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24 avril 2024

Un ancien soldat de Tsahal : « Je faisais partie d’une organisation terroriste »


Un ancien soldat de Tsahal : « Je faisais partie d’une organisation terroriste »

Un ancien soldat de Tsahal : « Je faisais partie d’une organisation terroriste »

Yonatan Shapira est né sur une base militaire israélienne un an avant les bombardements d’octobre 1973 auxquels son père a participé. Trente ans plus tard, dont douze passés dans l’armée de l’air israélienne, Shapira a déserté l’armée et est devenu militant pour la paix.

En 2003, il avait écrit une lettre [ndQ+ : signée par 27 pilotes] dans laquelle il expliquait son refus de survoler la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées.

Shapira fait partie d’une minorité d’Israéliens qui a déclaré son soutien à l’appel au BDS contre Israël (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) lancé par la Palestine. Il a également été attaqué par l’armée israélienne pour avoir tenté d’atteindre Gaza par voie maritime et de briser le siège.

Il a récemment accordé un entretien à The Electronic Intifada au travers d’un contributeur du site, Ryan Rodrick Beiler.

Ryan Rodrick Beiler — Expliquez-nous comment c’était de grandir dans une famille de militaires ?

Yonatan Shapira — L’éducation que j’ai reçue, c’était surtout des valeurs socialistes telles que la paix, l’égalité, la liberté, prendre soin de son prochain, des pauvres… Mais en même temps, il y avait une véritable muraille de mépris à l’égard de la Palestine. Au même moment où j’apprenais ces belles valeurs en classe, l’armée israélienne occupait, volait des terres, construisait des colonies, et commettait des massacres et des déportations d’activistes palestiniens.

Mais j’ignorais toutes ces choses. Je croyais véritablement que je devais défendre mon pays. Je voulais être comme mon père, un pilote de l’armée de l’air, et mon rêve s’est réalisé lorsque j’ai été accepté dans l’aviation militaire. Je suis devenu pilote d’hélicoptère et j’ai effectué plusieurs missions de sauvetage et de transport de troupes.

Quand avez-vous commencé à remettre en question les agissements de l’armée ?

J’ai réalisé que quelque chose allait de travers lorsque le gouvernement israélien a commencé ce qu’on a baptisé « la politique d’assassinat » entre 2001 et 2003. La Résistance palestinienne n’a pas été en mesure d’obtenir la libération, et des attitudes plus extrêmes ont eu lieu, telles que des attaques suicide et autres formes de lutte armée. Le gouvernement a donc jugé bon d’assassiner quiconque était lié de près ou de loin à la résistance armée.

Les pilotes étaient alors envoyés en missions avec pour objectif de lancer des missiles sur les voitures de ces individus. Au début, il fallait que la voiture soit sur une route hors agglomaration au moment de la frappe. Par la suite, on nous a permis d’abattre les suspects lorsqu’ils se trouvaient à proximité de la ville. Et finalement, l’assassinat pouvait parfaitement être commis lorsque la cible se trouvait au beau milieu d’un marché, ou à son domicile, la nuit, avec sa famille.

En juillet 2002, Salah Shehadeh, le chef de la branche armée du Hamas à Gaza, a été bombardé en pleine nuit par un F-16 qui venait de larguer une bombe d’une tonne sur son domicile, où il se trouvait avec sa femme et ses enfants. La bombe a tué quinze personnes, majoritairement des enfants, et a blessé près de 150 personnes. Si j’avais encore besoin de réponses à mes questions et à mes doutes, c’était désormais clair : il s’agissait d’une attaque terroriste pure et simple, et je faisais partie d’une organisation terroriste.

Le commandant de l’armée de l’air avait déclaré que tout s’était déroulé à la perfection, et que les pilotes pouvaient dormir sur leurs deux oreilles cette nuit. C’était un élément supplémentaire qui nous a aidés à comprendre : lorsque quelqu’un vous dit que vous pouvez dormir paisiblement la nuit, peut-être qu’en réalité, il est temps de se réveiller et de commencer à réfléchir. Pour moi et plusieurs amis, c’est à ce moment que nous avons décidé de faire quelque chose.

Vous et 26 autres pilotes avez publié La lettre des pilotes, qui condamnait les attaques d’Israël sur des civils. Qu’est-ce que cela a changé pour vous de sortir de l’ombre ?

C’était comme une renaissance pour nous. Nous avons fermé un chapitre de nos vies, et nous sommes devenus, à mon sens, des militants pour la paix, les droits de l’homme et la liberté. Aux yeux de beaucoup dans notre société, nous sommes devenus des traîtres.

Nous n’étions pas les premiers soldats israéliens à agir sur base de leurs convictions. En 1982, beaucoup de soldats ont refusé de participer à la guerre au Liban et ont été emprisonnés. En 2002, un autre groupe de soldats a préféré aller en prison plutôt que d’accomplir son devoir de réserviste en Cisjordanie et à Gaza.

