Libye, un bilan qui tarde par Ahmed Halfaoui
10 juin 2012
Libye, un bilan qui tarde
Il y a presque une année de cela, à ce qu’on a dit, la Libye aurait été libérée. Souvenons-nous de ce feuilleton haletant, déroulé par toutes les chaînes de télévision en boucle et dans une synchronisation sans faille. Les images, gracieusement offertes par l’OTAN, idéalisaient ces «révolutionnaires» en marche sur Tripoli.
Pour la cosmétique, on ne voyait pas les bombes tomber, qui leur ouvraient le passage sur les ruines et les cadavres des Libyens qui ont refusé la «protection unifiée», on voyait les «thouars» tirer à tout va, sans compter les munitions, on ne sait sur qui, hilares comme à la fête, dans un encadrement parfait des caméras.
Cela a fait des heures et des mois de programmes, jusqu’à l’épisode de fin, où ont défilé Hillary Clinton, Nicolas Sarkozy et autres fiers à bras atlantistes. Et la Libye a été vidée des écrans. Il faudra désormais chercher pour savoir ce qui s’y passe. Ce n’est pas du tout joli et l’OTAN, elle-même, a tourné la page.
Gérard Araud, diplomate français, porteur de ce qui sera la résolution 1973, présentée par la France avoue : «Nous sommes encore sur le traumatisme de cette décision.» Non pas qu’il regrette la destruction du pays, mais du fait qu’ait été démasqué la stratégie occidentale et que le résultat de la «protection des civils» ne permet pas d’en tirer la moindre fierté.
Sur le terrain, en guise de démocratie, c’est un scénario pour une autre suite au mythique film Mad Max qui se présente. Ce qui a rendu difficile d’argumenter pour faire un sort à la Syrie. Comme la vie continue, la Libye, qui a une équipe nationale de football engagée dans les éliminatoires pour la Coupe du monde 2014, doit affronter le Cameroun. Dans un pays ordinairement libéré et démocratisé, la rencontre se serait déroulée dans l’un de ses stades.
Ce n’est pas le cas, le match est délocalisé à Sfax, en Tunisie, pour «des raisons de sécurité». Mais cette mesure n’est pas suffisante, le match se jouera à huis clos. La Fédération tunisienne, responsable de l’organisation, a décidé de ne courir aucun risque avec les supporters libyens. Ils seraient «incontrôlables». En arrière-fond de cette précaution, se profilent les 500 milices armées qui font régner leur loi en Libye.
Et, aux dernières nouvelles, la situation aurait été aggravée par la création du Comité suprême de la sécurité (CSS), fort de 60.000 à 70.000 miliciens, qui préoccupe Ian Martin, le représentant spécial des Nations unies, par les exactions qu’il commet.
Dont un exemple est donné par le cas de Salem Forjani, un cardiologue au service du ministère de la Santé, qui a été kidnappé au centre médical de Tripoli, alors que sur ordre ministériel, il devait relever le directeur du centre de ses fonctions. Le cardiologue a été tabassé, jeté dans une voiture puis incarcéré. Ceci, sans préjudice de ce que doivent subir les anonymes. Pas de quoi, en termes de démocratie, plastronner sur ce qui a été infligé aux Libyens.
Ironie de l’histoire, Forjani est un droitdelhommiste, expert auprès de la commission gouvernementale sur les personnes disparues… qui a présidé une enquête sur «un massacre de prisonniers commis par le régime Kadhafi», dont le rapport a été communiqué à l’ONU et à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.
Par Ahmed Halfaoui