Russie/Venezuela : le message de Poutine et Maduro à Washington

Lundi 10 décembre dernier, le ministère russe de la Défense annonçait que deux bombardiers stratégiques Tupolev Tu-160, un avion de transport militaire lourd Antonov An-124 et un avion long-courrier Ilyushin Il-62 étaient arrivés à l’aéroport international Simón Bolívar de Caracas.

Le ministre vénézuélien de la Défense, Vladimir Padrino, déclarait dans le même temps que près de 100 membres du personnel russe étaient arrivés dans le cadre d’un exercice aérien conjoint.

Padrino a rappelé que ces avions étaient déjà présents dans le pays en 2013, mais qu’il s’agissait désormais d’une  » nouvelle expérience « . La présence de ces avions fait suite à la venue à Moscou début décembre du président vénézuélien, Nicolas Maduro.

Les appareils russes, qui transportaient quatre membres d’équipage, ont effectué un exercice de 10 heures dans l’aire maritime caribéenne. Ils ont décollé de la base Libertador à Maracay, à deux heures de Caracas, survolé la mer des Caraïbes, les îles vénézuéliennes Las Aves et La Tortuga, puis la côte du Brésil, au sud, sur le Pacifique pour revenir enfin sur la base Libertaire.

Des sources proches des milieux anti-gouvernementaux affirment que les Tupolev TU-160 auraient déchargé plusieurs tonnes d’armes et de matériel stratégique sur la base de Palo Negro, la principale base militaire de l’armée de l’air vénézuélienne. Info ou intox ? Nul ne le sait, même s’il est sûr que cette présence militaire russe en pleine arrière-cour américaine a fait grincer bien des dents.

Les forces armées US, ainsi que le renseignement, suivaient d’un œil vigilant cette coopération dangereuse et « étroite » Poutine-Maduro, comme l’affirment les experts, les manœuvres se sont calmement achevées et les bombardiers ont regagné la Russie 5 jours après leur arrivée.

Il faut dire que le Tu-160 surnommé également « Blackjack » n’est pas n’importe quel appareil. Il s’agit d’un bombardier lourd supersonique à géométrie variable, conçu pour frapper des cibles stratégiques avec des armes nucléaires et conventionnelles dans les théâtres d’opérations continentaux.

Poutine et Nicolas Maduro semblent avoir envoyé un signal « clair » et « sans équivoque » en installant deux Tu-160 « au seuil » de l’Amérique, et il semble que le double message ait été bien reçu par Washington.

Ainsi, Derek Chollet, ex-assistant du secrétaire américain à La Défense, déclarait à propos de la présence militaire russe au Venezuela que Vladimir Poutine « cherchait apparemment à prévenir les États-Unis et démontrer qu’il pouvait  » jouer dans notre arrière-cour  » et que la Russie maintenait des capacités militaires considérables ». Cela suscite une préoccupation dans le contexte de « la coopération de deux antagonistes forts des États-Unis qui se réalise dans le style de la guerre froide », frémit-il.

Tony Shaffer, lieutenant-colonel à la retraite, précise de son côté la principale dangerosité du Tu-160, selon lui: « Ce bombardier a été conçu afin de permettre de percer la défense aérienne à haute et à basse altitude avec des armes nucléaires à son bord, c’est-à-dire, il est capable de livrer des armes nucléaires vers le lieu de destination. Cet avion a été construit pour pouvoir lancer une offensive et pénétrer dans notre espace aérien à l’époque de la guerre froide ».

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo n’a lui, pas caché son irritation, comme le prouvent ses déclarations insultantes sur Twitter où il parle de  » deux gouvernements corrompus qui dilapident l’argent public, écrasent la liberté pendant que leurs peuples souffrent « .

Des propos qui ont été jugé « non diplomatiques » et « inacceptables », de la part du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, qui ajoute que  » ce n’est probablement pas très approprié de faire de tels commentaires pour un pays dont la moitié du budget de l’armée pourrait nourrir toute l’Afrique « .

Des déclaration qui ont pour toile de fond des tensions américano-russes qui se sont intensifiées ces derniers mois, avec de nombreuses provocations US contre Moscou : attaques de drones sur des bases russes en Syrie, escalade du conflit provoquée par l’Ukraine dans la mer d’Azov, menaces de Washington d’abroger le Traité FNI avec la Russie, qui interdit aux deux pays de développer et déployer des missiles nucléaires à courte et moyenne portée (une mesure qui ouvrirait la porte à des déploiements de missiles US de portée intermédiaire ciblant la Russie à partir de la partie européenne ainsi que de l’Extrême-Orient), survol de l’Ukraine avec un avion de surveillance de l’US Air Force, envoi d’un destroyer américain à missiles guidés dans la mer du Japon, près de la base de la flotte de la marine russe dans le Pacifique. Sans parler de l’encerclement par les troupes de l’OTAN et le stationnement de milliers de ses soldats aux frontières directes de la Russie.

L’arrivée d’avions russes à Caracas est clairement une réponse de Moscou face à ces multiples provocations. Elle entre dans le cadre d’une approche consistant à continuer à améliorer son pouvoir de dissuasion et à préserver l’équilibre stratégique, tout en évitant d’entrer en confrontation directe avec les États-Unis.

C’est pour cette raison qu’il y a peu de chance de voir s’installer une présence militaire russe à long terme dans les Caraïbes, même si ce sujet semble avoir été discuté lors de la récente visite du président vénézuélien Nicolas Maduro à Moscou.

Ce dernier compte sur le maintien de relations étroites avec la Russie afin de dissuader Washington de tout plan d’invasion hypothétique visant à renverser le gouvernement actuel, avec la participation d’autres pays sud-américains. Une possibilité qui n’est pas à l’ordre du jour, mais qui revient souvent sur la table, alors que les Américains ont échoué à faire chuter le pouvoir chaviste, malgré de multiples tentatives et manipulations internes. Elle a d’ailleurs été encouragée cesanaly derniers jours par le député Eduardo Bolsonaro, fils du très pro-américain président brésilien.

On se souvient que lors de la rencontre avec Maduro, Poutine avait fait une référence à peine voilée au programme américain de changement de régime à l’égard du Venezuela, affirmant que la Russie condamnait « toute mesure liée au terrorisme et toute tentative visant à changer la situation en utilisant la force ». Un soutien clair à Nicolas Maduro qui a affirmé il y a quelques jours que “ les avions et les équipements militaires russes continueront à arriver au Venezuela ”.

Mais un autre pays compte également montrer de manière claire son soutien au Venezuela, tout en affirmant sa présence militaire dans le pré-carré géographique US : la République islamique d’Iran.

En effet, au début du mois de décembre, le commandant adjoint de la marine iranienne, le contre-amiral Touraj Hassani Moqaddam, a déclaré :  » Nous prévoyons prochainement d’envoyer deux ou trois navires équipés d’hélicoptères spéciaux au Venezuela en Amérique du Sud pour une mission pouvant durer cinq mois « .

Cette mission, selon les autorités iraniennes, pourrait inclure le nouveau destroyer Sahand, présenté le même jour à la base de Bandar Abbas. Un navire, construit en Iran, dont tout indique qu’il possède des propriétés furtives pour échapper à la détection radar, dispose d’une autonomie de mouvement de 5 mois sans ravitaillement, est équipé d’une plate-forme d’atterrissage d’hélicoptères et a la capacité de lancer des missiles.

Une bien mauvaise nouvelle pour Washington si ce projet venait à se réaliser.