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19 avril 2024

L' »État islamique » : une multinationale qui brasse des millions


jeudi 23 octobre 2014

L' »État islamique » : une multinationale qui brasse des millions

C’est le groupe terroriste le plus riche de l’histoire. À la tête d’une fortune colossale évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars, l’organisation État islamique (EI) a tout loisir de poursuivre son avancée en Syrie et en Irak, et payer les quelque 30 000 djihadistes qui l’ont rejointe. D’où tire-t-elle ce pactole ? Les regards se tournent en premier lieu vers le Golfe, où de riches donateurs ont profité de la guerre en Syrie pour financer les groupes rebelles les plus extrémistes, avec la bénédiction de leur pouvoir pressé de voir Bachar el-Assad tomber.
Or, ces dons ne représenteraient en réalité qu’une infime partie des revenus de l’État islamique. « L’EI ne reçoit qu’une proportion marginale de donations extérieures qui ne correspondent plus qu’à 2 % de leurs revenus générés annuellement », affirme Jean-Charles Brisard, consultant international spécialiste du terrorisme, qui vient de rendre un rapport sur les sources de financement de l’EI. « Cette organisation est aujourd’hui autosuffisante. »
En s’emparant, entre 2013 et 2014, de vastes pans de territoires en Syrie et en Irak, l’EI a fait main basse sur une dizaine de champs pétrolifères qu’il a immédiatement exploités. D’après le cabinet américain IHS, sa production lui rapporterait deux millions de dollars par jour, soit 800 millions de dollars par an. « Les djihadistes ont poussé les fonctionnaires de chaque champ à poursuivre leur travail sur le site en continuant à les payer », explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes au cabinet NGC Consulting. « Et il ne faut pas oublier que l’EI est formé d’anciens cadres de Saddam Hussein, et qu’il a été rejoint par des diplômés en provenance du Golfe. »
Conscients que le pétrole brut, qui est plus facilement traçable, ne leur apporte aucun revenu, les djihadistes sont allés jusqu’à construire de petites raffineries artisanales afin de produire leur propre carburant. Qui sont les acheteurs ? « Une grande partie est consommée pour leurs propres besoins, décuplés en tant de guerre, et le reste est vendu », indique Francis Perrin, président de Stratégies et politiques énergétiques. « L’EI ne disposant pas de réseaux propres, il est allé chercher ceux qui existaient déjà dans la région sous l’embargo irakien et iranien. Il s’agit d’intérêts économiques et de groupes criminels s’achetant des complicités et profitant de la porosité de la région pour réaliser leur business. »
À la baguette, des négociants moyen-orientaux peu scrupuleux qui se sont notamment enrichis dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture » sous Saddam Hussein, et qui profitent de la percée de l’EI pour réactiver leurs réseaux. « Surtout que, plus le commerce est risqué – et c’est le cas avec l’EI -, plus la décote est forte », souligne Francis Perrin. Et avec un baril vendu de 25 à 30 dollars – une misère comparé aux 85 dollars du cours normal -, le pétrole « État islamique » est très prisé. Il transite ainsi via le Kurdistan irakien, la Turquie ou la Jordanie.
En Syrie, d’où ils tirent la majorité de leur or noir, les djihadistes s’appuient sur les tribus locales qui géraient déjà les champs pétroliers sous Bachar el-Assad. « Celles-ci activent donc les mêmes réseaux commerciaux, mais à des prix inférieurs », affirme Jean-Charles Brisard. Pour contrer ce commerce lucratif , l’aviation américaine vise depuis fin septembre les raffineries de l’État islamique en Syrie. Une initiative indispensable pour tarir le financement de l’organisation, mais qui ne suffira en aucun cas à la mettre à terre. Car, bien au-delà du pétrole, l' »État islamique » se comporte en véritable multinationale.
Extraction de gaz naturel ou de phosphate, production de blé, d’orge ou de ciment, les djihadistes ont repris le parc industriel du vaste territoire – plus grand que le Royaume-Uni – dont ils disposent. « En Syrie, ils produisent assez de pain pour nourrir chaque jour un million de personnes », souligne Romain Caillet. « De fait, même si l’EI n’est pas reconnu comme un État, il en a les capacités, et demeure aujourd’hui plus organisé que certains pays africains. » Une analyse que tempère Jean-Charles Brisard pour qui ces ventes de produits à prix coûtant visent avant tout à « s’attacher la sympathie des populations locales ».
En échange, les « habitants de l’État islamique » sont tenus de s’acquitter d’une myriade d’impôts – la « jebaya » (la collecte en vigueur sous les anciens califats, NDLR) -, répondant chacun à un impératif islamique. Impôts sur le revenu directement ponctionné sur le salaire, prélèvements lors des retraits d’argent, droit de protection des minorités, taxe pour le transit des véhicules de marchandise, dîme sur le gaz, l’électricité, les transactions des commerçants, tout est bon pour financer le nouvel État autoproclamé. Le tout contrôlé par un vrai ministère des finances disposant dans chaque région de comités et publiant ses résultats, graphiques à l’appui. Soit une somme totale de 360 millions de dollars par an, ce qui représente, selon Jean-Charles Brisard, environ 12 % des revenus annuels de l’EI. Même si ces impôts, prélevés sous la contrainte, demeurent inférieurs à ceux en vigueur sous les États syrien et irakien.
Un véritable casse-tête pour l’Occident, peu armé pour sanctionner cette économie informelle qui contourne le système financier international. D’autant qu’à cette manne financière s’ajoutent les recettes des rançons d’otages, des vols (comme les 425 millions de dollars dérobés dans la banque centrale de Mossoul en juin), du racket et des extorsions de fonds. Un pactole qui permet à l’EI d’assumer pour l’heure toutes ses dépenses (ses meilleures armes ayant été puisées dans l’arsenal américain de l’armée irakienne déliquescente), mais qui risque bientôt de ne pas suffire pour gérer les besoins (électricité, salaires des fonctionnaires) de son « État », surtout si celui-ci est amené à s’étendre.
« L’EI a beau se comporter comme un État, il ne dispose certainement pas des ressources suffisantes pour faire fonctionner durablement tous les services publics de ses régions », pointe Jean-Charles Brisard. Car, après avoir proclamé son « califat » en juillet, l’organisation État islamique doit maintenant s’atteler à une tout autre mission : gérer le quotidien de ses 8 millions d’habitants.

(23-10-2014 – Armin Arefi)

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