Deux chars marquent l’entrée du camp, qui accueille plus de 300 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) dans une région montagneuse isolée du nord-ouest de la Libye. Au bord de la route, des barbelés doublés de bâches au logo du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) apportent aux abris de fortune un semblant d’intimité.

Les habitants de ce camp viennent de la ville de Tawergha, à environ 200 km plus à l’est.

Lors de la révolution de 2011, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi s’est servi de Tawergha comme base militaire, d’où il lançait des attaques contre les localités voisines, dont la ville côtière de Misrata. Les milices de Misrata ont répliqué en août 2011 en mettant la ville à sac, forçant 30 000 de ses habitants à fuir.

Ces familles pensaient rentrer chez elles au bout de quelques semaines, mais près de quatre ans plus tard, la ville de Tawergha demeure condamnée et inaccessible.

Bien que le camp ne se trouve qu’à 90 km de la capitale, il est isolé dans la région montagneuse de Tarhuna, négligé par les gouvernements successifs, les médias et les organisations humanitaires.

Certaines familles ne sont composées que de femmes et d’enfants, les maris, pères et frères ayant été tués en 2011 ou se trouvant en prison. Le conflit qui se poursuit empêche les familles du camp de rendre visite à leurs proches emprisonnés à Misrata et dont le nombre s’élèverait à 1 200 prisonniers.

“« Il a été emprisonné sans raison, sans preuve et sans jugement […] Pendant quatre ans, j’ai essayé de nombreuses fois de [trouver] une solution pour le faire sortir. J’ai fait des demandes au gouvernement, mais elles ont été rejetées. »

— Fatima*, à propos de son mari.

Cette mère de quatre enfants a expliqué qu’en raison de la présence de gardiens de prison lors des visites, son mari ne pouvait pas parler librement, mais qu’elle avait vu des signes de mauvais traitements.

Pour les habitants du camp, la vie est une lutte quotidienne pour s’en sortir avec de maigres ressources et très peu de soutien de l’extérieur. Des familles entières vivent dans seulement deux pièces et partagent des toilettes collectives et des cuisines extérieures de fortune faites de tôle ondulée.

Le plus gros problème est l’absence d’eau courante. Le camp ne possède qu’un réservoir d’eau de 1 200 litres, plus ou moins recouvert de bâches. Rempli tous les trois jours par un camion-citerne et payé par la population locale, il suffit à peine à subvenir aux besoins des habitants du camp, qui viennent chercher leur ration d’eau quotidienne dans des bouteilles en plastique de sept litres. Pendant près de quatre ans, toutes les tâches ménagères des habitants ont été faites avec de l’eau contenue dans ces bouteilles.

Les installations sanitaires sont elles aussi insuffisantes. Les eaux usées se déversent dans un cloaque près des habitations les plus sinistres, où plusieurs familles partagent des installations rudimentaires. Malgré les branches qui la couvrent, la fosse est un véritable nid de moustiques, a expliqué Hassan*, l’un des aînés du camp.

Les habitants du camp se sentent oubliés par les organisations humanitaires internationales. Ils dépendent du soutien modeste d’organisations non gouvernementales (ONG) locales et même d’autres camps de PDIP qui partagent parfois l’aide qu’ils ont reçue. Au début, le camp recevait des dons et la visite de travailleurs humanitaires, mais, selon Hassan, depuis un an et demi, le camp a reçu très peu d’aide vraiment utile. Les matelas et les bâches ne résolvent en rien les besoins plus urgents en eau et en installations sanitaires.

Assis sur une natte sous un auvent fait d’une vieille bâche, Houssain, 86 ans, masse son genou ridé avec de l’huile. C’est le seul soulagement qu’il peut apporter à ses douleurs articulaires.

« J’ai la sensation d’avoir mille ans », dit-il en secouant la tête lorsqu’il se souvient de Tawergha, où il est né et a vécu pendant 82 ans. Il évoque avec tendresse son fils incarcéré, dont il n’a pas de nouvelles depuis quatre mois, et parle avec émotion des ses anciens projets agricoles : « Nous aimions tellement ce travail. »

Marwa Baitelmal, porte-parole du HCR, a admis qu’aucun représentant de l’agence ne s’était rendu dans ce camp depuis 2013. Sans présence physique dans le pays pour des raisons de sécurité, le HCR dépend d’autres organisations pour acheminer l’aide, a-t-elle expliqué.

Selon Abdulrahman Al-Fitouri, coordonnateur en Libye d’International Medical Corps (IMC), des matelas et des couvertures ont été distribués en décembre par le HCR, mais IMC n’a pu apporter ni services ni traitements médicaux réguliers, car la sécurité des ses équipes ne pouvait pas être assurée sur la route qui mène à Tarhuna.

L’insécurité est due à la guerre civile qui oppose l’Aube de la Libye — faction armée islamiste qui a pris le contrôle de Tripoli l’année dernière et y a mis en place son propre gouvernement — et les forces armées libyennes opérant sous les ordres du gouvernement et du parlement reconnus par la communauté internationale et qui sont maintenant basés dans l’est du pays. À mesure que la situation s’est détériorée, la plupart des organisations internationales qui se trouvaient en Libye se sont installées en Tunisie. Seules quelques organisations ont gardé du personnel local pour tenter d’apporter leur aide dans cette crise humanitaire qui s’intensifie.

Siraj*, enseignant, dit que Save the Children a aidé le camp par le passé en soutenant un projet visant à créer une école sur place. Il montre avec fierté l’humble bâtiment, avec ses deux toilettes partagées par 70 enfants et dont la chasse d’eau n’est autre que des bouteilles remplies au réservoir du camp.

De la fenêtre de la principale salle de classe, on aperçoit entre les bouts de verre deux chars garés à l’extérieur. Des miliciens les ont entreposés avec de nombreuses armes il y a un mois à la limite du camp, ont expliqué les habitants, qui ont peur que la présence d’armes et de munitions fasse du camp une cible.

“« Tawergha est maintenant une ville fantôme. Nous avons seulement vu des photos sur Internet, car nous ne pouvons pas y retourner […] Nous entendons des histoires différentes sur ce qui s’y trouve maintenant. Certains disent que [la ville] sert de camp d’entraînement aux soldats et d’autres disent qu’elle a été transformée en prison ou en décharge. Nous aimerions connaître la vérité. »

— Mohamed, enseignant

En janvier, dans le cadre d’un dialogue engagé sous les bons offices des Nations Unies, les représentants du conseil municipal de Misrata et de Tawergha ont accepté de former un comité pour discuter des droits de la communauté et des mécanismes d’un éventuel retour de la population en ville. Un autre comité devrait étudier la question des prisonniers incarcérés à Misrata. Aucun calendrier n’a cependant été fixé pour un tel retour et ce qu’il reste de la ville est encore plus incertain.

*Certains noms ont été changés.

Pour en savoir plus sur le sort des PDIP de Libye, lisez : Les PDIP négligées de la Libye