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25 avril 2024

La tâche inachevée de la libération totale : les îles africaines


La tâche inachevée de la libération totale : les îles africaines

Posted on 2 juillet 2013par 

Akyaaba Addai-Sebo

Carte: Station ZEBRA

Il est généralement considéré que la décolonisation de l’Afrique a pris fin en 1994, avec la chute du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud. Mais la vérité est que la France, la Grande Bretagne, l’Espagne et le Portugal continuent de coloniser nombre d’îles africaines. La tâche de décolonisation de l’Afrique n’est donc pas terminée, or le Comité de libération de l’Union africaine a été dissous depuis 1994, après la fin de l’Apartheid.

 

Dr Kwame Nkrumah a été catégorique dans ses considérations sur la « libération et l’unification » de l’Afrique. Il n’y a aucun doute que pour lui la libération « économique et politique » totale et l’unification de l’Afrique incluaient toutes les îles africaines dans l’Atlantique et l’Océan indien, la Mer Rouge et la Méditerranée. Pour souligner cela et pour s’assurer que la postérité n’abandonnera pas, par inadvertance, le moindre territoire africain, Nkrumah dans ses livres a fait usage de cartes annotées comprenant la liste de ces îles afin de graver dans la conscience du lecteur le fait qu’elles font intégralement partie de l’impératif de la libération et de l’unification totales de l’Afrique. Pour Nkrumah, aucun bout de terre ne doit se trouver sous juridiction coloniale, sous un mandat ou aliéné de la cause de l’unité africaine.

Alors que nous commémorons le 50ème anniversaire de la fondation de l’Organisation pour l’unité africaine et son Comité de coordination pour la libération de l’Afrique (Comité de libération), nous devons prendre conscience du fait que le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et le Portugal continuent de détenir des colonies conséquentes dans les eaux territoriales africaines. Il est encourageant toutefois de noter que certains de ces pays africains, de leur propre initiative, revendiquent certaines de ces possessions d’outremer de ces puissances occidentales.

Lorsque j’écris ces lignes l’heure uhuru n’est pas encore venue pour les îles suivantes : Les îles Ascension, Sainte Hélène et l’archipel Tristan da Cunha sont britanniques, l’atoll de Bassas de India, l’île Europe, les îles Glorieuses, les îles Esparses, Juan de Nova, Mayotte, la Réunion et Tromelin sont entre les mains françaises, les îles Canaries, la Ceuta appartiennent à l’Espagne et Madère au Portugal.

Les territoires que la France et Madagascar se disputent sont Bassas da India, l’ìle Europa et Juan de Nova. La France affirme sa souveraineté sur ces différentes îles inhabitées et à l’heure qu’il est, elle les contrôle et les protège depuis sa base militaire dans l’île de la Réunion. Ces îles sont des réserves naturelles et des stations météorologiques.

Les îles Glorieuses, revendiquées par Comores, la France, Madagascar et les Seychelles, constituent une réserve naturelle administrée par les forces armées françaises.

Mayotte est revendiquée par les Comores, et la France. Fonctionnant comme une collectivité d’outremer françaises depuis 1970, cette île fait géographiquement partie des îles Comores et, à l’instar de l’île Glorieuse voisine, elle est aussi revendiquée par Comores.

Plazas de Soberania est revendiquée par le Maroc et l’Espagne. C’est là une collection de petites cités/Etat et d’îles d’Afrique du nord contrôlées par l’Espagne, encerclée par le Maroc, qui comptent au total juste 140 000 habitants.

