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19 décembre 2024

Une explosion en préparation au coeur de l’Afrique sahélienne. Que fera le futur gouvernement français?


Une explosion en préparation au coeur de l’Afrique sahélienne. Que fera le futur gouvernement français?

Dans quelques semaines, un nouveau gouvernement français se trouvera en charge de gérer sa part d’un chaos malien et sahélien provoqué très largement par son prédécesseur. Que fera-t-il?

 

 


Au sens strict, le Sahel désigne une immense bande de territoires marquant la transition, à la fois floristique et climatique, entre le Sahara désertique au nord et les savanes où les pluies sont fréquentes, au sud. D’est en ouest, il s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge. Dans le langage géopolitique devenu courant, le concept de Sahel intéresse directement la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan, le Sénégal, la Mauritanie. Il concerne aussi toute une série de pays limitrophes qui participent à l’unité géographique et culturelle de la zone: le sud de l’Algérie, le sud de la Libye, le sud du Maroc, le nord du Sénégal, le nord du Burkina Faso, le nord du Nigéria, l’Ethiopie et l’Érythrée.

Aujourd’hui, par ailleurs, le sort politique du Mali, principal acteur au Sahel, et avec lui celui des autres Etats y exerçant une souveraineté au moins théorique, intéresse directement les trois grand pays du Maghreb, Algérie en premier lieu, Maroc et Tunisie. Vu l’absence de véritables frontières, il intéresse aussi les pays limitrophes au nord, la Libye ou ce qu’il en reste et surtout l’Egypte. Au sud, le Sénégal, la Guinée, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, le Cameroun, l’Éthiopie, la République Centre africaine ne pourront pas rester neutres.

Mais la liste des Etats concernés ne s’arrête pas là. Pour des raisons géographiques et historiques, de grands Etats européens, même s’ils le voulaient, ne pourraient se désintéresser de l’avenir politique du Sahel et des pays dont nous venons de dresser une liste. C’est principalement le cas de la France mais aussi de l’Espagne et de l’Italie. On y ajoutera la Turquie, nécessairement concernée notamment comme grand pays musulman. Par ailleurs, les pays européens, plus particulièrement la France, se trouvent impliqués de facto par une forte immigration, éventuellement très active, provenant du Mali comme d’autres pays africains du Sahel et du Maghreb.

Au proche et moyen Orient, tous les pays arabes, ainsi que l’Iran, n’échappent pas aux conséquences des remous et affrontements qui se produisent dans l’Afrique Sahélienne. Ils sont conduits à prendre parti, y compris en tenant compte de leurs appartenances religieuses, chiites ou sunnites. Pour sa part, Israël qui s’estime directement concerné par tout ce qui se passe dans le monde arabe, intervient également, directement ou en sous-main, dans les affrontements en cours.

D’autres influences

Le Sahel et les régions limitrophes apparaissent dorénavant comme riches en potentialités minières, énergétiques voire agricoles que des investissements lourds permettraient de « valoriser », ceci au profit d’investisseurs disposant des ressources dont ne disposent pas les Etats sahéliens. Historiquement, la France s’y est intéressée, notamment récemment en ce qui concerne l’extraction de l’uranium. Mais bien d’autres possibilités pourraient être exploitées, sans doute en particulier dans le domaine des terres rares, de plus en plus recherchées. Ces exploitations se feront, inévitablement, au détriment des équilibres naturels déjà fragiles, comme à celui des populations locales, qui seront déplacées et prolétarisées.

Les deux grands acteurs mondiaux les plus motivés par ces perspectives sont les Etats-Unis et la Chine. On le sait mal en Europe, mais les Etats-Unis ont été et demeurent, malgré leurs difficultés actuelles, partout présents dans l’ensemble de la zone sahélienne, comme dans les pays limitrophes. Ils le sont par leurs ambassades et ONG dotés de moyens d’action considérables. Ils le sont aussi par l’intermédiaire de bases militaires (US Africa Command) et par des réseaux d’observation satellitaires et radio capables de détecter tout ce qui se passe au Sahel et d’en informer Washington.

La France pour sa part est devenue presque entièrement dépendante de l’Amérique en ce qui concerne le renseignement et les interventions sur le terrain. C’était d’ailleurs un des objectifs qu’ont poursuivi avec constance les Etats-Unis en Afrique, démanteler directement ou indirectement les liens très étroits qu’avaient établi les Français avec les pouvoirs et sociétés africaines, afin de prendre la place. Les gouvernements français successifs, y compris en dernier lieu celui de Nicolas Sarkozy, pénétrés d’atlantisme, ne se sont pas opposés à ce transfert d’influence. Au contraire, ils l’ont facilité. Les diplomates français ont, ces dernières années, constaté avec consternation cet abandon.

