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19 avril 2024

Philippines: Le cardinal Quevedo favorable à une province autonome pour les musulmans


Publié par Gilles Munier sur 16 Juillet 2017, 15:59pm

Catégories : #Islam, #Etat islamique, #Syrie

Drapeau du Front de Libération National Moro

Drapeau du Front de Libération National Moro

Par Jacques Berset (revue de presse : cath.ch – 13/7/17)*

Le cardinal Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato, sur la grande île méridionale des Philippines, est favorable à l’établissement d’une province autonome pour les Moros, les musulmans philippins.

C’est à ses yeux la seule solution pour freiner l’extension de Daechl’Etat islamique, qui veut établir un “califat” dans la région en exploitant la situation de pauvreté et le sentiment d’injustice qu’éprouve la minorité musulmane des Philippines.

L’établissement d’une entité autonome, le Bangsamoro, composé en majorité de musulmans, serait, selon Mgr Quevedo, un moyen de contenir Daech. Ce groupe djihadiste reste une menace constante pour la paix aux Philippines et dans toute l’Asie du Sud-Est. Ses alliés du groupe Maute ont tenté de s’emparer le 23 mai dernier de Marawi, une ville de 200’000 habitants, capitale de la province de Lanao du Sud, sur l’île de Mindanao, au sud des Philippines.

Les djihadistes du groupe Maute, alliés de Daech

La ville n’a pas encore été pacifiée plus de six semaines après le début des combats qui ont débuté le 23 mai dernier.  Des centaines d’islamistes du groupe Maute ont été tués, ainsi que de nombreux soldats et civils. Une partie de la ville – la seule des Philippines à prédominance musulmane – a été complètement détruite par les bombardements aériens, les tirs d’artillerie de l’armée et les bombes utilisées par les islamistes.

Les combats ont chassé plusieurs centaines de milliers de civils, réfugiés à l’extérieur de la ville, dans des camps ou auprès de leurs familles, dans des conditions très difficiles.

En cinquante ans, la guerre menée par la guérilla séparatiste musulmane à Mindanao a fait plus de 150’000 morts. Raison pour laquelle il faut enfin trouver une solution, relève le cardinal Quevedo. Il est l’un des évêques de l’Eglise catholique aux Philippines à être le plus directement concerné par la mise en place d’un accord de paix entre le gouvernement de Manille et la minorité musulmane de Mindanao.

Les musulmans forment le 5 % de la population des Philippines

Le cardinal Quevedo est archevêque de Cotabato depuis 1998, une ville enclavée dans la province de Maguindanao où les musulmans représentent la moitié de la population. Au plan national, ils ne représentent que 5 % des 100 millions de Philippins. Le prélat âgé de 78 ans se confie à Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.

L’archevêque de Cotabato rappelle que depuis des années, l’épiscopat philippin est très attentif à la définition d’un projet politique pour le Bangsamoro. Sous la précédente administration, un accord de paix avait été signé le 27 mars 2014 avec le principal mouvement musulman rebelle, le MILF (Front Moro de Libération Islamique). Ce texte prévoyait une semi-autonomie pour le Bangsamoro et un désarmement progressif. Pour mettre en œuvre cet accord de paix restait à adopter la Loi fondamentale Bangsamoro (BBL, Bangsamoro Basic Law), bloquée au Congrès par les adversaires politiques du président Aquino en décembre 2015. Rodrigo Duterte, élu président de la République des Philippines le 9 mai 2016, était arrivé au pouvoir en soutenant un projet de République fédérale.

En avril 2015, le cardinal Quevedo a lancé “Friends for Peace”, un groupe de dialogue interreligieux partisan de la mise en œuvre de l’accord de l’accord de paix signé à Manille entre le gouvernement philippin et le MILF.

EdA: Comment percevez-vous l’émergence de Daech aux Philippines et dans le reste de la région ?

Mgr Orlando Quevedo: Daech appâte beaucoup de jeunes gens en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines. Le rêve d’un califat vainqueur et dominant sert d’étendard contre la pauvreté et le sentiment d’injustice. Ce rêve est également la réponse des fondamentalistes face à un monde dont la culture plus matérialiste et relativement séculière ne considère pas Dieu comme partie intégrante de la scène publique.

