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20 avril 2024

La Base navale de Guantanamo : épilogue contre l’oubli


Les tortures et les mauvais traitements infligés aux détenus dans la prison de la base illégale de Guantanamo et la situation de vide juridique dans laquelle se trouvent ces personnes ont suscité une réprobation internationale quasi-unanime. Photo: AFP

GUANTANAMO, Cuba.— Le président Barack Obama quittera bientôt la Maison-Blanche sans avoir réussi à tenir sa promesse de fermer cette prison de haute sécurité installée en 2002 dans la base que les États-Unis occupent à Guantanamo.

Même s’il y a plus de cent ans que les États-Unis se sont appropriés 117,6 kilomètres carrés de territoire, et que depuis, leur présence à eu un impact négatif, ce n’est qu’au début de ce siècle que le monde a tourné les yeux vers cette enclave.

Cette base navale illégalement occupée par notre puissant voisin du Nord s’est retrouvée sous les feux de l’actualité dès le moment même où elle été transformée en prison pour militants islamistes et que l’opinion publique avait été scandalisée par les images des atrocités et des tortures perpétrées contre les détenus.

C’est devant la pression internationale et des millions de voix qui se sont élevées pour exiger la fermeture de cette prison que ce sujet a commencé à faire partie du jeu médiatique des candidats à la présidentielle des États-Unis.

Obama a lui aussi misé sur cette idée, mais une fois ses aspirations présidentielles satisfaites et quelques jours avant son départ définitif, cet engagement est resté sans suite.

En dépit de son prix Nobel de la Paix et de ses prétendues intentions d’entretenir des relations normales avec notre pays, ce sera un autre président à avoir achevé son mandat sans avoir répondu à une des questions clés des relations entre Cuba et les États-Unis.

Et, dans sa nouvelle directive sur la politique vis-à-vis de Cuba rendue publique le 14 octobre dernier, il signalait que « le gouvernement des États-Unis n’a pas l’intention de modifier le contrat de bail en vigueur ni les autres dispositions relatives à la Base navale de Guantanamo ».

HISTOIRE D’UNE OCCUPATION

De nombreuses manifestations ont été organisées aux États-Unis et à travers le monde pour réclamer la fermeture du centre de détention installé par les États-Unis à Guantanamo. Photo: AFP

En juin 1898, durant la Guerre hispano-cubano-nord-américaine, des forces militaires des États-Unis, avec le soutien décisif de l’Armée de libération cubaine, occupèrent la Baie de Guantanamo et s’y installèrent pour mener des actions contre l’armée espagnole.

Selon l’historiographie cubaine, ayant appris la nouvelle du débarquement, le colonel de l’Armée de libération Manuel Sanguily, qui se trouvait en visite aux États-Unis, déclara : « Maintenant qu’ils ont vu Guantanamo, ils ne renonceront jamais à sa possession ».

Pour tenter de donner un verni légal à ses prétentions, Washington imposa à La Havane la signature, en février 1903, d’une Convention pour la cession à bail aux États-Unis de terrains à Cuba pour l’établissement de stations charbonnières et navales, conformément à 7e clause de l’Amendement Platt.

C’est ainsi que les États-Unis parvinrent à obtenir un bail perpétuel sur cette portion de territoire cubain, sur laquelle ils exercent une juridiction et un contrôle absolu, tout en ayant reconnu l’indépendance de l’Île sur cette enclave.

Les caractéristiques géographiques de la baie, l’une des plus importantes de Cuba, et sa position stratégique dans la Caraïbe insulaire, allaient justifier le rapide agrandissement et le déploiement de forces navales à Guantanamo.

Quelque temps plus tard, ce territoire fut transformé en une base navale d’opérations, un point stratégique pour le ravitaillement des flottes et un centre d’instruction et d’entraînement de troupes durant la Seconde guerre mondiale et la guerre de Corée.

En 1952, elle prit le nom de Base navale des États-Unis, même si elle est mondialement connue comme la Base navale de Guantanamo.

UN LOURD PASSÉ D’EXACTIONS ET D’INJUSTICES

Au mois d’octobre dernier, le Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’Homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan Mendez, a déploré qu’il achèverait son mandat sans avoir pu visiter la prison militaire US installée sur la base de Guantanamo.

Mendez a rappelé qu’il avait été invité à Guantanamo en 2010, mais que les conditions imposées pour cette visite avaient été inacceptables et n’ont jamais été modifiées, si bien qu’il quittera son poste sans avoir pu s’acquitter de cette mission.

