La Libye peine à garder son rang d’eldorado pétrolier

par Akram Belkaïd

L’instabilité sociale et sécuritaire affecte le secteur pétro-gazier libyen et lui fait perdre son statut d’eldorado. Elle renforce la tentation des groupes américains de se relocaliser aux Etats-Unis dans le gaz et pétrole de schiste en pleine expansion.

Dans les salles de marché, on appelle cela le «facteur libyen» dès lors qu’il s’agit de trouver les raisons de l’augmentation conjoncturelle des cours du pétrole brut. En effet, près de deux ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye demeure un pays des plus instables et cela affecte directement sa production d’hydrocarbures. Après les violents combats entre partisans et adversaires du dictateur déchu, c’est l’agitation sociale qui est désormais à l’origine de l’érosion continue de la production pétrolière. Alors qu’elle a atteint une moyenne de 1,6 millions de barils par jour (mbj) durant les premiers mois de l’année 2013, cette dernière n’est plus que de 1 mbj et elle pourrait même passer au-dessous de cette barre symbolique. On est donc loin des 3 mbj que les nouvelles autorités libyennes ont promis en s’installant sur les décombres de l’ère Kadhafi.
Aujourd’hui, elles en sont à appeler à la raison et mettent en garde contre une persistance de l’instabilité. «C’est une question de confiance à l’égard de nos partenaires», vient ainsi d’avertir Néji Mokhtar, le président du Comité libyen de l’énergie. Pour lui, «la Libye risque à court terme de perdre des clients et des parts du marché». Un message lucide tant la continuité de l’approvisionnement fait figure de règle fondamentale à respecter pour les exportateurs de brut. On se souvient ainsi que l’Algérie, même au plus fort des violences des années 1990, avait toujours fait en sorte de maintenir la régularité de ses exportations notamment à destination de ses trois marchés principaux que sont l’Europe, les Etats-Unis et l’Extrême-Orient.

UN SECTEUR PETRO-GAZIER SOUVENT EN GRÉVE 
Les raisons des troubles en Libye sont connues. Il y a d’abord le fait que les travailleurs du secteur pétrolier et gazier sont souvent en grève, procédant à des sit-in pour empêcher la production ou l’exportation afin que leurs revendications salariales soient entendues. Un jour, c’est le port d’Al-Zawaytina (20% des exportations de brut libyen y transitent) qui est empêché de fonctionner correctement par des Libyens exigeant à la fois des hausses de salaires mais aussi une amélioration notable de leurs conditions de travail. Quelques jours plus tard, le même port est investi cette fois-ci par des chômeurs de la région qui exigent un emploi. Cela s’est aussi passé au complexe de Ras Lanouf, l’un des plus importants centre industriel du pays (on y trouve un port et une raffinerie) au grand dam du vice-ministre libyen du pétrole Omar Chakmak, conscient que de telles «grèves sauvages» font du tort à un pays qui peine à convaincre la communauté internationale qu’il est engagé dans une transition démocratique pérenne.A l’agitation sociale s’ajoute l’insécurité puisqu’il n’est pas rare, même si les informations à ce sujet filtrent peu, que des champs de production ou des terminaux soient attaqués à l’arme automatique voire à l’arme lourde. Qui est à l’origine de ces attaques ? Pour quelles raisons ? Les informations sont éparses mais il semble bien que certaines milices armées exigeraient leur dîme quant à l’exploitation pétrolière et gazière.

DES ENTREPRISES ÉTRANGÈRES SUR LE DÉPART 
La situation est telle que certains opérateurs étrangers n’hésitent plus à interrompre leurs activités le temps que le calme revienne. Cela a été le cas du groupe autrichien OMV qui a cessé ses pompages durant 17 jours de la fin juin à la mi-juillet. Pour mémoire, OMV fait partie de ces compagnies occidentales qui sont très vite revenues en Libye après la chute de Kadhafi (le groupe a cessé ses opérations entre mars et novembre 2011). L’annonce d’OMV de suspendre provisoirement sa production de 30.000 barils par jour a eu une incidence négative sur le marché et obligé les autorités libyennes à promettre qu’elles s’emploieraient à offrir plus de stabilité sur le plan social et politique.Mais il y a plus préoccupant pour Tripoli. Selon des informations de presse persistantes, notamment celles du Wall Street Journal, le groupe étasunien Marathon OilCorp envisagerait de se retirer définitivement de Libye. Il céderait ainsi sa participation de 16,3% dans la joint-venture de WahaOil où sont présents deux autres opérateurs occidentaux Conoco (16,3%) et Hess Corp (8,2%), le reste du capital appartenant à la National OilCompany (Naoc), la société pétrolière étatique libyenne. «Nous refusons de commenter les rumeurs de marché» a déclaré un représentant de Marathon Oil mais plusieurs officiels libyens auraient – de manière anonyme – confirmé au quotidien international des affaires, que Tripoli a bien reçu une notification en bonne et due forme annonçant un retrait prochain.

LES GROUPES AMÉRICAINS TENTES PAR LA RELOCALISATION 

Ce départ, s’il se confirme, serait une mauvaise nouvelle pour la Libye même si des responsables de la Naoc ont annoncé que leur compagnie aurait un droit de préemption sur la part de Marathon évaluée à 1,5 milliards de dollars. En tout état de cause, cela montre que l’attractivité du sous-sol libyen est bien moins importante que l’on pensait et cela contredit même l’explication avancée par certains pour dénoncer l’intervention des bombardements de l’Otan contre l’armée de Kadhafi.
Car, si Marathon s’en va de Libye, c’est certes à cause de la situation instable et des incertitudes politiques. Mais c’est aussi parce que ce groupe à une solution de repli puisqu’il entend désormais se concentrer sur l’exploitation des pétroles et gaz de schistes aux Etats-Unis. Et ce recentrage n’est pas un fait isolé.
«De nombreux groupes américains sont tentés par une relocalisation de leurs activités grâce à l’attractivité du marché pétrolier et gazier américain», explique un trader genevois. «Ils désinvestissent à l’étranger et réinvestissent chez eux. Et c’est une décision d’autant plus facile à prendre quand règne l’instabilité politique ou que les gisements deviennent plus difficiles à exploiter comme c’est le cas pour celui de Waha».
Cet opérateur estime par ailleurs qu’il sera difficile pour les autorités libyennes d’attirer un groupe occidental pour remplacer Marathon dans la mesure où la législation pétrolière locale est jugée peu incitative au regard des perspectives qu’ouvre l’exploitation du gaz de schiste aux quatre coins de la planète. Enfin, la piste d’une préemption par Naoc semble effectivement être la plus probable. Elle éviterait à Tripoli l’humiliation d’un appel d’offres international infructueux (sauf à ce que les groupes chinois ou indiens soient intéressés).
Dans le même temps, cette nationalisation partielle aurait pour inconvénient de confirmer que la Libye n’est plus cet eldorado pétrolier pour lequel se battaient, il y a à peine deux ans, les compagnies du monde entier.