Les Palestiniens semblent un peu plus chaque jour voués à se soumettre ou, tout au mieux, à devenir des citoyens de deuxième zone sur leurs terres natales. L’expansionnisme israélien, combiné au soutien inconditionnel affiché par les États-Unis et à l’impuissance des Nations-unies ne laissent entrevoir que des perspectives moroses quant à l’autodétermination du peuple palestinien et à une paix négociée qui prendrait à la fois en compte les droits et les attentes des Palestiniens et des Juifs.

Le fait de commémorer, en 2017, trois anniversaires majeurs pourrait nous aider à mieux comprendre l’histoire douloureuse du peuple palestinien au cours de ces 100 dernières années.

De telles commémorations pourraient peut-être même permettre de corriger les erreurs du passé et, mieux vaut tard que jamais, de soutenir les efforts, aussi modestes soient-ils, visant à trouver un moyen d’aller de l’avant. À l’heure actuelle, les initiatives les plus prometteuses sont celles qui s’inscrivent dans le cadre d’un mouvement de solidarité mondiale croissant dont l’objectif est d’instaurer une paix équitable pour les deux peuples.

Jusqu’à aujourd’hui, ni les Nations unies, ni les voies de recours diplomatiques traditionnelles n’ont semblé avoir un poids suffisant pour agir sur les forces sociales et politiques qui sont au cœur de la lutte palestinienne. Seules la résistance pacifiste des Palestiniens face aux épreuves qu’ils traversent depuis de nombreuses années et l’activisme de la société civile à l’échelle internationale semblent avoir la capacité d’agir positivement sur le statu quo et de leur permettre de garder espoir.

1917

Le 2 novembre 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur Balfour, a adressé une lettre ouverte au baron Lionel Rothschild, l’un des plus ardents défenseurs de la cause sioniste au Royaume-Uni, afin d’exprimer son soutien quant aux aspirations du mouvement. Le message est le suivant :

« Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. »

Un premier questionnement est immédiatement soulevé par cette lettre : qu’est-ce qui a poussé le Royaume-Uni à prendre une telle initiative au beau milieu de la Première Guerre mondiale ? L’explication la plus spontanée est que la guerre ne se déroulait pas bien, ce qui a poussé les dirigeants britanniques à croire et à espérer que le fait de se rallier au mouvement sioniste inciterait les Juifs des quatre coins de l’Europe, en particulier en Russie et en Allemagne, à soutenir la cause des alliés.

Une seconde motivation consistait à servir les intérêts britanniques en Palestine que Lloyd George, alors Premier ministre, considéraient comme stratégiquement essentiels afin de protéger la route commerciale terrestre vers l’Inde et de garantir l’accès au Canal de Suez.

La Déclaration Balfour a fait l’objet de nombreuses controverses dès le jour de sa publication et ce, même au sein de la communauté juive. Le fait que le ministère britannique des Affaires étrangères se prononce en faveur d’un tel engagement constituait une initiative purement colonialiste qui ne traduisait pas la moindre volonté de prendre en compte les sentiments de la population, essentiellement arabe, vivant en Palestine à cette époque (les Juifs représentaient moins de 10 % de la population en 1917), ni le soutien international croissant affiché quant au droit à l’auto-détermination de tous les peuples.

L’opposition des Juifs face à Balfour

À l’initiative d’Edward Montagu, alors secrétaire d’État à l’Inde, d’éminents Juifs ont exprimé leur opposition à la déclaration, craignant qu’elle ne fasse naître un sentiment antisémite, en particulier dans les villes d’Europe et d’Amérique du Nord.

Le peuple arabe s’est par ailleurs senti trahi par l’initiative de Balfour car elle venait briser la promesse qui lui avait été faite d’obtenir son indépendance politique à l’issue de la guerre en contrepartie de son engagement dans les combats contre la Turquie. Elle présageait en outre de difficultés à venir du fait de la promotion, par la population sioniste, de l’immigration juive en Palestine face à la résistance de la population arabe indigène.

Il convient de signaler que même les dirigeants sionistes n’étaient pas pleinement satisfaits de la Déclaration Balfour. Son contenu laissait planer un certain nombre d’ambiguïtés délibérées. Les sionistes auraient par exemple préféré l’utilisation du déterminant « le » plutôt que « un » devant l’expression « foyer national ». Aussi, la promesse de protéger le statu quo des collectivités non juives était perçue comme une source de conflits dans le futur, même si cette déclaration de responsabilité colonialiste n’a au final jamais été suivie d’effets.

