50 ANS D’ERREURS GEOSTRATEGIQUES DES DIRIGEANTS AFRICAINS : L’EXEMPLE DE LA BANANE
1 mai 2013
Leçon de Géostratégie Africaine n° 21
50 ANS D’ERREURS GEOSTRATEGIQUES DES DIRIGEANTS AFRICAINS : L’EXEMPLE DE LA BANANE
de Jean-Paul Pougala
publié le 5/2/2012)
L’histoire retient que le traité de Rome instituant la Communauté Economique Européenne a été signé le 25 Mars 1957. Ce qui ne figure pas dans les livres d’histoire est que cette signature était initialement prévue pour le 21 Mars 1957 et qu’elle a été repoussée de 4 jours. Oui, les livres d’histoire (tous écrits par les Européens) ne s’attardent pas sur ce détail, pourtant très important pour un Africain. Il faut donc aller creuser dans les mémoires laissés par certaines personnalités présentes à cette cérémonie pour découvrir que la date a été repoussée de 4 jours à cause de la banane. Oui, je sais que cela peut prêter à sourire, mais c’est très sérieux. Car c’est le début d’une stratégie globale dont l’objectif de fond était la pérennité de l’économie coloniale, même au-delà des indépendances africaines.. Il a fallu 4 jours de négociation pour trouver comment l’économie de rente coloniale, au service de certains pays allait persévérer même avec la nouvelle union en création. En Italie, il y avait de fait un monopole d’état sur la banane en provenance de sa colonie, la Somalie et en France depuis 1932, il existait une sorte de task-force pour approvisionner le pays de la banane provenant de 5 colonies : Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, Martinique et Guadeloupe.
La banane se révèle ainsi dès le Traité de Rome comme un instrument de contrôle géostratégique sur les Etats africains, même avant leurs indépendances ensuite reconnues par leurs bourreaux. Et parce qu’en 1960, la France sera obligée de reconnaitre l’indépendance des 3 premiers pays, tout sera fait pour que ce soit les populations françaises restées dans ces ex-colonies à s’occuper de la banane, orientant la population locale vers des cultures de loin, moins rentables comme le coton, le café et le cacao. Nous allons voir comment.
A- LA RENTABILITE DE LA BANANE
La banane est le fruit le plus rentable au monde parce que sa récolte est hebdomadaire et se pratique toute l’année. Son rendement effectif passe de 20 tonnes à l’hectare pour la banane Bio au Sénégal selon les chiffres fournis par l’APROVAG l’organisation de producteurs APROVAG, Tambacounda au Sénégal, à 60 tonnes par hectare dans les serres marocaines, selon les chiffres fournis par l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat au Maroc. En comparaison, le cacao produit à l’hectare 300 kg, selon les chiffres fournis par le CNRA, Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire, rendus publiques par Monsieur Lancine Bakayoko le 27/10/2009, c’est-à-dire qu’à cause des choix erronés des économistes et politiciens ivoiriens, depuis la pseudo-indépendance, un agriculteur ivoirien de cacao est 200 fois plus pauvre qu’un agriculteur marocain de la banane. C’est encore pire pour le café. Selon une étude très sérieuse réalisée par l’IRCC l’Institut de Recherches du Café et du Cacao de Côte d’Ivoire, entre 1969 et 1982, on obtient dans la zone de Gagnoa une moyenne pondérée de 180 kg de café à l’hectare, c’est-à-dire que les économistes et politiciens Ivoiriens ont sciemment réduit à la misère des paysans de 333 fois pire que leurs homologues, paysans marocains. On retrouvera la même situation presqu’à l’identique partout ailleurs en Afrique subsaharienne.
