the-road-to-guantanamo2Les splendides installations carcérales de Guantánamo restent un exemple classique de réalités doubles, la coexistence des impulsions totémiques et le réflexe de tabou. D’une part, Guantánamo est devenu un rappel institutionnel de la vaste, vague et indéfinie «guerre» contre le terrorisme, une attitude idiote et réactionnelle face à la calamité. D’autre part, il a pris les connotations les plus négatives, une dénonciation de la loi, des subversions extra-légales et une parodie du système juridique. Pourtant, le fermer serait considéré comme une violation des principes. Le garder ouvert reste, de la même manière, une violation de ces mêmes princ

L’administration a promis de le fermer, mais a cédé sous la pression du Congrès et les défenseurs pro-camp. Comme dans plusieurs autres domaines, la puissance [des votes] du budget en dit long. En outre, ces prisonniers, détenus à tort, dans de nombreux cas sans un bout de preuves à leur encontre, pourraient bien avoir une dent contre les États-Unis une fois qu’ils les quitteront. Une personne mécontente a toujours été transformée en criminel par la prison. Des gouvernements d’autres pays ont renâclé pour les accueillir – pourquoi devraient-ils recevoir une telle cargaison pourrie ?

Dans les premières années, l’administration Obama a libéré 71 hommes, dont 40 ont été rapatriés dans 17 pays tiers. Cet élan fut brutalement arrêté, avec le représentant du Département d’Etat responsable de la gestion des rapatriements supprimés.

Le fondement même de l’incarcération sans inculpation ni condamnation a démontré la question plus grave de l’exceptionnalisme juridique dans la politique et la jurisprudence américaines. Les détenus, dont la plupart sont enfermés dans l’établissement depuis onze ans et demi, sont devenus les déchets d’un système judiciaire qui refuse aussi bien de les radier que de les intégrer dans le cadre du système de droit. Ils sont, en fin de compte, des non-êtres, des créatures du purgatoire juridique. L’absurdité de cette situation s’est révélée quand un détenu, Sabry Mohammed, a bénéficié d’une libération de la part du Département de la Justice à partir de 2010, mais est resté en détention.

Libéré, mais toujours emprisonné, emprisonné sans encore d’inculpation. Un cul-de-sac juridique a été atteint. « Nous devrions être plus prudents », exhorte Obama. «Nous devrions avoir plus d’expérience dans la façon dont nous poursuivons les . C’est un problème persistant qui ne va pas s’améliorer. Il va s’aggraver ».

Obama reconnaît lui-même que Guantánamo fournit également quelque chose d’autre – une motivation à s’en prendre aux États-Unis, une sorte d’objectif primordial distinct. La base est devenue quelque chose comme un « outil de recrutement » pour les extrémistes et dépasse de loin le cadre d’une lamentable affaire publique.

Le grand drame de Guantánamo a atteint un autre niveau avec l’utilisation accélérée, de la part des détenus, des grèves de la faim. Des allégations ont été faites sur un aspect particulièrement répugnant dont les autorités se sont rendues coupables – elles ont fait subir de mauvais traitements aux livres de Coran en possession des détenus. Ce n’est que la partie visible de l’énorme iceberg des abus. La guerre de l’estomac, utilisée à des fins politiques, est maintenant en plein boum.

Les chiffres varient, mais il semble qu’au moins 100 prisonniers se sont lancés dans cet acte du cérémonial de la famine, un nombre qui a augmenté au cours des derniers mois. Les autorités, alarmées, ont nourri de force 23 d’entre eux, déployant une force médicale de 40 personnes pour administrer un traitement aux protestataires. Pardiss Kebriaei, l’avocat principal de Sabry Mohammed, a décrit la détermination de son client pour forcer la décision. « Il m’a dit : Je ne veux pas ne pas manger, je ne veux pas me priver. Je ne veux pas mourir, je veux voir ma famille, mais j’ai été poussé à bout » (CBS News, 1er mai).

Une pétition initiée par l’ancien procureur col. Morris Davis pour fermer l’établissement de la baie de Guantánamo a fait l’effet d’une bombe avec 75 000 signatures en l’espace de 24 heures. « Il y a quelque chose de fondamentalement détraqué dans un système où, ne pas être accusé d’un crime de guerre vous garde enfermé indéfiniment, alors qu’une condamnation pour crime de guerre vous donne droit à un billet pour rentrer chez vous. » C’est la grande et brutale absurdité – la nécessité d’être condamné pour être libéré .

Des personnes tels que Buck McKeon, président républicain de la House Armed Services Committee, soutiennent ce qui est devenu une absurdité nécessaire. Bien que ça puisse être, pas simplement idiot, mais injuste de détenir le libéré et de ne libérer que le coupable, il a protesté du fait que Barack Obama « n’a présenté aucun plan alternatif en ce qui concerne les détenus là-bas, ni un plan pour les futures captures de terroristes » (Al Jazeera, le 1er mai).

Ces événements ont constitué un spectacle que l’administration Obama aurait voulu éviter, mais qui a entraîné ce qui semble être un geste calculé de l’empathie du Président. Le fait que la fermeture elle-même semble peu probable n’enlève rien au pathos – il joue un rôle en tant que commandant en chef, et craint que sa réputation n’en sorte démolie. Les recrues terroristes préparent des idéologies et des armes. Il est dommage que, malgré toutes ses qualités larmoyantes, la promesse de fermer la base n’aura pas beaucoup d’effet. Les Purgatoires sont, de par leur nature, inflexibles et, pour la prison de Guantánamo, irrésistibles.

Traduction Avic

Binoy Kampmark a été un Commonwealth Scholar à Selwyn College, Cambridge.Il enseigne à l’Université RMIT, Melbourne. Email: bkampmark@gmail.com

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