Enfin, le soutien affiché aux sionistes était en faveur d’un foyer national, et non d’un État souverain, alors que les Britanniques avaient accepté, lors de discussions non officielles, l’éventualité de l’émergence d’un État juif dès lors que la population juive serait devenue majoritaire en Palestine.

Il est bon de se souvenir de la Déclaration Balfour car elle témoigne de la transformation d’une simple ambition coloniale en un sentiment de responsabilité et une empathie humanitaire vis-à-vis du sort des Juifs d’Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’elle plongeait la population palestinienne dans un cauchemar sans fin qui lui offrait la déception et l’oppression comme seules perspectives d’avenir.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur James Balfour, et sa lettre de 1917 (Wikipédia)

1947

À l’issue de la Seconde guerre mondiale, alors que le conflit palestinien atteignait des sommets et que l’Empire britannique se trouvait en mauvaise posture, le Royaume-Uni a fait le choix de renoncer à son mandat sur la Palestine et de laisser aux Nations-unies, qui n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements, le soin de décider du sort du pays.

Les Nations-unies ont mis en place un groupe de haut niveau qui avait pour objectif d’élaborer une proposition, laquelle s’est traduite par un ensemble de recommandations débouchant sur la division de la Palestine en deux États : un État juif et un État arabe. Jérusalem a été placée sous contrôle international : la population juive, tout comme la population arabe ne pouvaient y exercer leur autorité dirigeante, pas plus qu’elles n’étaient en droit de revendiquer la ville au nom de l’appartenance à une identité nationale. Le rapport des Nations-unies a été adopté en tant que proposition officielle par le vote de la résolution 181 de l’Assemblée générale.

Le mouvement sioniste a accepté la résolution 181, tandis que les gouvernements arabes et les représentants du peuple palestinien l’ont rejetée, affirmant qu’elle allait à l’encontre de leur droit à l’auto-détermination et qu’elle était totalement injuste. À cette époque, les Juifs représentaient moins de 35 % de la population et se voyaient attribuer plus de 55 % du territoire palestinien.

Comme l’on pouvait s’y attendre, une guerre a éclaté et les armées des pays arabes voisins qui s’étaient engagés dans le conflit en Palestine ont été vaincues par les milices sionistes, particulièrement bien formées et armées. Israël a remporté la guerre ; ayant dépossédé plus de 700 000 palestiniens et détruit plusieurs centaines de villages palestiniens, son territoire s’étendait sur 78 % de la Palestine au moment de la signature de l’armistice. Cette période marque les heures les plus sombres de l’histoire de la Palestine, et reste connue sous le nom de nakba, ou catastrophe.

Les natifs palestiniens fuient la Galilée en octobre et novembre 1948 – Wikipedia

1967

Le troisième anniversaire de l’année 2017 est associé à la guerre de 1967 qui a vu, une nouvelle fois, la défaite des armées des pays arabes voisins de la Palestine, ainsi que l’occupation par Israël de la totalité du pays, y compris de la ville de Jérusalem et de la bande de Gaza.

Le partenaire stratégique des États-Unis

La victoire israélienne a changé considérablement la donne. Autrefois perçue comme un fardeau stratégique, Israël a subitement été reconnue par les États-Unis comme un partenaire stratégique en droit de bénéficier d’un soutien géopolitique inconditionnel.

En date du 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a décidé de manière unanime, par le vote de la célèbre résolution 242, que le retrait des forces israéliennes devait faire l’objet de négociations et que certaines frontières devaient être redessinées après accord des pays concernés, afin de parvenir à un accord de paix reposant notamment sur une résolution équitable du différend concernant les réfugiés palestiniens vivant dans toute la région.

Au cours des 50 années qui ont suivi, la résolution 242 n’a jamais été mise en œuvre. Bien au contraire, Israël a continué d’agrandir le territoire palestinien occupé en établissant des colonies et en construisant des infrastructures, à tel point qu’aujourd’hui, peu de personnes estiment qu’une coexistence entre un État palestinien indépendant et Israël est encore possible ou souhaitable.

Ces anniversaires marquent trois étapes à l’origine de la détérioration de la situation en Palestine. Ils témoignent également de l’incapacité des Nations unies et de la diplomatie internationale à résoudre le problème du partage du territoire entre Palestiniens et Juifs.

Il est désormais trop tard pour inverser complètement ces tendances fermement ancrées dans l’histoire. Tout le défi est aujourd’hui de trouver une alternative permettant à ces deux peuples de vivre, d’une manière ou d’une autre, soit ensemble soit au sein de communautés politiques distinctes.

Espérons qu’une solution satisfaisante puisse être trouvée avant qu’un nouvel anniversaire n’attire notre attention.

Richard Falk | 2 janvier 2017

Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.

Source: MEE