Plus récemment, 43 soldats d’une unité d’élite du renseignement, l’unité 8200, ont déclaré leur refus de participer à ces actions criminelles. Par ailleurs, de jeunes lycéens ont décidé qu’ils ne voulaient pas rejoindre l’armée israélienne car elle était impliquée dans des actes terroristes contre des civils. Désormais, nous avons des citoyens israéliens qui sont emprisonnés, la plupart du temps pour une durée qui varie de 6 mois à un an.

Il faut énormément de courage pour faire cela lorsque vous avez seulement 18 ans. Je n’avais pas ce courage et je ne disposais pas d’une information véritable. Je n’avais pas conscience de tout ce qui se passait. Il m’a fallu 12 ans dans l’armée de l’air pour comprendre que je me battais du mauvais côté.

Si vous ne vous battiez pas du bon côté, comme vous dites, qu’avez-vous fait pour changer cela ?

Ce n’est pas suffisant de ne pas être complice de quelque chose qui est mal. Il faut agir dans le droit chemin et faire partie de la solution.

Nous pensions que la prochaine étape était de rencontrer des anciens combattants palestiniens et de trouver des éléments qui nous rassemblaient afin d’œuvrer ensemble pour la paix. En 2005-2006, nous avons mis sur pied une organisation appelée Combatants for Peace (Combattants pour la paix). Il s’agit là de l’expérience la plus forte d’un point de vue symbolique de toute ma vie : entrer dans une pièce où se trouvaient les personnes dont j’avais une peur bleue auparavant, car ils étaient censés nous entretuer. Puis soudainement, on s’assoit et on se met à discuter avec eux de son histoire, de sa famille et de ses amis. En sortant de cette pièce, je suis devenu une personne différente. Le « nous » et le « eux » que vous aviez appris auparavant n’existaient plus. Nous avons réalisé qu’en réalité, nous ne sommes pas si différents que cela les uns des autres, bien au contraire.

C’était très important pour nous : pour les Palestiniens et pour les Israéliens. Mais par la suite, j’ai cependant réalisé que le contexte était problématique, car ce n’est pas un conflit équilibré. Il ne s’agit pas d’un combat entre deux pays, mais d’une lutte coloniale entre le colonisateur et le colonisé. Il y a donc un problème conceptuel lorsqu’on veut créer quelque chose qui est basé sur une équité de pouvoir, alors que cette équité n’existe pas.

Quel est votre rôle en tant que militant israélien lorsque les deux parties ne sont pas égales ?

Devenir une personne qui rejette le dogme, une personne consciente qui refuse ces inégalités, est une étape importante. Il s’agit de réaliser que cela n’a rien à voir avec vous ou moi. Ma vie est somme toute très belle, malgré mes petits soucis, comparée à celle des populations massacrées à Gaza. L’étape d’après, pour moi (pas pour toutes les membres de ces organisations, beaucoup d’entre elles ne désirant pas franchir le cap), était de réaliser qu’il me fallait rejoindre la lutte pour la libération.

En raison des problèmes que vous mentionnez, le dialogue peut-il encore être utile pour la libération ?

J’essaie de ne pas négliger cet outil, car je crois que cela permet de mobiliser de plus en plus de militants. Et nous avons besoin de plus de militants. Donc, malgré ce contexte problématique, j’essaie de poursuivre la voie du dialogue, mais, et il s’agit là d’un gros « mais », il est impératif que le contexte permette d’aborder l’inégalité des forces en présence et la réalité du terrain. Je crois sincèrement que dans ces conditions, le dialogue est un outil légitime, mais uniquement si les intervenants sont d’accord sur le côté subversif et engagé de ce dialogue pacifiste.

Si les enfants viennent jouer, chanter et discuter ensemble, puis que les enfants israéliens s’enrôlent dans l’armée et que les enfants palestiniens vont en prison pour avoir participé à une manifestation ou que sais-je, cela n’aura servi à rien. On aura juste permis aux Israéliens de se sentir un petit peu mieux, ainsi qu’aux donateurs américains et européens.

Nous sommes désormais en train d’aborder la normalisation. Nous essayons, avec nos partenaires palestiniens (et ce dans le cadre des frontières de 1948) de tout mettre en œuvre pour ne pas devenir des outils qui permettraient à la masse israélienne endormie de considérer l’occupation comme légitime. C’est un processus délicat, mais notre programme est clairement défini. Nous n’avons pas besoin de dire ce que nous pensons, cela se produit naturellement dans le cadre de nos discussions car nous tentons de faire part de nos préoccupations, et nous faisons en sorte que tous les sujets d’injustice manifeste, comme la Nakba en cours, sont abordés, et le résultat est incroyable.

Vous parlez de « normalisation », mais certains affirment que toute coopération avec les Israéliens, même des militants, est déjà une sorte de normalisation.

