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29 mars 2024

A Moscou, le premier ministre libyen quête le soutien de la Russie


La visite jeudi à Moscou de Faïez Sarraj, le chef du gouvernement libyen d’« union nationale », conforte l’ambition de la Russie de jouer un rôle croissant en Libye.

LE MONDE |

| Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)

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C’est le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov (à droite), qui a accueilli le premier ministre Faïez Sarraj.

La visite est lourde de symbole. En accueillant jeudi 2 mars à Moscou Faïez Sarraj, premier ministre du gouvernement libyen d’« union nationale », les autorités russes veulent montrer qu’elles ne soutiennent aucune faction particulière dans le conflit libyen et qu’elles discutent avec tout le monde.

La visite de M. Sarraj, reçu par le ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov, survient trois mois après celle effectuée à Moscou par le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque (Est) et grand rival de M. Sarraj.

L’équidistance apparente cache mal pourtant une inclination appuyée en faveur du maréchal Haftar. A l’image du président égyptien Abdel Fattah Sissi, le commandant en chef de l’armée libyenne est l’archétype de la figure militariste quêtant les soutiens internationaux au nom de la lutte « antiterroriste » et « anti-islamiste ».

Réparer les dégâts causés par l’intervention de l’OTAN

Le 11 janvier, il avait eu les honneurs d’un héliportage à partir des côtes de la Cyrénaïque sur le porte-avions russe Kuznetsov, une mise en scène destinée à théâtraliser l’intérêt croissant de Moscou pour la Libye.

Le traitement de faveur dont a bénéficié le maréchal Haftar n’empêche toutefois pas Moscou de s’efforcer de projeter l’image d’une puissance désireuse d’explorer une solution politique à la crise libyenne. « Face au désarroi occidental en Libye, commente un diplomate étranger en poste à Tunis, les Russes auraient tort de se priver du plaisir d’apparaître comme des faiseurs de paix et retourner ainsi leur image belliqueuse en Syrie. »

Lire aussi :   Les voisins de la Libye pris d’une effervescence diplomatique

De fait, le discours des Russes sur la Libye met en exergue leur mission historique de réparer les dégâts causés par l’intervention de l’OTAN, le renversement de Mouammar Kadhafi à l’automne 2011 ayant précipité une fragmentation dont le pays peine à sortir. A l’époque, Moscou, qui avait refusé d’opposer son veto au Conseil de sécurité lors de l’adoption de la résolution autorisant l’usage de la force, s’était senti trahi quand l’intervention avait viré, contre son gré, au « changement de régime ».

« L’unité du peuple libyen et l’intégrité territoriale de la Libye ont été violées, a déclaré jeudi M. Lavrov s’adressant à M. Sarraj. Et bien sûr, en tant que vieux amis de votre pays, nous souhaitons vous aider à surmonter ces difficultés. »

« Nous allons ardemment défendre, a-t-il ajouté, la nécessité de créer les conditions pour que les Libyens puissent eux-mêmes résoudre leurs problèmes. »

Mais réconcilier les parties en présence ne sera pas chose aisée. M. Sarraj est le président d’un conseil présidentiel – la direction politique du gouvernement d’« union nationale » – enfanté par l’accord de Skhirat (Maroc) scellé en décembre 2015 sous les auspices des Nations unies.

Hostilité du maréchal Haftar

Cet accord a permis à M. Sarraj de se substituer à Tripoli à un autre gouvernement, dit de « salut national », issu du bloc politico-militaire Fajr Libya (Aube de la Libye) à inclination islamiste. Il a immédiatement bénéficié du soutien actif d’Occidentaux pressés d’installer un pouvoir capable de mener la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), en particulier dans son bastion de Syrte (littoral central), et de démanteler les réseaux d’émigration illégale vers l’Europe.

M. Sarraj s’est toutefois heurté à l’hostilité d’un autre pôle de pouvoir, celui du maréchal Haftar se réclamant de la légitimité du Parlement (élu démocratiquement en juin 2014) exilé à Tobrouk en Cyrénaïque. Privé de l’investiture du Parlement de Tobrouk, où dominent les partisans du maréchal Haftar, le gouvernement de M. Sarraj peine à s’imposer, y compris dans son fief de la Tripolitaine (Ouest).

Le 14 février, une rencontre devait avoir lieu au Caire entre MM. Sarraj et Haftar, une initiative de l’Egype soutenue par les Russes. Or, M. Haftar s’est désisté au dernier moment. Sa rebuffade illustre-t-elle sa relative autonomie vis-à-vis de ses parrains égyptiens et russes ? Ou révèle-t-elle plutôt la faiblesse des pressions que ces derniers auraient exercées sur lui ?

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Quoi qu’il en soit, le plus important dans cet épisode a été l’appel adressé à la Russie par un Sarraj décontenancé. « Nous espérons que la Russie va jouer un rôle positif dans le règlement de la crise libyenne », a déclaré le premier ministre du gouvernement d’« union nationale ».

Ce type d’exhortation à se pencher au chevet de la Libye ne fait que crédibiliser l’ambition des Russes à s’imposer comme « faiseurs de paix ». Leur tâche est facilitée par le silence américain – l’administration Trump ne s’est jusqu’à présent guère manifestée sur la Libye – tandis que les Européens sont prêts à bien des accommodements pour réparer leurs erreurs depuis 2011.

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     Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
    Journaliste au Monde

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