Chacun sait que toutes sortes de violations des droits de l’Homme sont commises à Guantanamo. Plusieurs fonctionnaires internationaux comme Mendez ont été interdits de visite, mais la vérité a fini par éclater et la clameur pour la fermeture de la prison ne cesse de grandir.

Cependant, même si on n’en a pas beaucoup parlé dans les médias, l’histoire des exactions et des injustices commises par les marines nord-américains dépêchés dans cette de province de l’ouest de Cuba est longue et a fait l’objet de nombreuses plaintes et accusation dans la presse locale de l’époque et dans d’autres textes et publications.

Rolando Quintero, dans son article « El caso Chicle », raconte l’histoire de l’un des crimes qui ont bouleversé l’opinion publique de Guantanamo dans les années 40 du 20e siècle.

Il s’agit de l’affaire du boxeur Lorenzo Rodriguez Grenot, connu sous le nom de « Kid Chicle », assassiné sous les regards impuissants de centaines de personnes pour avoir tenté de trouver du travail dans la base navale, comme le faisaient à l’époque des milliers de Cubains et d’étrangers.

Concernant les prisonniers détenus arbitrairement ou torturés, il suffit de rappeler les cas du Jamaïquain Lorenzo Salomon et du Cubain Manuel Prieto.

Le premier, employé dans un magasin de la Base, s’était absenté du travail pour cause de maladie et à son retour il fut accusé de vol, détenu et torturé dans la prison de Calavera Point, tristement célèbre à l’époque en raison des méthodes musclées qui y étaient utilisées.

Devant la pression de la population de Guantanamo, notamment des étudiants, Salomon fut remis en liberté avant d’être jugé et condamné à une peine injuste de 6 ans de prison, comme le précise René Gonzalez dans son ouvrage Un Maine detenido en el tiempo (Un Maine figé dans le temps).

Pour sa part, Manuel Prieto né à Caimanera, village limitrophe avec le territoire occupé par les États-Unis, fut employé de la Base de 1947 à 1961.

Accusé d’appartenir aux services d’intelligence cubains, il fut arrêté, interrogé et torturé à la prison de Calavera Point également, selon son témoignage paru dans la presse locale.

Il fut libéré six jours plus tard et dut être hospitalisé pendant un mois en raison des coups et des blessures qui lui furent infligés. Il eut plusieurs vertèbres fracturées et un œil sévèrement touché.

L’ouvrier cubain Ruben Lopez Sabariego fut détenu dans la base. Les autorités informèrent qu’il avait été rendu à Cuba. Son corps fut retrouvé quelques semaines plus tard dans un fossé. Aucune enquête ou suite ne fut donnée à l’affaire, révèle l’historien José Sanchez.

Le cadavre de Rodolfo Rosell, pêcheur d’une coopérative de Caimanera, fut retrouvé flottant dans la baie le 14 juin 1962. Le corps portait des traces d’une violence rare, raconta à la presse Héctor Tati Borges, un ancien dirigeant syndical.

« Le cadavre présentait plusieurs blessures faites à l’aide d’un poinçon, dont une au crâne qui a entraîné une hémorragie. »

Tous ces assassinats et ces violations perpétrés par les marines en territoire cubain ont été dénoncés, y compris à des rencontres internationales pour prouver que les tortures à Guantanamo ne relèvent nullement du secret.

Depuis 1903, 19 présidents se sont succédés à la Maison-Blanche et aucun n’a renoncé à la possession ni a tenté de négocier la restitution de ce territoire à son véritable propriétaire: le peuple cubain, alors qu’à plusieurs reprises des membres du haut commandement des États-Unis ont reconnu que Cuba ne représente aucun danger pour leur pays et que cette installation militaire ne présente aucun intérêt stratégique. « Guantanamo coûte cher, est inefficace et ruine l’image de notre pays », devait souligner Michael Parmly, ancien représentant des États-Unis à Cuba.

L’opinion publique exige toujours la fermeture de la prison et la restitution du territoire aux Cubains, et la phrase du colonel cubain Manuel Sanguily conserve toute son actualité, car 118 ans après, les États-Unis exercent toujours leur contrôle sur cette portion de territoire cubain qu’ils occupent contre la volonté nationale.

* Correspondante de l’agence Prensa Latina à Guantanamo.

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