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19 avril 2024

Un hommage à Lucien Bitterlin, décédé il y a un an


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 18 Février 2018,

Catégories : #Politique arabe, #Algérie, #Syrie, #Irak, #Liban, #Palestine, #Libye, #Sionisme, #Proche-Orient

Scène de film « Les Barbouzes » de Georges Lautner

Par Christian Hongrois*

Barbouzes, vos papiers !

(1ère partie)

 

C’est bien là le problème, il n’y en a plus, dynamités, dispersés, ventilés façon puzzle.

Près de soixante années d’archives disparues.

Et là c’est pas un coup d’Audiard, une réplique de Blier, la manœuvre d’un Ventura ou la griffe du Lautner. Non, c’est bel et bien l’arnaque du siècle, enfin, du mien, celui qui me fit naître avec les barbouzes. J’avais quatre ans et Debré tournait la super-production de De Gaulle en ayant engagé des acteurs de l’ombre de sa Résistance, Le Tac, Ponchardier, Lemarchand, Hacq,,, pour foutre la pâtée aux subversifs de l’OAS. Il ne restait plus à Melnik qu’à trouver un metteur-en-scène pour s’engager, un bleu, un idéaliste, bref, un héros anonyme mais assez habile pour faire passer la pilule aux gaullistes puritains.

Lucien Bitterlin se trouva là, comme lieutenant de louveterie, à moins qu’on ne l’y ait un peu poussé car on ne saura jamais qui du hasard pond le destin de l’œuf de poule.

Volailles non labellisées, poulagas discrets, les barbes étaient nées de la conjonction de coordination qui devait répondre au « Mais où est donc Ornicar ?» de la voie de l’autodétermination algérienne.

Tout pétait, les nuits bleues n’illuminaient aucune conscience mais les feux d’artifice continuaient de faire croire que de toutes ces étincelles arriverait la lumière. Quelle connerie la guerre, « ma parole »… pour la Barbara de Prévert comme pour la Fatima de la casbah. Ornicar était dans le pétrin!

La Garenne-Colombes, Vendredi 17 Février 2017

 

Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco-arabe (ASFA)

Il est là dans un beau paletot de bois, matelassé, capitonné des plus grandes attentions de la poignée de proches qui tient encore debout, les hallebardiers du dernier cercle, les centurions d’une légion d’absents. Lucien Bitterlin est mort et je suis là, comme pour mon père, à ceindre le catafalque de mon attention, histoire d’en pouvoir saisir encore et encore les derniers secrets.

Il y a là ses filles, son gendre, ses petit-enfants et, croisant le vaisseau de chêne, l’encens du Grand-Orient, les huiles d’une politique pro-arabe et les bénédictions feutrées de vieux compagnons ébaubis de chagrin. Dix tout au plus, moi qui m’attendais à une marée, oubliant que la méditerranée est bien avare de mascaret.

Bon, les valeureux sont là, Jean-Pierre-G Foucault en capitaine de cérémonie, n’oubliant rien de son compagnonnage et mandaté par le grand Maître ; Maurice Buttin et ses plaidoiries pour que résonne France-Palestine ; les frères Terrenoire honorant la fidèle complicité entre leur Ministre de père Louis et Lucien Bitterlin ; Jean-Pierre Gonon l’avocat libéral à l’accent de Bab-el-Oued pour France-Algérie ; les proches palestiniens de la famille Hamchari en reconnaissance d’une si belle aventure littéraire ; le journaliste Gilles Munier de France-Irak ; le savant père arabophone Régis Morelon ; François Teiro et son Cœur-Monde au service des orphelins ; Marie-Josée de Saint-Robert pour représenter son mari, vieux complice de Lucien pour les prix Palestine…et quelques autres dont la discrétion m’aura sapé la curiosité de savoir.

Je me retrouve vite seul.

Dans cette chambre dont j’ai déjà oublié le numéro.

Casaque noire.

Après tout, le seul bon numéro c’est celui qu’on laisse gagner.

Il n’y a pas de hasard.

Funérarium des Batignolles, c’est un nom de foire,

mais heureusement que c’est au premier

du Boulevard Leclerc de Clichy, ça fait plus chic !

Ce n’est pas une chapelle mais une chambre dans l’alignement d’autres chambres, les unes occupées, d’autres libres et faut pas s’tromper, y’a du monde dans les couloirs et ça grouille de chagrins. Cette pièce a son chiffre de bronze doré comme à l’hôtel, c’est rassurant pour les âmes perdues. Elle est dite funéraire, c’est Guillaume Roussel, le maître du lien et d’autres rites plus discrets qui me l’a dit. Quelques sièges en désordre, sorte de chaises mais à part la bière, pas de bois ici, que du nickel-chrome, j’ai l’impression d’entendre « au suivant ». Enfin, faut s’adapter, et un mufti séculier me montre les vis posées en triangle évoquant l’équerre et le compas qui donneraient le nord à la fermeture du ban.

Là, je sais que je dois accomplir un devoir, celui que Lucien Bitterlin souhaitait pour être conforme à son engagement maçonnique. Il me faut le revêtir de son sautoir de vénérable et de ses gants blancs, vestiges de la pompe de la loge d’Edmond Rostand. Il manque son tablier qui a disparu dans la débâcle de presque dix années de combats contre Alzheimer, vieillesse et Parkinson. Commando delta de trois saloperies qui fit basculer Lucien six jours plus tôt, à  Saint-Raphaël près de sa fille Catherine.

