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19 mars 2024

Sondage biaisé sur le complotisme : vers la mise en place de la police de la pensée ?


Vu du Droit

Mathieu Morel

Jeudi 7 février 2019

D’après une enquête de l’IFOP – dont on rappelle à toutes fins utiles qu’il n’appartient pas à Brigitte Trogneux – beaucoup trop de Français seraient enclins à croire à n’importe quoi. Rassurons-nous tout de suite : ceux qui ont cru qu’Emmanuel Macron serait un rempart contre le retour des fascismes ne sont pas visés. L’enquête s’est juste amusée à présenter à 1500 Français « représentatifs » quelques échantillons de théories rigolotes pour aboutir au constat terrifiant que seuls 35% ne croyaient à aucune. Ce qui permet d’envisager que confier le droit de vote à tous les autres procède d’un idéalisme un peu angélique.

On notera d’abord, sans grande surprise, que dans ce genre de gaudriole surgit rapidement Rudy Reichstadt, qui est au complotisme ce qu’Agnès Verdier-Molinié est à l’économie : un expert incontestable et au-dessus de tout soupçon. De ces chevaliers blancs qui combattent bec et ongles toute forme de ce qu’ils nomment « simplisme » en y opposant, à leur tour, un manichéisme et une mauvaise foi contre lesquels, en effet, il n’y a rapidement plus grand chose à répondre. De guerre lasse.

Ce genre d’étude permet en général de désigner à peu de frais un ennemi aux contours vagues, ce qui le rend d’autant plus effrayant et permet aux gens raisonnables de resserrer héroïquement leurs rangs contre un péril aussi sournois que nébuleux. On n’a toujours pas, aux dernières nouvelles, donné de définition précise au « complotisme », cette maladie obsessionnelle qui frappe tant d’esprits faibles et influençables (suivez le regard). On y trouve, pêle-mêle, les hurluberlus persuadés que la Terre est plate quand bien même une ministre nous rappelle que Galilée a prouvé qu’elle était ronde (!), ou que les extra-terrestres nous manipulent, mais également les paranoïaques qui voient dans tout attentat un complot du pouvoir ou dans tout coup d’état une ingérence étrangère (on oubliera pour l’occasion ceux à qui les faits ont fini par donner raison, c’est malheureusement arrivé aussi), jusqu’aux sceptiques compulsifs qui se demandent si on ne nous raconte pas, ici ou là, parfois des salades ou, enfin, les circonspects qui se font assez peu d’illusions sur la candide ingénuité des gens de pouvoir.

La Terre est ronde

La rotondité de la Terre ne fait a priori plus beaucoup de doute. Le grand complot Illuminati/Sionistes/Templiers/reptiliens n’amuse qu’assez peu de monde. En revanche, la poignée d’authentiques dérangés qui y croient mordicus fait l’objet de toutes les attentions de ces nouveaux maccarthystes du Ministère de la Vérité et il est amusant de noter avec quelle malhonnêteté ils se livrent à des raccourcis qui n’ont rien à envier aux « simplismes » qu’ils prétendent combattre. Ainsi, s’il est a priori stupide de croire que l’attentat de Strasbourg a été « commandité par le pouvoir pour faire diversion aux Gilets Jaunes » (encore que, rappelons-nous, des hurluberlus ont probablement prétendu à l’époque que l’incendie du Reichstag était un complot – honte sur eux !), le seul fait de se demander si le pouvoir n’a pas « sauté sur l’aubaine » pour espérer clore le chapitre fait illico de vous un « complotiste ». De même, imaginer qu’il ait pu « profiter » des divers attentats qui frappent le pays depuis environ 4 ans pour renforcer un système de « répression préventive » serait complètement farfelu. Franchement ? Comment peut-on raisonnablement penser qu’ils auraient laissé passer de telles « occasions » ? Ca serait, pour le coup, les prendre vraiment pour des imbéciles.

Dans le même ordre d’idée, alors que les Illuminati ne font frissonner qu’une poignée infime de nos congénères, oser évoquer une éventuelle collusion d’intérêts qui rassemblerait des cercles tels que « Bilderberg », « la Trilatérale », « le Siècle » (et d’autres sans doute : peut-être également le Lions ou Rotary Club du coin) est forcément suspect. Suspect de « complotisme », auquel on ne tardera pas à adjoindre son inévitable corollaire, « antisémitisme » (dans Bilderberg, il y a « berg »… et Attali, aussi). Comment peut-on sérieusement imaginer que le fait que des gens du même cercle, du même milieu, qui se réunissent entre eux dans des machins dont ils entretiennent sciemment et avec une ostentation gourmande le caractère à la fois secret, opaque, mystérieux et tonitruant, peut produire chez ceux qui en sont exclus autre chose que – dans le meilleur des cas – de la méfiance ? Il faudrait être singulièrement idiot ou profondément pervers. Manque de chance, même si quelques illusions commencent à tomber depuis l’avènement de notre prince-enfant-roi, on ne se résout toujours pas à les croire suffisamment idiots.