Certains Palestiniens ne veulent pas avoir de rapports avec les Israéliens car tout est de la normalisation, il n’est donc pas possible de lutter ensemble. D’accord, je peux concevoir ce point de vue car je peux en comprendre les raisons : la souffrance et la colère.

Il y a également une base philosophique que je respecte. Vous pouvez lire Steve Biko et Frantz Fanon : les Blancs ne comprendront jamais ce que les Noirs ont à endurer, et toute participation des Blancs à la lutte des Noirs est en partie due à leur désir de ressentir moins de culpabilité, et produira davantage de dégâts que de bénéfices.

Ce sont des arguments valables. Toute chose a ses avantages et ses inconvénients, et je vois bien les avantages de rejoindre cette lutte. Je crois qu’il s’agit d’une injustice, et que nous avons le devoir d’y remédier au nom de toutes les personnes impliquées.

Quel lien entretenez-vous avec le mouvement BDS ?

Je fais partie du Boycott from Within (Boycott de l’intérieur), des Israéliens qui soutiennent le boycott tout comme les activistes blancs en Afrique du Sud soutenaient le boycott contre l’Apartheid. Le mouvement n’est pas encore très important, mais il s’agit d’une graine pour la coexistence future. Le mot « coexistence » n’est pas très joli à dire… Parlons plutôt de co-résistance. Luttons ensemble. Résistons aux politiques d’apartheid et de racisme, et ensuite, nous pourrons coexister.

Quand je lis les principes soutenus par le mouvement BDS, je suis tout à fait d’accord. Il y a trois buts principaux : mettre fin à l’apartheid pour les Palestiniens dans le cadre des frontières de 1948, mettre fin au contrôle de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, et promouvoir le retour des millions de réfugiés palestiniens de par le monde.

Tous les gauchistes sont généralement d’accord sur le fait que l’occupation est néfaste, qu’elle devrait cesser. Il n’y a pas besoin d’être un Israélien particulièrement engagé pour soutenir la fin de l’occupation. Mais promouvoir le droit de retour des Palestiniens, cela touche la notion même de l’État juif. Même la gauche progressiste israélienne a du mal à s’accommoder de cette idée. C’est presque comme s’il fallait mener une véritable bataille émotionnelle avec les restes de sionisme en vous pour réaliser qu’il n’est pas possible d’obtenir la paix et la liberté si pour vous, une personne vaut plus qu’une autre. Voilà pourquoi nous n’attendons plus rien des Israéliens qui vivent en Israël.

Vous avez désormais passé autant d’années de votre vie en tant que militant que dans l’armée. Qu’est-ce qui vous aide à tenir le coup ? Y a-t-il des signes qui vous donnent de l’espoir ?

Même si je mène des actions, comme par exemple participer à la flottille pour Gaza ou passer quelques jours en prison de temps en temps, je suis surpris par le nombre de fois où, en marchant dans la rue, je rencontre des personnes que je n’ai pas vu depuis des années, et ces personnes viennent m’embrasser et me remercier. Nous représentons ce qu’une partie de la population pense, même si cette partie de la population n’est pas encore totalement engagée. Nous ne sommes donc pas un petit groupe de fous.

Et si vous vous rendez sur les campus aux États-Unis, l’atmosphère a totalement changé, comparé à il y a une dizaine d’années. J’ai effectué plusieurs voyages aux États-Unis depuis 2004, et chaque fois, je constate un changement de mentalité, un changement positif. De nombreux militants, membres de comités de soutien envers la Palestine, sont des étudiants juifs. Leurs parents soutenaient l’AIPAC et les lobbies de la droite juive, mais la seconde génération soutient les Palestiniens et travaille main dans la main avec eux.

En 2005, lorsque j’ai organisé plusieurs conférences, Jewish Voice for Peace comptait 7 sections. Désormais, ils en comptent plus de 40. Ils représentent l’avenir et la nouvelle génération de juifs aux États-Unis.

Le mouvement BDS n’attend rien des politiciens. Des millions de personnes en Europe, aux États-Unis et dans le reste du monde nous soutiennent. Peut-être que comparé aux juifs israéliens en général, nous sommes minoritaires, mais de par le monde, en général, le soutien est grandissant. Et il ne s’agit pas d’un soutien contre les juifs ou contre les Israéliens. Il s’agit de l’existence mutuelle future de la paix et de la terre. Quant à la question de la solution à un ou deux États, un des deux États existe déjà. La question, c’est de savoir si celui-ci restera un État d’apartheid ou s’il deviendra un lieu d’égalité pour tous.

Article rédigé par Ryan Rodrick Beiler, photojournaliste indépendant et membre du collectif ActiveStills. Il a vécu en Palestine de 2010 à 2014 et réside désormais à Oslo, en Norvège.

Traduction : Fabio Coelho pour Quenel+

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