B- LA GEOSTRATEGIE DE LA BANANE
La Banane est le fruit le plus consommé au monde. Selon les chiffres fournis par le Monde Diplomatique du mois d’Octobre 1996, par Ghislain Laporte, on en produisait 52 millions de tonnes en 1996 (100 millions de tonnes en 2011). Et les deux principaux producteurs, l’Inde et la Chine, consommaient la totalité de leur production. Ce qui restait 11 millions de tonnes sur le marché international dont 4 millions de tonnes allaient vers l’Union Européenne. Et dont les 2/3 contrôlés par deux multinationales américaines, United Brands Company (marque Chiquita) et Castel & Cooke (marque Dole), et une mexicaine : Del Monte.
Ce qui est détestable sur ces chiffres ce sont deux éléments essentiels :
1- La totalité de 79 pays dit ACP(Afrique, Caraïbes et Pacifiques) à qui l’Union Européenne fait miroiter un avantage incontestable avec la convention de Lomé, Cotonou, fournissent à peine le double (857.000 tonnes) des toutes petites iles espagnoles des Canaries (420.000 tonnes). A peine 4 fois plus que la minuscule Martinique, avec 1.100 km2 et 382.000 habitants qui elle a fourni l’UE pour 220.000 tonnes de bananes, contre les 802 millions d’Africains Subsahariens (chiffres 2007).
2- Pire, la quantité des 79 pays ACP est le tiers de la quantité livrée à l’UE par l’Amérique du Sud qui ne bénéficie nullement des mêmes conventions, soit 2,5 millions de tonnes.
Il en ressort de ces 2 points, une volonté de détourner l’Afrique des productions rentables comme la banane qui ne doivent selon cette logique purement coloniale, (même à plus de 50 ans de la reconnaissance par l’occident des indépendances africaines), réservant la production sur le sol africain, exclusivement aux occidentaux.
L’erreur des gouvernants africains a été de demeurer dans cette logique coloniale de croire qu’il n’existe autre vérité au monde que celle qui viendrait de l’Union Européenne et qui porterait à une passivité totale, faisant croire qu’il n’existe que le marché de l’UE. A les anesthésier dans cette passivité, sont arrivées des Organisations Non Gouvernementales (ONG), dites écologiques qui ont toutes vanté l’urgence de sauver la forêt africaine, mais dont le vrai rôle était celui de détourner les Africains de l’exploitation de cet espace vital pour la création des plantations d’innombrables productions bananières pouvant perturber le très juteux business de la banane sur le marché mondial et garantir une véritable autonomie financière de l’Afrique. Cet exemple de la banane est très symptomatique de cette situation qui est arrivée à la contradiction des pays comme le Sénégal qui ont négligé leur propre production interne de bananes pour en importer.
C- POURQUOI LA BANANE ?
Plusieurs institutes de recherches sont unanimes sur le caractère exceptionnel des nutriments que renferme un doigt de banane mur :
Riche en potassium, la banane est un médicament contre l’hypertension. Il est aussi indiqué dans la médecine douce dite naturelle contre l’ulcère d’estomac, la diarrhée. Riche en fer, la banane stimule la production d’hémoglobine, ce qui contribue à diminuer l’anémie. La banane contient la vitamine B6, dont le role est de réguler le glucose dans le sang.
Même en se passant de l’exportation, l’Afrique aurait dû développer une large assiette interne des consommateurs de banane, car ce qui fait priser ce fruit, c’est sa forte teneur en vitamine C. Et une ration d’un seul doigt de banane par jour suffirait pour combler les besoins en vitamine C des enfants africains. Et il existe un gros grand marché en Afrique même, vue le fort taux de populations enfantines et les besoins d’apport des vitamines.
D- LE CERVEAU DES AFRICAINS EST-IL EN SOMMEIL ?
