Vous affirmez avoir été torturé par la France en 2011. Votre avocat, Me Eric Moutet, a déposé une plainte en novembre 2013 à Paris. Où en est la procédure ?

J’ai été torturé par les services de renseignements français, mais aussi qataris et tunisiens dans le complexe touristique de Regatta [en bord de mer, à l’ouest de Tripoli, ndlr] après mon arrestation à Tripoli le 21 septembre 2011. J’ai été enfermé quarante-cinq jours. J’étais pieds nus dans une flaque d’eau et ils envoyaient l’électricité si je ne répondais pas bien à leurs questions. Le Croix rouge n’a pas pu me voir. C’est pour ça que j’ai porté plainte. Je me suis déplacé à Paris fin janvier 2014 [il évoque la date du 27 sans être certain] pour voir la juge. A l’aéroport, un agent de police m’attendait. J’ai été gardé en centre de rétention de 21 heures à 3 h du matin. C’est mon avocat qui m’a fait sortir. Deux jours après, j’ai vu la juge. Ensuite, j’ai été convoqué à deux reprises en juin 2015 et février 2016. Je n’ai pas pu me rendre à Paris car l’ambassade de France en Tunisie m’a refusé les visas. J’ai été convoqué une nouvelle fois pour le mois d’octobre. Mais, le 23 août, on m’a volé mon passeport et des documents dans ma chambre d’hôtel, le Select House à Tunis [Tahar Dahech habite à Sousse, à 140 km au sud de Tunis]. J’ai d’ailleurs porté plainte contre l’hôtel.

Comment expliquez-vous ces événements ?

Parce que nous allons rétablir la Jamahiriya [l’Etat fondé par Kadhafi]. A cause de la situation due à l’Otan et l’ONU, la Libye souffre d’un vide de l’Etat. Actuellement, seules les tribus sont en mesure de stabiliser la situation. Le Conseil suprême des tribus [largement composé de tribus kadhafistes] a reconnu en septembre 2015 Saïf al-Islam [fils de Kadhafi, prisonnier par des brigades dans la ville de Zintan depuis 2011] comme son représentant. Il est quasiment libre à Zintan. Il peut communiquer librement. Saïf al-Islam va sauver la nation libyenne. 2017 sera une année décisive.

Pourquoi ?

Tout est en place pour un soulèvement populaire. Les milices de Misrata, qui soutiennent le gouvernement de Serraj [le Premier ministre reconnu par la communauté internationale] et les forces de Khalifa Haftar [chef de l’armée du gouvernement rival de Beida, à l’est] s’affrontent dans la zone sensible des terminaux pétroliers. Tripoli est en proie à des combats entre milices. Nous, nous avons des groupes dans les principales villes qui préparent la population à notre retour. Ces dernières semaines, il y a eu des drapeaux verts [couleur de la Jamahiryia] brandis à Benghazi et même à Misrata, pourtant considéré comme un bastion des soi-disant révolutionnaires du 17 février. Dans le Sud, Ali Kana [chef militaire de Kadhafi] a une armée prête à combattre. Il ne faut pas oublier que Kadhafi est très populaire aussi à l’extérieur. Nous avons des partisans prêts à venir nous aider de l’extérieur, notamment des pays africains. Sans compter tous les Libyens exilés en Egypte, en Tunisie et ailleurs, c’est au moins 3 millions de personnes [il n’existe pas de chiffre officiel, mais celui-ci paraît largement surévalué] dont beaucoup sont de notre côté car ils ont vécu une expérience amère depuis six ans. Quand le moment sera favorable, nous lancerons l’ordre du combat populaire.

Haftar, qui était aux côtés de Kadhafi lors du coup d’Etat de 1969, compte dans ses rangs de nombreux anciens gradés de l’armée de Kadhafi. Pourriez-vous imaginer une alliance avec lui ?

Pas question. Haftar a participé à la destruction de la Libye en 2011. C’est un Américain [à la fin des années 80, Haftar s’est réfugié aux Etats-Unis], il a son propre agenda. Les militaires verts qui l’ont rejoint pensaient peut-être sauver la Libye à ses côtés, c’est faux.

Récemment, Martin Kobler, le chef de la mission de l’ONU en Libye, a déclaré que les accords politiques de Skhirat, qui ont débouché sur la création du gouvernement de Serraj, n’étaient pas «gravés dans le marbre». Si l’ONU vous le proposait, vous iriez à la table des négociations ?

S’asseoir avec des assassins ? Je parle des membres des deux gouvernements, et de l’ONU, qui a couvert l’offensive de l’Otan. Jamais. Aujourd’hui, les Libyens n’ont plus confiance dans les pays étrangers, et surtout pas des pays occidentaux qui ont détruit notre pays. Ce qui se passe en Syrie incite la population à se méfier de l’extérieur.

Mathieu Galtier Envoyé spécial à Sousse