L’autre grand acteur potentiel dans la zone du Sahel est la Chine. Elle s’était davantage intéressée à l’exploitation des ressources de l’Afrique subsaharienne mais dorénavant, elle sera présente, directement ou indirectement, au Sahel. Elle le fera évidemment au service de ses intérêts. Il serait naîf de compter sur elle pour jouer un rôle stabilisateur, si elle n’en ressentait pas le besoin.

Il faut mentionner l’omniprésence d’un autre agent, informel mais très puissant, celui constitué par les organisations criminelles. Le Sahara avait toujours été le lieu de divers trafics, mais ceci a pris des proportions considérables dans les dernières années. Des maffias internationales très actives organisent l’entrée au Sahel de cargaisons de produits prohibés, souvent par l’intermédiaire de vieux avions qui font au départ de l’Amérique centrale la traversée de l’Atlantique dans un seul sens, se crashant dans le désert. Les marchandises sont ensuite convoyées vers le nord puis vers l’Europe, destination finale, par des réseaux très organisés. Tout le long de la chaine règnent corruptions et intimidations.

Pour être complet, il faut mentionner le rôle économique qu’avait Kadhafi au Sahel particulièrement, et en Afrique plus généralement: investissements importants dans différents secteurs économiques, prêts aux États, démarche pour constituer une monnaie africaine. C’est peut-être cela en premier lieu que les Américains, suivis par Nicolas Sarkozy, ont voulu annihiler.

La question de l’islamisme

L’islam est la religion la plus répandue au Sahel et dans les pays limitrophes. D’autres religions coexistaient traditionnellement avec lui, d’une façon minoritaire. Les puissances coloniales avaient trouvé divers accommodements avec l’islam lui permettant de cohabiter avec leurs propres religions dominantes, catholicisme et protestantisme. Aujourd’hui, l’Islam s’est radicalisé, dans la zone sahélienne comme dans le reste du monde arabe. Il a été enrôlé comme facteur de cohésion par des chefs locaux désireux d’étendre leur pouvoir à l’ensemble du Sahel. Ce ne sont évidemment pas les aspects les plus modérés de l’islamisme qui sont mis en avant, mais les plus extrêmes. Les populations habituées à plus de tolérance commencent à s’en plaindre.

En ce qui concerne le développement, l’influence prise par des groupes terroristes très minoritaires se réclamant de l’AQMI (Al Quaida au Maghreb Islamique) suffira pour le moment à décourager tous grands programmes d’aménagement, concernant par exemple la lutte contre la désertification ou l’exploitation de l’énergie solaire (Projet Desertec, visant à associer les Etats sahéliens et des intérêts européens, principalement allemands). Plus généralement, la coopération qui avait été envisagée entre les pays du sud de la Méditerranée et l’Europe sera nécessairement bloquée, si elle donne l’occasion à des militants d’un islam radical de se répandre en Europe et d’entraîner une partie des musulmans européens.

Mais les Européens ne doivent pas oublier que c’est l’Amérique, en Afrique comme au Moyen Orient, qui a favorisé la radicalisation de l’islam, pour la raison évoquée ci-dessus: affaiblir les liens traditionnels entre populations africaines et intérêts européens, être les seuls à profiter des ressources disponibles. Il semble qu’aujourd’hui encore, les ambassades américaines soutiennent en sous-main des mouvements intégristes sahéliens susceptibles de favoriser l’influence des Etats-Unis au détriment de l’influence européenne. C’est évidemment jouer avec le feu.

La mèche est désormais allumée

Dans le titre de ce bref tour d’horizon, nous évoquons une explosion en préparation au coeur de l’Afrique sahélienne. Beaucoup d’éléments laissent penser que l’explosion se rapproche, avec une ampleur qui risquera de surprendre des gouvernements non préparés. Le Mali risque d’être la mèche qui fera détonner l’ensemble. Depuis le fin du mois de mars, un conflit latent depuis des dizaines d’années s’est traduit dans ce pays par un coup d’Etat provenant d’une junte militaire sans objectifs clairement affichés, autre que renverser le gouvernement en place. Il s’en est suivi une partition unilatérale de la part des Touareg azawad en conflit avec le pouvoir malien depuis pratiquement l’indépendance de ce pays.

Aujourd’hui le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), importante composante de la rébellion touareg (targui) malienne, a proclamé le 6 avril « l’indépendance de l’Azawad » dans une déclaration sur son site Internet. « Nous proclamons solennellement l’indépendance de l’Azawad à compter de ce jour », a déclaré Mossa Ag Attaher, qui a indiqué vouloir respecter « les frontières avec les Etats limitrophes ».

