Roger Garaudy : une vie debout
19 juin 2012
ROGER GARAUDY : Une vie debout
«Le règne de Faust a pris fin en mai 1968: l’homme croit de moins en moins que le bonheur s’identifie avec la puissance et la possession. Son projet de bonheur est de moins en moins lié à la promesse de Descartes d’une «science qui nous rend maîtres et possesseurs de la nature». Ses rêves ou ses projets de bonheur sont de plus en plus liés à un art de vivre de nouveaux rapports avec la nature, avec les autres hommes, avec l’avenir et le transcendant.»
Roger Garaudy
A partir de 1996 Roger Garaudy fait parler de lui par des prises de position qualifiées de « négationnistes » par ses détracteurs. « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, » qui est publié en 1995 Roger Garaudy fait un distinguo net entre le judaïsme respectable et le sionisme et une idéologie le sionisme. il fut l’objet d’un véritable lynchage. Il fut diabolisé mis à l’index notamment après la Loi Gayssot sur les peines encourues pour ceux qui doutent des crimes de masse des Juifs appelés Shoah. En 1998, au terme de cinq arrêts distincts, la Cour d’appel de Paris le condamna pour contestation de crimes contre l’humanité, et provocation à la haine raciale, à 9 mois d’emprisonnement avec sursis et une forte amende
L’Abbé Pierre eut le courage de porter témoignage en sa faveur . Nous lisons sa lettre : « (…) Ton livre le plus récent m’est parvenu alors que j’étais vraiment à bout de forces pour d’autres tâches pressantes. (…) De ton nouveau livre il m’est impossible de parler avec tous les soins que réclament non seulement son sujet fondamental, mais aussi l’étonnante et éclatante érudition, scrupuleuse, sur laquelle chaque propos se fonde, comme j’ai pu le constater en le parcourant. Autour de moi quelques personnes dont les exigences et la compétence sont grandes et qui l’ont entièrement lu me disaient l’importance de ce qu’elles en ont reçu. Il faut tout faire, et je m’y emploie, pour que bientôt des historiens vrais, de la même passion du vrai qui est la tienne, s’attachent à en débattre avec toi. Les insultes contre toi que j’ai pu connaître (jusque dans un quotidien que j’estime le plus pour son habituelle objectivité), qui t’ont accablé de toutes parts sont déshonorantes pour ceux qui, comme à la légère, t’en accablent ». (2)
Poursuivant plus loin l’Abbé Pierre décrit son effroi à la lecture du Livre de Josué : « (…) Sur toi et ta vie, peu de mots suffisent. Tu es un de ces hommes qui ne cessera jamais, jusqu’au face à face avec l’Infini Amour, d’être tourmenté d’une dévorante faim d’Absolu. (…) Tout a commencé, pour moi, dans le choc horrible qui m’a saisi lorsqu’après des années d’études théologiques, reprenant pour mon compte un peu d’études bibliques, j’ai découvert le livre de Josué. Déjà un trouble très grave m’avait saisi en voyant, peu avant, Moïse apportant des « Tables de la loi » qui enfin disaient : « Tu ne tueras pas , voyant le Veau d’or, ordonner le massacre de 3.000 gens de son peuple. Mais avec Josué je découvrais (certes contés des siècles après l’événement), comment se réalisa une véritable « Shoah » sur toute vie existant sur la « Terre promise ». La violence ne détruit-elle pas tout fondement de la Promesse ? (…) Mais cette Alliance porte-t-elle encore sur ce coin du monde seulement (que l’on peut et doit encore appeler, non « terre promise », mais « terre sainte », couverte de crimes mais aussi de saints prophètes ? (…) Je t’en prie, retiens de ces lignes presque illisibles que nous lirons ensemble au téléphone, la force et la fidélité de mon affectueuse estime et de mon respect pour l’énorme travail de ton nouveau livre. Le confondre avec ce qui fut appelé « révisionnisme » est une imposture et véritable calomnie d’inconscients. Ton frère, Abbé Pierre » (2)
Roger Garaudy l’humaniste , le penseur et le croyant .