Sur les 55.000 tonnes de bananes vendues dans le monde en 2010, 40% étaient produites en Asie, 27% en Amérique du Sud et seulement 13% en Afrique. Là il s’agit de la banane dite dessert, c’est-à-dire, la banane mangée comme fruit, la banane mure. Mais selon les chiffres fournis par la FAO, en 1995 il a été produit dans le monde 24.000 tonnes de banane à cuire dite verte, 17.000 tonnes étaient produites en Afrique, c’est-à-dire 71% et 4.000 tonnes en Amérique du Sud, c’est-à-dire 17%. On peut dès lors déduire que si les Africains ne produisent que les 13% de la banane mondiale, ce n’est pas à cause de leur incapacité mais à leur état de passivité mentale aptes à soigner les intérêts économique de l’Occident dès lors qu’il s’agit d’avoir affaire au marché ; mais pas les leurs, puisque lorsqu’il s’agit de produire pour se nourrir, lorsqu’il s’agit de satisfaire à un instinct de survie, ils battent tous les records mondiaux. On peut donc dire que le cerveau des Africains semble en sommeil lorsqu’il s’agit de produire pour vendre, pour vendre hors de l’Union Européenne. Ils sont alors à la merci des conseils savamment erronés que lui prodigue l’Union Européenne, c’est-à-dire la décourager à produire la banane pour la commercialisation, à moins que cette dernière ne soit entièrement sous le contrôle des entreprises occidentales installées en Afrique.
En 2007, 65% de la banane vendue sur le marché mondial provenaient de deux pays qui étaient auparavant, champions du café et qui ont tous les deux détruit les champs de ce maudit café, pour passer à la banane et c’est la Colombie et le Costa Rica. C’est ce qui a fait que la même année, sur les 10 pays plus gros exportateurs de la banane au monde, 7 étaient de l’Amérique du Sud, permettant à cette partie du monde de contrôler les 95% de la banane exportée dans le monde. Pendant ce temps, les Africains se préparaient à fêter les 50 ans d’indépendance, mais avaient toujours des difficultés à se défaire du commandement colonial de ne s’occuper que du café, du cacao et du coton, un autre produit tristement célèbre lié aux déportations des Africains vers l’Amérique pendant 4 longs siècles.
En 1978, le Maroc décide d’interdire l’activité d’importation de la banane. Le Roi avait tout simplement compris que la banane pouvait être un instrument de géostratégie entre les mains du royaume. Et malgré les conditions climatiques défavorables comme (contrairement au Congo ou au Cameroun), le Roi décide de créer des serres équipées et prêtes à produire avec des lotissements de 1,53 hectares donnés en location à un prix dérisoire à ses citoyens. Le Maroc qui importait chaque année 24.000 tonnes de banane en 1978, dès 1982 est capable de satisfaire sa demande interne au niveau d’avant l’interdiction. Selon un rapport publié par 3 professeurs : Skiredj, Walali et Attir de l’ Institut Agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, des 2 hectares de démarrage de la campagne 1980/81, on est passé à 2.700 hectares en 1996 et 3.500 hectares en 2011, avec une production annuelle de plus de 100.000 tonnes de bananes
E- QUE FAUT-IL FAIRE ?
La politique d’approche doit être radicale et en 3 directions :
1- 40% de la banane produite en Afrique pourrit par manque de marché à l’international. Pour y remédier, il faut procéder comme on l’a fait au Maroc : stimuler et organiser le marché intérieur en collectant systématiquement toute la banane-dessert disponible chez les petits producteurs pour les conserver dans les Murisseries desquelles les bananes sortiront muries dans les quantités correspondant à la demande du marché interne.
2- Démocratiser la production de la banane en créant de petites parcelles de plantation. C’est la seule possibilité pour rompre avec les pratiques coloniales de l’esclavage des plantations de banane qu’on observe encore de nos jours, non seulement en Afrique, mais aussi en Martinique et en Guadeloupe où la culture de la banane est solidement et exclusivement entre les mains des descendants d’anciens esclavagistes.
