De la Libye à la Syrie : Tenir l’Otan en laisse par Vijay Prajad
16 avril 2012
Vijay Prashad : De la Libye à la Syrie : Tenir l’Otan en laisse.
Pourquoi le Conseil de sécurité des Nations unies n’accorde-t-il pas une résolution pour protéger les civils de Syrie ? Du côté des BRICS, on pointe clairement les exactions de l’Otan commises en Libye. L’alliance atlantique a clairement dépassé le cadre de la résolution et beaucoup s’interrogent sur l’efficacité de son intervention au regard des objectifs déclarés. Les Libyens ont-ils bien été protégés ? Les doutes se font pesants mais à demi-mots. Actuellement, il n’y a que l’Otan pour enquêter sur les crimes éventuels de l’Otan… (IGA)
Le 18 Février, j’ai demandé à l’ambassadeur indien à l’Organisation des Nations Unies, Hardeep Singh Puri, pourquoi il n’y avait pas d’empressement pour une résolution forte de l’ONU sur la Syrie.
Après tout, la violence en Syrie semble avoir déjà dépassé celle de Libye. Si l’ONU a pu adopter la résolution 1973 (sur la Libye), pourquoi était-elle réticente à adopter une résolution semblable pour la Syrie ? Puri a pointé son doigt directement sur les Etats de l’OTAN.
Ils avaient outrepassé le mandat de la Résolution 1973, pour l’utiliser pour un changement de régime, au moyen d’une immense violence. Toutes les tentatives pour trouver une solution pacifique ont été bloquées. Le panel de haut niveau de l’Union africaine avait été empêché de pénétrer en Libye lorsque le barrage de l’OTAN a commencé. Toute résolution de l’ONU qui ne serait pas explicitement contre une intervention militaire humanitaire ouvrirait la porte à une attaque dans le style de l’OTAN. Cela semble être la crainte.
Si il ya un sentiment que l’OTAN a dépassé le mandat de 1973, ai-je demandé, est-ce que l’ONU considèrerait maintenant de faire une évaluation de la façon dont ce mandat a été utilisé dans la guerre en Libye ? « La Russie a demandé au Conseil de sécurité de procéder à une évaluation de la protection des civils, parce que la résolution 1973 concernait la protection des civils », a déclaré Puri. « Alors, quel genre de dommages il y a-t-il eu là, des dommages collatéraux sur des civils, etc. ? Il ya une grande réticence à s’engager dans cela »
Un rapport publié par des groupes arabes indépendants de défense des droits de l’homme en janvier 2012, et un rapport du Conseil des droits de l’homme (2 mars 2012) ont été largement ignorés. Tout deux montraient que l’affirmation que les forces de Mouammar Kadhafi étaient en train de mener un génocide était grossièrement exagérée, et tout deux appelaient à une enquête ouverte sur les bombardements aériens de l’OTAN.
Le point de ce deuxième appel est simple : si l’OTAN s’est engagé dans le conflit en vertu de sa « responsabilité de protéger » (R2P) les civils, quel est le taux de victimes civiles en conséquence des bombardements de l’OTAN ? Est-ce que le Conseil de sécurité devrait approuver de nouvelles « interventions humanitaires » de l’OTAN si le taux de morts provoquées par les sauveurs est supérieur ou égal à celui provoqué par la violence [qu’ils étaient prétendument venus combattre] ?
Puri indique que les pays de l’OTAN au sein du Conseil de sécurité ne sont pas enthousiastes à l’idée d’une évaluation. Lorsque le Conseil des droits de l’Homme a commencé ses investigations, le conseiller juridique de l’OTAN, Peter Olson a écrit une vive lettre à la présidence de la commission :
« Nous serions préoccupés si « les incidents de l’OTAN » étaient inclus dans le rapport de la commission sur un pied d’égalité avec ceux pour lesquels la commission peut définitivement conclure qu’ils violaient la loi ou constituaient des crimes. Nous notons à cet égard que le mandat de la commission est de discuter « des faits et des circonstances de … violations [de la loi] et … des crimes perpétrés ». Nous demanderions par conséquent que, au cas où la commission choisissait d’inclure une discussion sur les actions de l’OTAN en Libye, son rapport indique clairement que l’OTAN n’a pas délibérément pris pour cible des civils et n’a pas commis de crimes de guerre en Libye. »
En d’autres termes, l’OTAN avait hâte de préjuger de l’enquête – elle ne permettrait pas à l’enquête, ce serait-ce qu’aborder les questions de crimes de guerre par l’OTAN. Cela devait être tué dans l’œuf.
Le 25 mars, CJ Chivers a publié dans le New York Times un article avec des mots très forts « Posture de secret de l’OTAN« , où il revient sur une histoire qu’il avait écrit le 8 Août sur un bombardement de l’OTAN sur Majer, un village situé entre Misrata et Tripoli. Il est clair que à 34 civils ont été tués dans cette attaque. Il s’agit d’un cas type de refus de l’OTAN de permettre aucun examen public.
L’OTAN affirme qu’elle a déjà effectué un examen de cette affaire. Chivers a raison de noter que cela soulève une question fondamentale pour les sociétés démocratiques, à savoir, le contrôle civil sur l’armée. Si le public et les autorités politiques ne sont pas autorisés à avoir accès aux preuves et assurer une surveillance sur le commandement de l’OTAN, la notion d’un contrôle civil de l’armée est violée.
Cinq jours plus tard, un éditorial du New York Times (« Le Devoir de l’OTAN ») suivait Chivers, en constatant que l’OTAN « avait montré peu d’intérêt pour investiguer sur des affirmation indépendantes crédibles faisant état de morts parmi les civils . » […]
Le lendemain (31 mars), la porte-parole de l’OTAN Oana Langescu répondait que l’OTAN avait déjà fait son enquête, et que si les autorités libyennes décidaient d’ouvrir une enquête, alors « l’OTAN allait coopérer« . Il n’y a aucune indication que le faible gouvernement libyen va remettre en question ses sauveurs. L’OTAN est à l’abri de l’examen.
La suspicion autour des opérations de l’OTAN est désormais générale parmi les Etats des BRIC (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud). Dans la Déclaration de Delhi du 29 Mars, les BRICS notaient à propos de la Syrie, que « les intérêts globaux seraient mieux servis en traitant la crise par des moyens pacifiques qui favorisent un large dialogue national qui reflètent les aspirations légitimes de toutes les sections de la société syrienne et de l’indépendance ce qui concerne la Syrie, l’intégrité territoriale et la souveraineté. »
En outre, les Etats BRIC ont réaffirmé leur « engagement fort pour la diplomatie multilatérale, avec les Nations Unies comme acteur central dans le traitement des défis et menaces globaux ».
La menace d’une intervention de l’OTAN au nom des droits de l’homme est dans les esprits des dirigeants des BRICS.
On ne laissera plus à l’OTAN la bride sur le cou, avec l’autorisation des Nations Unies. Mr Puri l’affirme en tant qu’ambassadeur : « A cause de l’expérience libyenne, les autres membres du Conseil de sécurité, tels que la Chine et la Russie, n’hésiteront pas à exercer leur droit de veto si une résolution – et c’est un grand si – devait contenir des actions en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui permet l’utilisation de la force et les mesures punitives et coercitives. »
Source : Alerte Otan