Depuis deux semaines, des raids aériens visent les positions du mouvement armé kurde PKK jusqu’au Kurdistan irakien, dans les montagnes de Qandil. L’organisation y dispose de bases arrière créées lors de ses premiers affrontements avec le gouvernement turc. Au cœur du massif montagneux, Zagros Hiwa, porte-parole du PKK au Kurdistan irakien, fait visiter ce qu’il reste du village de Zargali. Dans la nuit de vendredi, vers quatre heures du matin, ce hameau posé en contrebas d’une grande vallée a été bombardé par l’aviation turque. Sept maisons ont été soufflées. Entre les tonnes de tôle broyée et les pans de murs défoncés, une tache de sang imprègne encore la poussière. Pour le combattant du PKK, la trace rougeâtre est une preuve de plus.

Il accuse Ankara d’avoir tué neuf civils n’ayant aucun lien avec son organisation. «Il n’y avait pas de membre du PKK dans ces maisons. Nous sommes réfugiés dans les hauteurs de la montagne, jamais dans les villages. Ça fait des années que c’est comme ça, les Turcs le savent très bien», explique le responsable. Très discrète, la présence des guérilleros ne se manifeste que par un check-point volant à l’entrée des montagnes. Sur place, seuls les portraits d’Abdullah Ocalan, leur leader, rappellent que l’on est sur le territoire du mouvement rebelle.

Attaque de Zargali au Kurdistan irakien

Bien qu’officiellement qualifié d’«organisation terroriste» par l’Otan, le PKK, basé au sud-est de la Turquie, est depuis plus d’un an l’un des symboles de la lutte contre la barbarie de l’EI. En Irak et en Syrie, l’organisation épaule les forces kurdes locales. Elle y envoie combattre ses unités composées d’hommes et de femmes en première ligne. Alors qu’au sol, ils sont les plus efficaces contre l’Etat islamique, depuis le début des frappes aériennes de la Turquie contre ce dernier, le 24 juillet, les guérilleros subissent eux aussi les bombardements d’Ankara. Avec l’assentiment plus ou mois clair des puissances occidentales. Craignant la récente montée en puissance de son vieil ennemi, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a rompu le cessez-le-feu qui avait mis fin en 2013 à trente années de guerre avec le PKK.

Peluches et vélos d’enfants

Dans une déclaration officielle, le ministère des Affaires étrangères turc a affirmé qu’il n’y avait «pas de civils dans le camp terroriste de Zargali mais que des membres influents du PKK étaient présents lors des frappes aériennes». Pourtant, dans le chaos des maisons détruites, pas de signe d’arsenal militaire. Des peluches, des vélos d’enfants et des objets quelconques de la vie quotidienne sont éparpillés dans un rayon de 150 mètres. Sur les lieux du drame, des voisins ont déjà commencé à déblayer les lieux. L’un d’eux crie : «C’est ça la démocratie turque ? Il faut montrer au monde leur brutalité ! Il faut montrer ce massacre.» Aras Zerar Abdullah, 30 ans, est accouru du village voisin dès qu’il a entendu tomber les premières bombes. «J’ai vu trois femmes et un enfant morts, assure-t-il. Ces gens n’avaient rien à voir avec le PKK. Ils étaient mes voisins.»

Zagros Hiwa est assis dans la mosquée de Zargali, dévastée elle aussi. Le représentant du PKK l’affirme : «Nous sommes obligés de répondre aux attaques des Turcs. Mais notre stratégie n’est pas basée sur « œil pour œil, dent pour dent ». Nous voulons une solution politique et pacifique à ce problème.» Depuis le début des frappes, la Turquie affirme avoir tué 260 combattants côté PKK. Zagros Hiwa, lui, assure n’avoir perdu que neuf «martyrs» sur l’ensemble des régions où se trouve son organisation. En représailles, celle-ci a tué 17 représentants des forces de l’ordre lors d’affrontements ou d’attentats.

«Force légitime»

D’abord aux prises avec l’Etat islamique, puis ciblé par l’aviation turque, le PKK doit maintenant faire avec l’hostilité grandissante de ses «frères d’armes» kurdes irakiens. Leur président, Massoud Barzani, a demandé aux ­rebelles de quitter les montagnes de Qandil pour en protéger la population. Ménageant la chèvre et le chou, le haut responsable a également condamné «ce bombardement qui a entraîné le martyre de gens de la région du Kurdistan». «Nous exhortons la Turquie à ne plus bombarder de civils.» Une attitude qui exaspère les rebelles du PKK dont beaucoup de combattants sont morts sur le front kurde irakien. Engagés aux côtés des peshmergas, ils y jouent encore aujourd’hui les premiers rôles, afin d’aider leurs «frères» à combattre l’Etat islamique.

«Ces attaques contre nos positions sont faites avec l’approbation du gouvernement kurde irakien. En laissant les Turcs bombarder son territoire, il a tué des membres de son propre peuple», accuse Zagros Hiwa. «Nous ferons tout pour éviter l’affrontement», dit-il. Mais hors de question de quitter les montagnes de Qandil. «Nous avons le droit d’être ici. Nous défendons le peuple du Kurdistan, nous sommes une force légitime.» Depuis trois jours, les avions turcs laissent un peu de répit à Zagros et ses hommes qui semblent bien seuls et isolés.