3- Pour produire, il faut savoir vendre. Le marché international de l’aviation comme des jouets répondent à des logiques spécifiques à chaque pays, à chaque produit et à chaque culture. Il faut avoir la flexibilité d’esprit de comprendre que le monde ne se limite pas à 4 pays Européens, fussent-ils les plus riches. Il existe une très forte marge pour le développement de la consommation de la banane dans de nombreux pays comme la Russie, l’Iran, la Turquie etc…
F- LA COOPERATIVE
Il existe un marché interne africain à saisir, mais pour y arriver, il faut le stimuler et produire pour le satisfaire. Pour éviter le piège des multinationales du secteur de la banane il faut tout simplement démocratiser le business dela banane avec des petites parcelles ne pouvant excéder 5 hectares et surtout, être sûr et certain que les propriétaires sont ceux là-mêmes qui travaillent au quotidien dans ces plantations. Cela évitera le fâcheux problème de spéculation foncières qu’on retrouve dans certains pays où les autochtones se frottent les mains et font travailler des esclages venus d’ailleurs, comme en Côte d’Ivoire notamment. La coopérative doit donc véritablement regrouper uniquement les paysans faisant partie du projet, et c’est elle qui devra se charger de fournir les premières plantes de bananes aux agriculteurs. C’est elle qui ensuite doit se charger du contrôle de la qualité et du respect des normes internationales pour le gazage et le transport maritime, pour couvrir d’abord le marché national et après international.
Aujourd’hui, le vrai profit de la banane réside dans la distribution. Aucune politique ne sera complète et efficace pour sortir nos agriculteurs de la misère du café, du cacao et du coton si elle ne prend pas en compte la nécessité de créer des murisseries directement dans les grandes villes de nos pays afin d’instaurer une sorte de concentration dite « verticale ». C’est à ce prix qu’il sera possible de contourner certaines faiblesse du manque de compétitivité de la banane africaine, trop longtemps restées dans la logique d’infantilisation globale du continent africain par les européens. Pour stopper la logique coloniale des champs actuels de la banane, il faudra arriver à une transition vers ces petits propriétaires et éviter toute exploitation directe par des entreprises transnationales. C’est à ce prix que nous réussirons une véritable redistribution des retombées du fruit le plus consommé au monde, la banane. C’est ce qui se fait déjà dans de nombreux pays sud-américains où contrairement à l’Afrique, les gouvernants ont négocié pour obliger les entreprises multinationales du secteur à cesser de produire elles-mêmes, et acheter leurs cartons de bananes directement aux paysans.
L’exemple de la coopérative APROVAG (l’organisation de producteurs, Tambacounda) dans l’arrondissement de Missirah au Sénégal, me semble intéressante à signaler et à adapter ailleurs en Afrique. Ils se sont organisés de manière à dédier à la banane 16% de leurs terres, c’est-à-dire 0,25 des 1,63 hectares de chaque planteur, pour un total de 250 hectares consacrés à la culture de la banane, pour avoir de l’argent. En 2008, la production a été de 5.000 tonnes (avec une perte de 20% dû au manque de murisserie et 5% consommé par les agriculteurs eux-mêmes), la coopérative a ainsi vendu 4.000 tonnes de bananes, réalisant un petit pactole de 640.000.000 francs CFA (975 760 €) pour cette population villageoise estimée à près de 52 845 habitants, et une marge bénéficiaire nette de : 1 561 000 francs CFA par hectare dans les 3 communautés rurales : Missirah, Dialacoto et Néttéboulou. Cette coopérative a fait le choix pénalisant qui limite sa productivité à 20 tonnes à l’hectare, pour protéger la santé de ses membres, ayant renoncé aux engrais chimiques qui sont la principale source de malheur dans les plantations de bananes dites industrielles.