L’île de Tromelin est revendiquée par la France, Maurice et les Seychelles. La France affirme sa souveraineté et contrôle la côte de la longueur d’un mile (1,6km) de cette île plutôt plate. Mais Maurice et les Seychelles contestent la souveraineté française sur cette île inhabitée (voir territoires disputés)

La célèbre déclaration de Nkrumah, selon laquelle « …l’indépendance du Ghana n’a pas de sens si elle ne fait pas partie de la libération totale du continent africain », signifiait aussi que la décolonisation du continent africain n’avait pas de sens à moins d’être liée à la libération totale et à la libération totale des îles africaines. Ayant grandi dans les années ‘50 et ‘60, on a gravé dans nos esprits « que l’Afrique sans Madagascar était comme une table sans chaise, comme un arbre sans tronc, une main sans doigt » et d’autres jeux de mots comme ils nous en passaient par l’esprit et que nous traduisions en chansons, en danses, en jeux. C’était le catéchisme de la libération totale et de l’unification dans nos chansonnettes et qui faisaient de la tâche de la décolonisation et de l’unification de l’Afrique notre responsabilité délibérée à poursuivre « par tous les moyens nécessaires ». Au cœur de cette tâche, il y a eu et il y a toujours eu la « décolonisation de l’esprit » de « l’esclavage mental », comme le formulaient Ngũgĩ wa Thiong’o et Bob Marley.

C’était ce que Nkrumah avait l’intention de réaliser lorsqu’il a crée un institut idéologique et le Young Pioneers Movement (le mouvement des jeunes pionniers). J’étais un fier Jeune pionnier et lorsque l’armée et la police ont attaqué le 24 février 1966 pour renverser le régime de Nkrumah, j’ai alors eu la présence d’esprit de mobiliser mes compagnons Jeunes pionniers à l’école pour marcher sur la ville et résister.

Nous sommes donc demeurés colonisés corps et âmes si nous acceptons de laisser s’échapper nos îles de notre conscience collective, pendant que nos chefs d’Etat, dans une réunion au sommet en juin 1994 à Tunis, ont dûment dissout le Comité de Libération de l’Oua. L’Afrique du Sud a été notre dernière colonie à être libérée, mais en réalité ceci n’est pas vrai et le slogan « L’Afrique sans Madagascar… » reste toujours d’actualité avec certaines de nos îles toujours sous domination coloniale.

Les chefs d’Etat, lors du sommet de Tunis, ont reconnu, en 1963, que « le Comité de libération s’est acquitté de façon satisfaisante de sa tâche » et a par conséquent décidé « de formellement mettre un terme à son mandat ». Le « mandat » n’incluait pas seulement que les îles du Cap Vert, les Comores, Madagascar, Maurice, São Tomé et Principe et les Seychelles gagnent leur indépendance dans le cadre de l’Union africaine. Il consistait à assister et à accélérer le processus de décolonisation et l’élimination de l’Apartheid. Ce qui signifie que dans notre euphorie devant la défaite de l’Apartheid, nous avons oublié le reste de la tâche de décolonisation de toutes les îles africaines. Fatigués par les luttes et psychologiquement piégés par le sentiment que l’Afrique du Sud était la dernière frontière, notre sens des responsabilités s’est émoussé en ce qui concerne ces îles que nous avons négligemment abandonnées à la Grande Bretagne, à la France, à l’Espagne et au Portugal.

On peut se poser la question de l’utilité de ses îles lointaines pour l’Afrique. La réponse réside dans la motivation de la Grande-Bretagne qui est partie en guerre dans le lointain Atlantique sud afin de récupérer les îles Malouines pour les maintenir dans la sphère britannique. Les raisons en sont exposées sans ambiguïté dans un Livre blanc sur les Territoires d’Outre Mer produit par le gouvernement britannique le jeudi 28 mai 2012. Ce document déclare que la Grande-Bretagne ne faiblira pas dans sa détermination de défendre les îles Malouines et autres territoires d’outre mer.