Chantal Dupille avec un zèle de bénédictin a compilé les contributions nombreuses variées et éclectiques de Roger Garaudy. Nous allons en cite quelques unes : « J’aime la mort écrit Garaudy du même amour que la vie. Parce qu’elles ne font qu’un. La mort – j’entends la mort naturelle, après une longue vie de travail et d’amour – n’est pas une limite, une négation de la vie. Elle donne, au contraire, à la vie sa signification la plus haute. Ma propre mort est un rappel constant que mon projet n’est pas un projet individuel. Je ne suis un homme que si je participe à un projet qui me dépasse… Tout ce que j’ai pu créer, par mon travail, ma pensée, mon amour, s’est inscrit et pour toujours dans la création continuée de l’homme par l’homme. A partir du moment où cette participation à la création est brisée j’ai cessé d’être un vivant, même si une technique médicale absurdement devenue une fin en soi me maintient pour un temps encore dans un état végétatif ». (3)(4)
A l’échelle du monde : Les désastres du néolibéralisme
Il y a trente ans déjà Garaudy nous mettait en garde contre les lois du marché « Au lieu de considérer l’actuelle logique économique de Maastricht, de l’Euro, et de l’économie de marché, comme un destin, il s’agit de rompre avec cette logique, c’est à dire passer de la logique de la spéculation à la logique de la production et de la création humaines à l’échelle du monde total et non d’une Europe, hier coloniale et aujourd’hui vassale, mais toujours usurière par son exploitation des dettes d’un monde qu’elle a sous-développé au profit de son propre développement déshumanisé ». (3)(5)
« De nouveaux rapports avec la nature qui ne soient plus des rapports de conquérants mais d’amoureux (..) Pour que se produise enfin, sur notre planète en péril, un changement radical d’orientation de nos sociétés, il ne suffit pas de réformes économiques et sociales, ni même de révolutions et de transferts de pouvoir. Pour opérer une radicale mutation, il faut un véritable soulèvement spirituel, un réveil global de conscience… L’éducation, de ce point de vue, a pour fin première la libération et la culture de l’imagination. Il n’est pas d’éducation plus révolutionnaire que celle qui tend à faire prendre conscience à l’enfant que le monde n’est pas une réalité donnée, toute faite, mais une oeuvre à créer, comme une oeuvre d’art ». (3) (6)
« Nous souffrons écrit Garaudy de vivre dans un monde sans but Ce qu’on appelle la politique de croissance est une politique pour laquelle le fonctionnement, de la machine est le but. Même si c’est une machine inutile, nuisible, ou mortelle. (…) Il ne s’agit pas d’arrêter la croissance mais de l’orienter pour qu’elle serve non l’abaissement de l’homme mais son épanouissement. Le marché capitaliste a recréé la jungle animale. Dans cette nouvelle jungle les forts dévorent les faibles: les grandes entreprises écrasent les petites, les sans propriété sont à la merci des possédants. (…) Dans les pays capitalistes l’homme est mutilé par cette triple aliénation de l’avoir, du pouvoir et du savoir. Les pays dits « socialistes » (à l’exception de la Chine) ont adopté le même modèle de croissance, la même coupure individualiste de l’homme, la même coupure entre dirigeants et dirigés. La prétendue « aide au Tiers-Monde », au lieu d’instituer un véritable « dialogue des civilisations » pour définir ensemble les orientations de l’avenir, tend à intégrer les pays autrefois colonisés au modèle occidental de croissance aveugle qui maintient et aggrave le inégalités entre les classes comme entre les nations ». (3)
Les sens de la vie et le rejet de tous les intégrismes
« Nous voulons que notre vie ait un sens écrit encore Garaudy dans sa vison œcuménique des religions, notre histoire un but. Nous voulons que chacun de nous participe à la découverte de ce sens, à la réalisation de ce but. Il n’est pas possible d’amender le système par des réformes partielles. Il faut en changer radicalement les principes et les structures. Abolir le capitalisme en son principe même, c’est combattre l’économie de marché, c’est-à-dire une économie fondée sur le profit de quelques-uns, l’exploitation des multitudes, le massacre de la nature considérée comme un réservoir et un dépotoir, la dégradation de l’homme, exploité comme travailleur, manipulé comme consommateur. En finir avec toutes les survivances du colonialisme c’est engager avec les non-Occidentaux un véritable dialogue des civilisations pour apprendre de leur culture d’autres rapports avec la nature qui ne soient plus seulement techniques mais vitaux, d’autres rapports sociaux qui ne soient ni totalitaires ni individualistes mais communautaires ». (3)(7)(8)
« Dans son dernier livre, écrit Michel Grodent, le philosophe s’en prend à tous les intégrismes
