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19 avril 2024

Irak, Libye, Iran… : quels enseignements tirer des précédents désarmements ?


Par Journaliste Figaro Alexis Feertchak

Irak, Libye, Iran… : quels enseignements tirer des précédents désarmements ?

VIDÉO – Plusieurs États ont abandonné leur programme nucléaire militaire, mais le sort de Mouammar Kadhafi, de Saddam Hussein et les récents déboires de l’accord iranien de 2015 pourraient inciter Kim Jong-un à se méfier.

L’histoire du désarmement est semée de victoires en trompe-l’œil. Mouammar Kadhafi renonça en 2003 à son programme nucléaire militaire. Ce geste du dictateur libyen, jusque-là honni par les dirigeants occidentaux, allait lui permettre d’amorcer un rapprochement avec les États européens. Mais à la faveur des printemps arabes, une révolution secoua le régime du Guide suprême, renversé et tué en 2011 par les rebelles libyens, soutenus par une intervention militaire occidentale. Quand le secrétaire américain à la Défense, John Bolton, par ailleurs farouche partisan de la guerre en Irak, déclara, fin avril, à propos des négociations avec Pyongyang que «la Libye était un modèle», le New York Times lui rétorqua que «la Corée du Nord pourrait le voir très différemment». L’argument du quotidien américain était assez intuitif: Kim Jong-un pourrait n’avoir aucune envie de finir comme Mouammar Kadhafi.

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«La mention du cas libyen par Bolton était pour le moins maladroite», confirme Guillaume Lagane, maître de conférences à Sciences Po Paris. Mais, nuance-t-il, «le passé ne laisse pas forcément présager l’avenir car le cas nord-coréen apparaît spécifique à bien des égards». Alors que Donald Trump et Kim Jong-un doivent se rencontrer dans moins de 24 heures lors d’un sommet inédit, Le Figaro revient sur les similitudes réelles ou apparentes entre la crise nord-coréenne et les précédents cas de démantèlement de programmes nucléaires ou, plus largement, d’armes de destruction massive.

● La Libye, mais aussi l’Irak et l’Iran

Pour Kim Jong-un, le cas de Mouammar Kadhafi n’est pas le seul sujet possible d’inquiétude. Par le passé, l’Irak possédait des stocks d’armes chimiques et biologiques considérables, qu’elle utilisa lors de la guerre qui l’opposa à l’Iran entre 1980 et 1988. Elle avait aussi lancé un programme de recherche nucléaire, issu comme dans le cas libyen d’une coopération avec les Soviétiques. Mais, vaincu en 1991 lors de la guerre du Golfe, Saddam Hussein dut accepter le démantèlement, sous supervision internationale, de l’ensemble des armes de destruction massive. En 2003, les États-Unis accusèrent pourtant Bagdad d’en posséder clandestinement – ce qui s’est révélé être faux – et intervinrent contre le régime baasiste, entraînant sa chute, ainsi que la condamnation à mort de Saddam Hussein.

Quant à l’Iran, elle mena son programme nucléaire jusqu’à l’accord de Vienne de juillet 2015 conclu par Téhéran avec les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) et l’Allemagne. Mais Donald Trump a annoncé, début mai, le retrait des États-Unis du texte, aujourd’hui menacé de caducité. Deux autres exemples qui pourraient dissuader Kim Jong-un de s’engager trop loin dans la voie du désarmement.
Que contient l’accord iranien sur le nucléaire ?
L’accord sur le nucléaire iranien avait mis fin en 2015 à 10 ans d’escalade entre Téhéran et la communauté internationale.

● La question démocratique

Le cas de la Corée se distingue néanmoins nettement de ceux de l’Iran, de l’Irak ou de la Libye. Aucun de ces trois pays n’a jamais réalisé d’essai nucléaire. Les programmes nucléaires de Bagdad et Tripoli n’étaient qu’embryonnaires. Plus avancé, celui de Téhéran était encore assez loin du «seuil nucléaire». «Pour qu’il y ait une dénucléarisation à proprement parler, encore faut-il qu’il s’agisse de véritables puissances nucléaires. Les cas sont rares. Il y a eu l’Afrique du Sud et deux États de l’ex-Union soviétique, l’Ukraine et le Kazakhstan», explique Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

L’Afrique du Sud a abandonné son programme nucléaire au début des années 1990. «C’est plutôt un modèle dans lequel la dénucléarisation accompagne un processus de démocratisation d’un pays appartenant déjà au bloc occidental», note Guillaume Lagane, qui nuance: «La gageure dans le cas nord-coréen est d’imaginer une dénucléarisation sans que le régime se transforme en profondeur».