Maturation et conservation :
La banane est un fruit dit climactérique, c’est-à-dire que sa maturation peut être contrôlée pour en diminuer les pertes, et réguler sa mise sur le marché, grâce à l’acétylène ou à l’éthylène, des produits de l’industrie pétrochimique, obtenus à base du gaz. Les bananes collectées des petits producteurs doivent être immédiatement stockées dans des magasins frigorifiques appelés « mûrisseries ». Là, elles subissent un traitement à l’acétylène à des températures et l’hygrométrie bien spécifiques passant de 18°C à 14°C en 4 jours pour la maturation ou stable à 6-7°C pour la conservation.
G- ACP-UE UNE COOPERATION INUTILE A SAVEUR COLONIALE
50 ans après la reconnaissance par les européens de l’indépendance de plusieurs pays africains, le moment est peut-être venu de rendre cette indépendance effective. Aujourd’hui, 46 pays africains se trouvent dans une situation de subalternité mentale, à peine mise à nue avec l’exemple de la banane. L’Afrique doit avoir le courage de sortir de son adolescence en prenant une décision radicale de façon unilatérale et d’informer l’Union Européenne qu’elle met fin à toutes les ficelles que cette dernière avait tissées pour la contrôler et la tenir en esclavage. L’exemple le plus emblématique est le fameux regroupement dénommé ACP (Afrique Caraïbes et Pacifique) qui est la preuve vivante que la colonisation n’est jamais finie et pour cause :
1- Ce ne sont pas les Africains qui ont pris l’initiative de sa création. Ce qui signifie qu’un tel regroupement n’a pu être pensé par les Européens que pour répondre aux intérêts exclusifs de l’Europe. Et seulement supposer qu’ils l’ont fait pour les intérêts des africains est encore plus insultant pour l’intelligence de ces derniers. Dans l’un ou l’autre cas, l’image de l’Afrique en sort complètement en lambeaux.
2- Il est anormal que 46 pays d’Afrique subsaharienne soient associés à un quelconque débat avec l’Union Européenne, en excluant les pays de l’Afrique du Nord, alors même que l’Union Européenne se présente toute unie quel que soit le thème du débat, quel que soit le lieu.
3- Le siège de l’ACP se trouve à Bruxelles, et financé à 100% par l’Union Européenne, ce qui est tout à fait inacceptable sur le plan même du symbole, pour des pays qui se croient indépendants depuis plus de 50 ans. Si cet ACP était pour les pays concernés, comment expliquer donc que le siège ne se trouve pas dans l’un de des pays membres de cette entité juridique ? Que se passe-t-il dès lors que ses intérêts sont divergents avec ceux de l’Union Européenne ? La vérité est plus amère et c’est que les gouvernants Africains qui se bousculent pour ce genre d’organisation, croient sincèrement et naïvement que cela peut faire le travail à leur place d’inventer, de créer des solutions originales pour bâtir le bonheur et la prospérité de leurs populations. Quelle dignité un fonctionnaire africain ressent-il lorsqu’il est logé et nourri aux frais de l’Union Européenne ? C’est une véritable forme de prostitution intellectuelle des nations africaines.
4- Lorsqu’en 1973, le Royaume Uni rejoint l’Union Européenne, deux ans plus tard, en 1975, il y a une miraculeuse augmentation du nombre des pays membres de l’ACP. Ce petit miracle tient au fait que le Royaume-Uni y a apporté ses propres colonies membres de son fameux « Commonwealth ». C’est la preuve même du fait que l’ACP est une organisation coloniale et fonctionne dans une logique purement coloniale, parce que les pays qui y adhèrent sont dans la tête de ses créateurs, ni plus, ni moins que des colonies. Et l’Afrique ferait mieux de s’en aller.
5- L’Equateur qui n’est pas membre de cette organisation a fourni en 2011, 40% de la banane exportée dans le monde, avec ses presque 5 000 000 de tonnes de bananes-dessert. Pour consoler ses prétendus protégés de l’ACP pour leur effacement presque total de ce marché, l’Union Européenne a donné à partager par les 79 pays ACP, la manche de 220 millions d’euros, c’est-à-dire une moyenne 2,70 millions d’euros chacun. Pour quoi faire ? Pour résoudre quel problème ? Mystère.