L’Azawad est une région considérée comme le berceau naturel des Touareg. Des rebelles touareg et groupes islamistes ont pris en fin de semaine dernière le contrôle des trois métropoles du Nord – Kidal, Gao et Tombouctou – sans rencontrer de résistance de la part d’une armée malienne sous-équipée, désorganisée et en déroute, coupant de fait le pays en deux. Les islamistes d’Ansar Dine, dirigés par le chef touareg Iyad Ag Ghaly, et des éléments d’Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) ont, depuis lors, pris le dessus sur le Mnla, qui a annoncé unilatéralement la fin de ses « opérations militaires ».

Les Touareg sont des populations berbères nomades musulmanes, vivant essentiellement au Niger, au Mali, en Algérie et en Libye. Ils sont sont organisés en tribus. Ce sont des musulmans sunnites et ils parlent une langue berbère : le tamacheq. Ils comptent de 1 à 3 millions d’individus, d’après l’Unesco. 85% d’entre eux vivent au Mali où ils représentent 10% de la population.

Laissés à eux-mêmes, ils ne devraient pas avoir la volonté et moins encore la force de déstabiliser l’Afrique. On peut penser que la France, bien présente et apprécié à Bamako, aurait pu contribuer à régler ces difficultés, s’il n’y avait pas eu l’influence des Etats-Unis, que nous venons d’évoquer. Or la France, en se mettant directement sous l’influence américaine, s’est lancée de façon irresponsable dans une guerre contre Khadafi en Libye. Le chaos malien trouve son origine actuelle dans la dispersion de l’arsenal libyen laissé disponible à qui voulait s’en saisir par le Royaume-Uni, la France et l’Otan.

Derrière la guerre, l’objectif était pour ces puissances occidentales, et notamment les Etats-Unis d’accéder librement au pétrole libyen et aux marchés pouvant en découler. Le gouvernement français, aveuglé par l’ubris militaire, n’a pas pris garde au fait qu’il dotait de moyens puissants des groupuscules de mercenaires touareg ou africains complètement inaccessibles à la raison d’Etat. Ceux-ci sont désormais lâchés dans la nature. On ne voit pas comment les ramener au calme. Ni au Sahel ni d’ailleurs en Libye. Qui plus est, il semble qu’une partie des actuels opposants au pouvoir syrien, soutenus par l’Occident, compte nombre de ces dangereux illuminés.

La junte malienne s’est depuis retirée, mais il est difficile de savoir ce que veulent ou peuvent faire ses successeurs. Soumis à d’intenses pressions internationales et locales, l’éphémère chef de l’Etat, le capitaine Amadou Haya Sanago, a accepté dans un bref discours à la télévision, de rétablir totalement l’ordre constitutionnel. C’est le président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré (photo), qui va prendre provisoirement la tête de l’Etat malien. L’Union africaine (UA) s’est « félicitée » de l’accord.

En théorie, la tâche de Dioncounda Traoré devrait se limiter, selon la loi fondamentale, à organiser une élection dans les 40 jours. Or, la tenue d’un tel scrutin parait illusoire dans ce Mali en plein chaos et divisé en deux par l’occupation du nord du pays par les rebelles touareg. Un vote reviendrait au mieux à conduire au pouvoir un président faible car mal élu et au pire à entériner la partition du pays. Le nord du pays est toujours occupé par des sécessionnistes touareg et des groupes salafistes. Pour faire face, les nouvelles autorités seront sans moyens. Elles ne pourront compter ni sur l’armée, en pleine débandade ni sur des finances à sec. Les secours ne pourront venir que d’une aide extérieure.

 Un nouveau gouvernement français

Or dans quelques semaines, un nouveau gouvernement français se trouvera en charge de gérer sa part d’un chaos malien et sahélien provoqué très largement par son prédécesseur. Que fera-t-il? Il ne serait évidemment pas question d’intervenir militairement, ni au Mali ni ailleurs. Mais beaucoup de voies resteraient ouvertes à une diplomatie française retrouvant ses vertus traditionnelles. Il faudrait d’abord renoncer ouvertement à se faire l’agent d’intérêts américains de plus en plus dangereux. Il faudrait sans doute par ailleurs, en se rapprochant des pays du Maghreb, notamment l’Algérie, très inquiète, constituer une force d’influence capable de mieux se faire entendre à l’ONU. Il faudrait enfin inciter les pays européens concernés par une éventuelle explosion en Afrique à se regrouper et proposer des solutions susceptibles de calmer le jeu, sans rien céder cependant aux islamistes de l’AQMI. Il faudrait…il faudrait…

Nous espérons qu’autour du candidat François Hollande, de telles perspectives font déjà l’objet de réflexions et de contacts avec les pays concernés. Le feu est dans la maison africaine.


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