A quatre-vingt-deux ans, Roger Garaudy n’a rien perdu de sa combativité. Il n’a renoncé ni à Marx – ni à l’islam – à ne pas confondre avec l’islamisme. Son dernier livre a des accents prophétiques. Garaudy constate la décadence dans laquelle nous sommes : (…) Le responsable a pour nom «monothéisme de marché». (..) Il ne faut pas se tromper de cible, prévient-il. Quand leurs intérêts financiers ou pétroliers ne sont pas en jeu, beaucoup d’État occidentaux acceptent, au nom de la sacro-sainte raison d’État, de traiter avec des régimes musulmans non démocratiques. Au besoin, ils les aideront même à mater des rébellions, comme on l’a vu en 1979. (..) Le fondamentalisme est une réponse, incorrecte, dommageable, à un autre fondamentalisme qui est celui du colonialisme occidental. Et Garaudy de mettre en balance deux prétentions, intégristes, à posséder la vérité et à l’imposer à la terre entière. La version occidentale est économiste et abrutissante. Elle a pour véhicule favori la «télévision-poubelle», manipulatrice des opinions publiques. (…) » (9)
« Je vois l’islamisme comme une maladie de l’islam. (…) Si Dieu seul possède, poursuit Garaudy, qui peut décemment légitimer ces fortunes colossales réalisées en terre d’islam au mépris de toute justice distributive ? Si Dieu seul sait, qui peut se croire dépositaire d’un savoir absolu ?(…) Je rappelle dans mon livre ce «hadith», ce propos attribué au Prophète, lorsqu’il fut consulté par un homme qui était entré dans un champ de blé pour y arracher quelques épis. L’homme s’était fait agresser par le propriétaire. Le Prophète convoqua ce dernier qui se répandit en protestations. Comment ?, lui répliqua Mahomet, il était ignorant et tu ne l’as pas éduqué ? Il avait faim et tu ne l’as pas nourri ? Réprimer le vol en coupant les mains au voleur, comme on le fait dans certains pays musulmans, ce n’est pas un signe d’obéissance à la loi divine. Respecter la chari’a suppose que l’on s’attaque aux racines du mal : les conditions sociales qui incitent à voler. Et, de toute façon, quelle hypocrisie, à l’heure où le vol se pratique à grande échelle, où il suffit d’appuyer sur une touche d’ordinateur pour transférer des milliards d’un organisme bancaire à l’autre ! » (9)
Comment l’homme devint humain se présente, dans une autre perspective, comme une invite à la tolérance, à la fraternité entre les différentes Races, les différentes ethnies, qui peuplent notre Terre, cette Terre qui, vue d’une autre planète, paraît « belle, lumineuse », une et pacifique » Qu’on se souvienne ! Au Paléolithique supérieur (30 à 40.000 ans avant J .c.) le métissage biologique et culturel, qu’il s’agisse du métissage intra-racial ou interracial, était déjà un acquis de l’Histoire des hommes ! C’est dire, en d’autres mots, que la Civilisation de l’Universel à laquelle Roger Garaudy a décidé de consacrer le reste de sa vie, ne constitue pas, ne peut constituer, pour nous, un projet ou une utopie. Elle est, comme sont les lois de la nature. (…) Comment faire comprendre au grand public de l’Occident, que c’est en Afrique, que l’on a trouvé les plus vieux squelettes humains ? (…) Comment soutenir, devant ce public, que le papier et l’imprimerie « sont connus en Chine, 700 ans avant Gutenberg » ; et qu’Ibn Khaldoun « trois siècles avant Montesquieu, à une époque où l’Europe ne connaissait que des « chroniqueurs », recherche les lois du développement historique, et au-delà du « hasard », les causes cachées » ? Est-il aisé de faire admettre à l’opinion occidentale, à l’heure de la greffe du cœur, qu’en médecine, l’encyclopédie médicale de l’Iranien Razi, traduite en latin, « fait autorité dans tous l’Occident médiéval » ?(….) Et comme l’écrit l’Iranien Sohravardi dans son Bréviaire des Fidèles d’amour cité par R. Garaudy, « l’amour seul peut nous conduire à ce à quoi nous aspirons. Il faut donc se rendre soi-même capable d’éprouver l’amour… de se donner totalement à
l’amour ». (10)
Rien à ajouter.. Reposez en paix monsieur Garaudy , que la terre vous soit légère
1.Roger Garaudy est mort. L’Expression du 16 juin 2012
2. La lettre de l’Abbé Pierre à Roger Garaudy 15 avril 1996:
3. http://chantaldupille.over-blog.com/article-disparition-de-roger-garaudy-humaniste-artiste-croyant-libre-penseur-fraternel-106895558.htmlDisparation de Roger Garaudy http://chantaldupille.over-blog.com/article-disparition-de-roger-garaudy-humaniste-artiste-croyant-libre-penseur-fraternel-106895558.html
4. Roger Garaudy, Parole d’homme, Editeur Robert Laffont, 1975
5. Roger Garaudy, L’avenir mode d’emploi, Editions Vent du large, p.11
6.Roger Garaudy, Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants. pp 207-209 Eds. l’Archipel
7.Roger Garaudy « Le projet espérance »(Editeur Robert Laffont), 1976
8. http://rogergaraudy.blogspot.fr/2011/04/vers-une-guerre-de-religion.html
9.Michel Grodent, « Le Soir », Mercredi 8 mars 1995 Roger Garaudy, «Vers une guerre de religion ? Le débat du siècle», Desclée de Brouwer
10. Makhily Gassama http://rogergaraudy.blogspot.com/2010/09/comment-lhomme-devint-humain.htmlEthiopiques n° 25 011981 « Comment l’homme devint humain »
Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz