d’un ordre multipolaire et d’un retour à des valeurs populaires traditionnelles. La « Troisième Rome » face à Carthage !

Lorsque la vague soviétique s’est retirée, on a aussi constaté que les peuples d’Europe de l’Est étaient restés eux-mêmes, et même, paradoxalement, que leur identité était en meilleure santé que celle des peuples d’Europe occidentale. Par un mouvement de balancier bien compréhensible, ils se sont d’abord tournés vers l’Occident comme vers un Eldorado. Et puis ils ont commencé à déchanter. Au lieu du paradis attendu, ils ont découvert la crise financière, les exigences de l’Union européenne, l’injonction qui leur était faite d’adopter les valeurs libérales-libertaires venues de l’Ouest et des foules de migrants venus du Sud.

Au clivage entre les pays du Nord et ceux du Midi créé par la monnaie unique, s’en est ajouté un autre, concrétisé par la création d’un pôle de résistance autour des pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) – un groupe qui, s’il était rejoint par l’Autriche, serait en quelque sorte l’héritier de l’ancien empire des Habsbourg.

L’immobilité et le mouvement ont aussi changé de place. C’est aujourd’hui l’Ouest qui paraît immobile, menacé par les forces du chaos, englué dans des modèles obsolètes qui ne parviennent pas à se renouveler, tandis que c’est à l’Est que l’on voit bouillonner une efflorescence qui, avec toutes ses incertitudes, ouvre la voie d’un autre monde possible.

À Washington, les Docteurs Folamour rêvent toujours d’une troisième guerre mondiale, tandis qu’au bout du bout du monde de l’Ouest, dans la Silicon Valley, s’élabore un « transhumanisme » post-historique et posthumain.

L’avenir verra la confrontation de cette vague venue de l’extrême Occident contre les forces telluriques du continent européen. Une chose est sûre : les forces montantes ne sont plus du côté du Couchant.

Alain de Benoist

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