Si le projet de Loi fondamentale Bangsamoro (BBL) est à nouveau rejeté au Congrès, je crains que ce revers ne soit désastreux et ne compromette inévitablement tout espoir de changement et de dialogue politique. Alors au sein même du pays Bangsamoro, l’Etat islamique récupérera les sympathies de beaucoup. Voilà la crainte que partagent le Front Moro Islamique de Libération MILF, en pourparlers de paix avec les autorités philippines, et tous les partisans modérés du Bangsamoro.

Quand, lors des auditions au Congrès, la représentante gouvernementale pour les pourparlers de paix avait évoqué le risque d’une radicalisation de la violence, les parlementaires avaient fustigé une tentative de chantage pour leur faire accepter le projet de loi. Aujourd’hui, il n’est plus question de chantage. La menace terroriste concerne réellement l’ensemble de la région et tout particulièrement Mindanao.

Q: Dans quelle mesure la minorité chrétienne est-elle visée par Daech ?

R: La menace de l’Etat islamique à Mindanao dans le but d’y fonder une base en terre Bangsamoro a de quoi susciter la peur parmi les chrétiens. Pensons au groupe des frères Maute à Marawi, ou encore à Abou Sayyaf.

Pour l’heure, les Combattants islamiques pour la liberté de Bangsamoro [BIFF, mouvement dissident du MILF qui refuse les termes de l’accord du 27 mars 2014] ont exclu d’exécuter des chrétiens, contrairement au groupe Maute. Néanmoins, par le passé, les BIFF ont déjà détruit des images sacrées et des statues catholiques.

Mais si d’autres Moros inspirés par l’Etat islamique s’attaquent à leur tour à des chrétiens, nous ignorons comment réagiront les BIFF et les autres groupes. Le MILF lui-même pourrait être incapable de maintenir le contrôle de ses différentes factions.

Q: A Marawi, le groupe Maute retient une centaine d’otages, dont le vicaire général de la cathédrale de Marawi, le Père Chito Suganob, enlevé le 23 mai avec des paroissiens en pleine messe…

R: Il fut un temps où le président de notre pays, Rodrigo Duterte, s’était déclaré disposé à négocier avec Abou Sayyaf et avec la Nouvelle armée du peuple, la branche armée du parti communiste philippin. Je pense qu’il serait extrêmement délicat de négocier avec le groupe Maute. Son idéologie et ses actes antichrétiens portent la marque de Daech. Il en va de même pour le groupe Abou Sayyaf.

Pour autant, au fil des années, les enlèvements contre rançon sont devenus une source de profits et ont rempli les coffres des rebelles de millions de dollars. Certains combattants seraient tentés de rendre les armes à cause de la pression accrue de l’armée gouvernementale. Et donc il est moins probable que le gouvernement négocie avec les combattants restants puisque, selon l’armée, Abou Sayyaf perd du terrain lentement mais sûrement.

Au sujet du pays Moro, le Bangsamoro, je suis avant tout pour la paix. Si tous les groupes admettaient que la BBL répond adéquatement au désir d’autodétermination et fait droit aux injustices historiques subies par les musulmans, alors il serait possible d’aboutir à la paix. Ce dont tout le monde profiterait.

Q: Quels sont les enjeux actuels du dialogue interreligieux ?

R: Face au rajeunissement des recrues Moros chez l’Etat islamique, plus que jamais le dialogue interreligieux est essentiel. Il nous faut le renforcer en y intégrant plus de monde à tous les niveaux; que ce soit au plus haut niveau, à Mindanao, via la Conférence des évêques et des oulémas, ou au niveau local. Désormais, il faut se concentrer sur les représentants religieux locaux, sur leur vocation à transmettre aux jeunes esprits les véritables principes de paix de leur religion respective.

D’une manière plus efficace et plus systématique, les représentants religieux et les institutions éducatives religieuses doivent mettre en avant l’authenticité de la doctrine révélée, que ce soit à partir du Coran ou de la Bible. Il faut enseigner le sens de la ‘Parole commune’: l’amour de Dieu et l’amour de son voisin.

*Source : Portail catholique suisse (cath.ch)

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