La stratégie de la régionalisation des relations internationales mise en place par l’Union Européenne avait pour objectif de la renforcer et de fragiliser ses partenaires du sud du monde qui se sont ainsi installés dans une relation inégale d’une partie qui parle d’une seule voix et choisit en formatant selon ses ambitions et ses intérêts exclusifs, des partenaires aussi peu homogènes que le groupe des ACP. L’Afrique doit comprendre qu’on ne sort pas de siècles d’esclavage et de violence coloniale sans une véritable prise de conscience de l’exigence vitale d’une rupture mentale avec ce passé, pour s’émanciper vers la liberté. Tous les bricolages, tous les raccommodages qui s’appellent ACP ou CEMAC, ou CEDEAO sont des configurations artificielles dont le seul objectif est de diviser les Africains et empêcher l’émergence des Etats-Unis d’Afrique.
H- QUELLES LECONS POUR LA JEUNESSE AFRICAINE ?
La jeunesse africaine doit pouvoir se poser une importante question : pourquoi l’Union Européenne qui fragmente le continent africain dans des regroupements les plus déraisonnables n’applique pas à elle-même ces conseils, en créant par exemple un regroupement des anciens pays communistes de l’UE, un regroupement des 6 membres fondateurs de l’UE, un regroupement des pays riverains de la mer Méditerranée de l’Union Européenne, un regroupement des pays atlantiques de l’UE ??? La crise économique que vit l’Occident nous prouve qu’il n’existe en absolu, ni pays riche ni pays pauvre, il existe des populations riches en prise de conscience de ses propres intérêts et d’autres pauvres en cette conscientisation. L’ennemi du continent africain, n’est pas l’Union Européenne, c’est la médiocrité africaine, c’est cette mentalité de subordonnés qui fait qu’on préfère agir par procuration et voir un européen diriger les équipes nationales de football, même s’il n’a jamais fait preuve nulle part de ses capacités d’entraîneur, diriger les plus grandes entreprises publiques, même si l’heureux gagnant de ce loto africain n’a jamais prouvé ses capacités de gestionnaire nulle part etc…
Qu’est ce qui peut justifier que des pays s’obstinent dans l’esclavage du café et du cacao avec des rentabilités de 180 kg à l’hectare oubliant la banane qu’ils importent, alors qu’ils pourraient réaliser sur cette même banane une rentabilité minimale de 20 tonnes à l’hectare ? Peu importe, si un européen a dit que c’est le bon choix à faire, oui, très probablement il doit avoir raison. Pourquoi pourrait-il en être différemment, puisque son ancêtre a eu le dessus sur le mien ; puisque même son dieu a pris le dessus sur la divinité qu’étaient mes ancêtres ; puisque son pain au blé a remplacé mon beignet au mil, au sorgho, au manioc ; puisque ses prénoms ont remplacé les miens ; puisque sa langue a remplacé la mienne ; puisque sa monnaie a remplacé la mienne ; puisque ses présidents ont tué les miens ; pourquoi donc ne serait-il pas infaillible lorsqu’il choisit à ma place les joueurs de mon équipe nationale ? Lorsqu’il décide à ma place que je ne dois pas toucher à la forêt pour créer mes plantations, de peur que le monde entier étouffe par manque de l’oxygène qui viendrait de ma brousse ? Il a forcément raison lorsqu’il vante le mérite du cacao et me conseille de m’y éterniser dans sa culture pour faire la gloire de quelques chocolatiers de luxe à Bruxelles, à Paris ou à Viennes. Il a forcément raison sur tout. Si tel n’est pas le cas, suis-je vraiment normal ?
05/02/2012
Jean-Paul Pougala
(*)Jean-Paul Pougala est citoyen camerounais et Directeur de l’institut d’Etudes Géostratégiques de Genève en Suisse.