Le document qui décrit une vision pour le futur pour les 14 territoires britanniques d’outre mer a été signé par le Premier Ministre David Cameron et le secrétaire aux Affaires étrangères William Hague et promet de continuer à exercer « sa souveraineté sur ces territoires ». Dans le texte, la Grande- Bretagne promet de garantir aux citoyens des territoires d’outre mer le droit à l’autodétermination et s’engage à maintenir une présence militaire afin de garantir la souveraineté de la Grande-Bretagne sur les territoires de l’Atlantique Sud. Le secrétaire aux Affaires étrangères Hague a déclaré : « Nous voulons que les communautés de ces territoires soient florissantes et vibrantes et qu’elles soient fières de conserver leur identité britannique ». Les Territoires incluent Sainte Hélène, Ascension et Tristan da Cunha qui sont toutes sur la liste des îles africaines de Nkrumah qu’il reste à décoloniser (en.mercopress.com/2012/06/28/)

Les Britanniques s’efforcent fièrement de garder leur identité où qu’ils soient dans le monde et à laisser leur empreinte pour la promotion de leurs intérêts. Nkrumah a propagé le concept de personnalité africaine afin que les Africains puissent fièrement revendiquer leur identité.

En mai 1963, les pères fondateurs de l’Oua ont créé le Comité de libération afin de marquer notre empreinte et conserver notre identité africaine en libérant les parties de l’Afrique encore sous tutelle coloniale ou domination raciste. Grâce au travail remarquable du Comité, les Britanniques, les Français, les Portugais, les Espagnols et les Afrikaans n’ont pu garder leur identité respective sur le continent africain. Le Livre blanc britannique doit sonner le réveil de la Commission de l’Union africaine. Il est urgent de créer un nouveau mandat qui s’occupe de la décolonisation totale de toutes les îles africaines. En d’autres termes, la Commission de l’Union africaine doit proposer une vision pour la décolonisation immédiate, la défense et le développement de nos îles et y affirmer la souveraineté africaine. Ce sont nos glorieux ancêtres qui nous ont laissé une métaphore : « Vous avez quelque chose de valeur si vous avez de la terre. Vous avez quelque chose de valeur si vous avez de l’eau. L’eau c’est la vie et la terre votre essence. Si vous aliénez la terre une part de vous meurt ».

La Commission de l’Union africaine doit agir dans l’urgence. Elle a le bénéfice de l’expérience passée et l’Afrique du Sud, la Namibie et le Mozambique doivent se proposer comme « Etat frontière » comme l’ont fait la Tanzanie et la Zambie. La tâche de décolonisation de ces îles ne doit pas être la seule responsabilité de nos nations insulaires comme Madagascar, Maurice, les Comores, les Seychelles et le Maroc. Le Maroc reste partie intégrante de l’Afrique malgré son retrait de l’Union africaine en raison du refus des Etats membres de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental qu’il occupe en raison de son phosphate et autres richesses minérales afin de servir les intérêts des Etats-Unis.

La décolonisation totale des îles africaines est une tâche qui doit être entreprise et menée à bien et je demande personnellement à l’Union africaine de solliciter les sages conseils des présidents Kaunda, Nujoma, Chissano et Mbeki ainsi que l’ambassadeur d’Algérie Mohamed Sahnoun et Theo-Ben Gurirab, porte-parole namibien. Je crois fermement qu’ils recommanderont un nouveau mandat urgent pour décoloniser les îles africaines. L’ambassadeur Sahnoun a été le premier assistant du secrétaire général de l’Oua avec responsabilités spéciales pour le Comité de libération. Dr Theo-Ben Gurirab, un combattant pour la liberté et un diplomate exceptionnel, a été ministre des Affaires étrangères et Premier ministre. Ce nouveau mandat et cette vision pour finir la tâche de la décolonisation et de la libération totale doivent s’ancrer dans le mot d’ordre « la terre africaine aux Africains ».

Enfin, selon les mots de Nkrumah : « … Pour nous, l’Afrique et ses îles ne sont qu’une seule et même Afrique. Nous rejetons l’idée de partition. De Tanger ou du Caire au nord, au Cap au sud, du Cap Guardaful à l’est au îles du cap Vert à l’ouest, l’Afrique est une et indivisible » (Africa must unite, p. 217)

 

** Akyaaba Addai-Sebo est consultant indépendant en Diplomacie préventive et transformation des conflits – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

http://www.pambazuka.org/fr/category/features/88015

 

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