Lorsqu’un président nouveau-né, vainqueur par effraction d’un jeu de massacre organisé par ses propres mécènes, se pique de célébrer son Austerlitz, son « Paris outragé, martyrisé mais libéré », sa marche héroïque jusqu’au pied d’une pyramide, que faut-il y déceler ? Rien ? La preuve qu’ »ils sont parmi nous » (les reptiliens, les Illuminati, les Pharaons, les Sionistes, les trucs et autres machins) ? La maladresse spontanée, la gaffe inopinée, l’erreur de communication d’un débutant candide qui pensait ingénument bien faire ? Ou le calcul sournois d’une équipe de « communicants » déterminés à faire feu de tout bois, dussent-ils mettre eux-mêmes le feu partout ? De cette soirée éloquente, on n’a pas retenu grand-chose du discours (mais peut-être n’y avait-il pas grand-chose à en retenir). En revanche, on a assisté à une singulière guerre de tranchées, abondamment commentée, entre ceux qui, comme c’était à prévoir, voyaient le mal partout et ceux qui, grands princes, ne le voyaient évidemment nulle part. Les uns accusant les autres à juste titre. Et réciproquement.

Est-ce ça, le progrès ?

De barrage en barrage (« Faites ce que vous voulez mais votez Macron », titrait tout en nuance un journal sérieux dont le directeur prononce avec délices des fatwas contre quiconque approche l’extrême-droite, tout en s’offusquant qu’on lui rappelle parfois ses propres intimités avec Le Pen), faut-il à ce point renoncer à tout ce qui ressemble à de l’esprit critique au motif que ça pourrait « faire le jeu » du complotisme ? A quoi servent ces enquêtes, études et autres « observatoires », qu’on ne saurait évidemment accuser ni de bêtise angélique, ni de rouerie machiavélique, sur le « complotisme » ?

Constatant que tous ceux qui doutent ou s’interrogent ne sont pas forcément des imbéciles paranoïaques, ces experts en circonvolutions ont même inventé un nouveau concept : le « confusionnisme », bidule ingénieux qui, à l’instar du « point Godwin » ou de la « merveilleuse construction européenne » confère autorité à celui qui le brandit pour stériliser d’avance toute discussion en postulant que l’interlocuteur est atteint d’une maladie mentale, au mieux disqualifiante. Le « confusionnisme » est au complotisme ce que le « révisionnisme » est au négationnisme : une forme pernicieuse de présomption de culpabilité. Douter, chercher à comprendre, est forcément suspect. Donc, nécessairement, préventivement répréhensible (en vertu du « principe de précaution » sans doute). Les lois de circonstance ne traduisent pas autre chose. Et l’on sait où elles mènent. On oublie, en revanche, un peu trop rapidement d’où elles viennent.

La mise en place de la police de la pensée

De façon rampante et sous un label « libéral » de plus en plus usurpé, se met doucement en place une police de la pensée. Bien sûr, ses milices ne tabassent plus (du moins pas encore). Elles persiflent, susurrent, suggèrent, excitent puis, lorsque le fruit semble mûr, excommunient en bloc. Le « monde libre » répète qu’il tolère tout mais s’indigne qu’on puisse oser le mettre en doute. Fatalement, ce monde-là, au vocabulaire enflé de « libéralités », finit par se retrouver à son tour acculé par ses contradictions et redécouvre les vertus de l’autoritarisme le plus « illibéral ». Il faudra, un jour ou l’autre, réapprendre à appeler un chat un chat, et à distinguer un « adversaire politique » d’un ennemi. Un adversaire, on peut au moins discuter avec lui, parfois même s’engueuler vertement. D’un ennemi, il n’y a rien à espérer. Et si, par habitude, par conditionnement, par confort ou frilosité, on se pique de le traiter en adversaire loyal, on peut être sûr d’une chose : il nous tirera dans le dos à la première occasion.

La fameuse « sécession des élites » est consommée, constatée, et ce n’est que parce que les gueux de bonne volonté hésitent toujours un peu à en accepter toute la brutalité qu’elle paraît encore feutrée. En réalité, elle ne n’est plus : les élites ont décidé de mettre au pas les récalcitrants. Elles leur ont désormais déclaré une guerre totale, sans merci. Et ce, d’autant plus volontiers qu’elles escomptent bien en avoir encore une d’avance.

« Les complotistes » constituent alors un adversaire idéal : on ne va jamais avec plaisir s’exposer à l’accusation savonneuse et infamante de « complotiste », paranoïaque ou illuminé. A leurs violences policées, leurs aimables provocations et leurs mensonges de plus en plus grossiers, ils exigent encore que nous répondions poliment, avec les éléments de langage usuels et validés par eux-mêmes. Après avoir soigneusement miné le terrain, ils n’attendent qu’une chose : que nous fassions le premier (faux) pas, que nous tirions les premiers, pour nous en rendre responsables.

Dans cette « drôle de guerre », l’énergie dépensée à se débattre, se défendre, à refuser de voir ce qui crève les yeux nous rend toujours un peu plus vulnérables.

 

 

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Source : Vu du Droit
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