● La spécificité de la Corée du Nord

Surtout depuis son dernier essai nucléaire en août dernier -probablement une bombe H- puis le tir d’un nouveau missile balistique intercontinental capable en théorie d’atteindre tout le territoire américain, Pyongyang est considéré par une majorité d’experts comme une puissance nucléaire de fait. «La question de savoir si elle est reconnue ou non comme telle par la communauté internationale est une autre question», précise Antoine Bondaz. «Le nucléaire a été inscrit dans la constitution nord-coréenne en 2012. Aucun pays dans le monde n’est allé aussi loin dans l’affirmation politique du nucléaire», ajoute le chercheur, qui estime qu’«une dénucléarisation est impossible à court terme». «C’était le sens du message de Bolton. Il entendait signifier que Washington souhaitait pour la Corée du Nord, comme pour la Libye, un démantèlement rapide et irréversible des capacités nucléaires, transférées aux États-Unis. C’est évidemment inacceptable pour Pyongyang», explique-t-il.

Une divergence qui explique le retour, courant mai, d’une rhétorique offensive entre Washington et Pyongyang, et la menace d’une annulation du sommet. «Un programme nucléaire, surtout bâti en opposition à la communauté internationale, sert de ciment à la nation, comme on peut le voir en Corée du Nord, mais aussi en Iran, au Pakistan ou en Inde», explique Cyrille Bret. Le maître de conférences à Sciences Po d’ajouter que le «pouvoir égalisateur de l’atome» permet, comme dans la fable de La Fontaine, à «une grenouille de se faire passer pour un bœuf». «Quand un État s’en prive, il prend un grand risque. Il faut que le négociateur en face, aujourd’hui les États-Unis, en ait absolument conscience», analyse-t-il.

● Le risque d’un nouvel anti-modèle de désarmement

Le pessimisme est-il de rigueur? Antoine Bondaz veut conserver un «optimisme prudent». «Le problème nucléaire nord-coréen va durer des années. Pyongyang suspend ses essais. C’est un simple message politique d’apaisement, car ils continuent en même temps de produire des armes et des vecteurs», analyse le chercheur de la FRS. Par le passé, l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Kadhafi ne disposaient pas d’un tel pouvoir de négociation avec les Occidentaux. Autre différence, Tripoli ou Bagdad ne pouvaient pas compter sur des parrains régionaux. «Il y a des puissances régionales qui refusent l’effondrement du régime, comme la Chine, et d’autres qui ne veulent pas d’instabilité régionale, comme la Corée du Sud», défend Antoine Bondaz.

«Un accord est envisageable, Kim Jong-un et Donald Trump pourraient y trouver leur intérêt», estime Guillaume Lagane. Pour l’enseignant de Sciences Po, la Corée du Nord n’est pas l’Iran: «Les Américains ont un rapport passionnel avec Téhéran, inscrit dans leur chair depuis 1979, mais rationnel avec Pyongyang. Donald Trump a pu jouer la carte de l’humour avec Kim Jong-un. Avec les Mollahs, les Américains ne rigolent pas». Un accord, mais lequel? «Le risque est d’aboutir à un accord partiel de simple contrôle des armements. Cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore car tous les États qui ont des velléités nucléaires verront que le programme nord-coréen a renforcé le régime et lui a permis de tordre le bras des États-Unis», conclut Antoine Bondaz. Un risque qui apparaît rétrospectivement comme le revers de la médaille des désarmements libyen ou irakien. Ceux qui regrettent Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi ne manqueront pas de noter que Kim Jong-un est beaucoup plus fort avec que sans la bombe.
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