Pas le moment de philosopher sur l’injustice des sorts, ni de s’attendrir sur la vie, mais c’est dur de ganter la raideur. Mes doigts se crispent sur ses mains fines et, agrippé à la nécessité de ce décorum, j’éprouve là une certaine fierté. Je sais, c’est puéril, mais tout se passe comme si ma présence face à Lucien, me rendait de l’absence de papa.

Au coin de la veste, sa légion d’honneur « modèle réduction » que je prends soin d’accrocher avec l’idée qu’il l’emportera au paradis et qu’il pourra foutre à la gueule, de Saint-Pierre ou des sbires de ses croyances, qu’il fallut, à la République et aux gaullistes, l’amnésie de cinquante ans de silence pour recevoir les insignes de son courage. Dans ma tête défilent les mots de papa après cette aventure barbouzarde, « tous des planqués ces politicards, sauf Lucien !». C’était un peu court, mais la concision, sous la plume des condamnés (par l’OAS), avait valeur de vertu car, comme disait l’autre, encore Audiard,  « la retraite faut la prendre jeune… faut surtout la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde »…

Il est beau, plastronné, médaillé, ganté, le visage fin de ses vingt ans. Sans doute déjà en train de se bidonner en voyant nos gueules d’enterrement. Faut quand même bien que nous aussi, les vivants approchions la fin par un début de crispations… ben oui, la mort, c’est sérieux.

C’est parti, feu vert pour la fermeture, on me regarde, mes gorilles me tendent le tournevis, empoignent le couvercle, le calent contre le ventre du cénotaphe et nous voilà mécaniquement investis pour clore le sujet dans sa majesté l’éternité.

Voilà.

Il reste la douane à passer, sorte de messe républicaine dans une chambre cérémonielle où chacun doit réciter les sourates d’une douleur de l’absence. Un pupitre, Lucien raide dans sa boite, au garde-à-vous pour écouter tomber les gouttes de notre reconnaissance et toutes ces gerbes, fleurs et couronnes pour étouffer de couleurs les envies de broyer du noir. Alors on écoute les mots, les voix et les chants qui perlent, qui sonnent le clairon du rassemblement des souvenirs de toute une vie. Courbevoie, La Garenne, sa famille, l’Algérie, ses engagements, la politique, De Gaulle, ses combats, les pays arabes, le journalisme et l’ab el baroud entre la flamme de son idéal et l’odeur du soufre d’une mèche de barouf.

Quelle vie !

Pour ses filles et ses petits-enfants, c’est le papa, pour d’autres c’est la cause palestinienne, le journalisme, la franc-maçonnerie, le militantisme ou encore son impossible pèlerinage pour la paix. Pour moi c’est le centurion des barbouzes. Que voulez-vous, éclectisme oblige, à chacun sa vision du commandeur qui se tire de là sous les hommages d’une poignée trop mince de témoins. Et là ça me fait braire, si peu de monde aujourd’hui, lui qui croisa, soutint, aida, hébergea tant de pèlerins de la paix en pays d’orient, de politiques, de ministres et de chefs d’État.

Allez, faut partir.

Au cimetière le caveau est ouvert, des berlines noires nous attendent.

« C’est le sort des familles désunies de se rencontrer uniquement aux enterrements » me glisse encore Audiard, mince, c’est une manie que j’ai de voir et comprendre en « barbouze », car « on n’emmène pas de saucisses quand on va à Francfort » mais je dois dire que là, sur le bitume des allées, les sycophantes se faufilent comme des glaçons dans l’anisette. Faut donc essayer de comprendre la langue des signes pour pas s’tromper. Il y a de l’incognito, des Personae non gratae, de l’agent-secret et  du cousinage entre patrons du pour et du contre-espionnage…

Le serpentaire de ce balai noir semble articuler son mouvement autour ou plutôt derrière  Madame l’ambassadrice Syrienne Lamia Chakkour. Quelques confidences honorifiques vite épinglées entre deux poignées de pétales de roses, l’hommage est rendu et son excellence se retire. Une cour de mandarins, sortie tout droit du synopsis d’un Lautner, serre des mains, courbe la tête, présente des condoléances attristées et murmure des silences de compassion. Il y a là la Tunisie, c’est sûr, sans doute l’Algérie, peut-être le Liban musulman et chrétien, nous n’en saurons rien de plus car telle est l’astuce, être là sans tbal ni zokra et encore moins d’objectifs ou de caméras.

Un comble pour un ancien journaliste de l’ORTF ?

Non, du tout, c’est juste beau la discrétion quand on veut rassembler des frères…ennemis !

Les maçons s’affairent déjà.

Le monument-caveau referme sa gueule d’enterrement.

Les fleurs couvrent la peine.

Le soleil tombe, le froid saisit et les idées remontent.

Bon Dieu de Nom de Dieu.

Je suis en pétard.

Bitterlin, où sont tes paperasses, tes centaines de dossiers, tes milliers de lettres, tes carnets d’adresses et tes billets secrets ? C’est vilain de jurer mais là ça m’emmerde de le savoir muet avec pour seule ordonnance une parcelle du cimetière de La Garenne-Colombes.

Soixante ans de correspondances, soixante ans de secrets, soixante ans d’archives, faut pas me prendre pour un con, ça disparaît pas comme ça. On n’écrit pas tant d’articles, tant de livres et on ne dirige pas une revue et une association voulue et décidée par De Gaulle sans laisser des tonnes de documents, des brouettes de dossiers et des quintaux d’indices.

Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.

A suivre : deuxième partie

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