Aller à…
RSS Feed

28 mars 2024

“La charia, œuvre humaine désuète”, Mohamed Talbi


MONAFRIQUE

“La charia, œuvre humaine désuète”, Mohamed Talbi

Islamologue et historien tunisien, Mohamed Talbi, est considéré comme un ardent défenseur de la laïcité et de l’intentionnalité, tout en livrant un combat acharné contre les « désislamisés » ou ceux qui osent remettre en question la véracité du Coran. Entretien avec Amir Mastouri.

la-charia-uvre-humaine-desuete-mohamed-talbi

Crédit photo: Tous droits réservés d.r.

Après des années de lutte contre la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali au sein du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), cet intellectue de 91 ans poursuit sa lutte pour la liberté. « Mourir pour mourir, autant mourir libre », avait-il déclaré à la chaine LCP dans un documentaire intitulé « la Tunisie des oubliés ». Fervent opposant aux idées du parti islamiste Ennahdha, cet humaniste  considère qu’il y a une porosité totale entre les Frères Musulmans et le salafisme et suspecte Ghannouchi de vouloir instaurer en Tunisie une « dictature théocratique qui serait pire que les anciennes dictatures connues… »

Musulman convaincu est pratiquant, il prône une lecture vectorielle du Coran proclamant une abolition de la charia qu’il considère comme « œuvre humaine désuète, une fabrication humaine un carcan élaboré par des hommes au IIIe siècle de l’hégire ». En 2013, il fonde à Tunis « l’Association internationale des musulmans coraniques » dans le but de « rénover la pensée musulmane ».

 

Voici l’entretien qu’il a donné à Amir Mastouri

Mondafrique: Quels motifs vous ont poussé à créer l’Association Internationale des Musulmans Coraniques ?

Mohamed Talbi Pour rénover la pensée musulmane après des siècles de stagnation, qui firent de l’Islam une religion incompatible avec la modernité, obscurantiste favorisant le terrorisme avec les conséquences actuelles.

Mondafrique: Quelles entraves empêchent le musulman du XXIe siècle de devenir un citoyen moderne, obéissant aux lois de la République ?

M.T: Toutes les entraves sont dans la charia, œuvre humaine désuète, formulée au IXe siècle, et figée jusqu’à ce jour. Durant deux siècles les musulmans vécurent, très bien, sans charia. Œuvre humaine pour une époque révolue, la charia n’oblige aucun musulman en son âme et conscience. Seul le Coran oblige. Notre Association proclame l’abolition de la charia; et l’adhésion à la laïcité neutralité de l’État, parfaitement compatible avec le Coran, lu d’une lecture dynamique dans son intentionnalité, une lecture que nous définissons comme vectorielle et sans cesse progressiste dans le sens de la Hidâya, c’est-à-dire de guidance de l’éclairage coranique. Sans la charia, un musulman peut vivre partout sur Terre, en parfaite harmonie avec le Coran et sa conscience, en obéissant aux lois de la cité.

Mondafrique: Comment prétendre que le Coran n’est pas un ensemble de lois, alors que des châtiments corporels y sont expressément inscrits ?

M. T: Le Coran, lisez-le. Il n’est pas un code. Il est la Voie droite vers l’Au-delà (Al-Sirâte al-Mustaqîme). Il est un livre de foi. Les châtiments corporels ? Il y en a très peu, dictés par les circonstances, comme des châtiments limites (hudûd) à ne pas dépasser, et il est vivement recommandé d’en rester en-deçà. On peu donc les abolir, en conformité avec l’esprit du Coran, et de son intentionnalité, par une lecture vectorielle du texte divin, comme nous l’avions déjà indiqué. Les châtiments les plus intolérables du reste, la lapidation et la peine capitale pour apostasie et blasphèmes, ne sont absolument pas dans le Coran. Ils sont des emprunts au Judaïsme biblique. En cas d’homicide volontaire, le Coran recommande expressément et vivement de ne pas appliquer la peine capitale. Le Coran est abolitionniste. Pour nous, si la charia est passéisme obscurantiste et rétrograde, le Coran est modernisme et progressisme continu.

Mondafrique :Visiblement influencé par Bergson, vous prônez une lecture spirituelle du Coran. Comment trouvez-vous la voie intrinsèquement scientiste empruntée par Mohammed Arkoun ?

M.T: Bergson ? Avant de quitter le lycée j’avais déjà lu toute son œuvre. Il était très en vogue en mon temps. Je n’avais rencontré Sartre qu’étudiant à Paris. La voie de Mohammed Arkoun ? Elle n’est pas la mienne. Je suis un penseur musulman pratiquant. Il ne l’était pas. Berbère de Kabylie, il apprit l’arabe, nous dit-il, comme une langue étrangère. Elevé par les Pères Blancs, comme le kabyle Jean Amrouche qui n’apprit pas l’arabe, il ne se convertit pas, comme lui, au Christianisme, mais il abandonna l’Islam. Se définissant comme anthropologue, il rêvait de substituer à l’enseignement religieux, celui de ce qu’il appelait « le fait religieux. » Révolté par l’attentat du 1er Septembre, il en attribua la cause à l’Islam, et particulier au Coran dans lequel il vit, comme tous les Chrétiens, un livre de violence. Il préconisa, en conséquence et avec insistance, l’interdiction de son apprentissage dans les écoles. Or, je suis un musulman coranique, et ainsi est l’association dont je suis le Président.

Mondafrique: L’orthodoxie musulmane contemporaine semble dominée par les références hanbalites, voire ach’arites. Là où il y avait une certaine diversité au sein même de l’Islam, il semble aujourd’hui que le monde musulman, tous rites confondus, est de plus en plus modelé par l’exercice du soft power religieux des pays du Golfe. Qu’en dites-vous ?

M.T: L’orthodoxie, c’est le Salafisme qui règne partout, pas seulement dans les références hanbalites, avec au bout l’exacerbation terroriste. Qu’est-ce que j’en pense ? Il ne faut pas d’abord être défaitiste. L’orthodoxie salafito-terroriste sera inéluctablement vaincue par les armes d’abord. Mais cela ne suffit pas.

Partager

Plus d’histoires deLibye