La Libye, un incubateur de dictateurs
24 juillet 2014
La Libye, un incubateur de dictateurs
Trois ans après la chute du colonel Kadhafi, la Libye est en proie au chaos le plus profond. Au bord de la sécession, miné par de sanglants règlements de compte quotidiens, le pays menace aujourd’hui la sécurité de toute la région. La passe de Salvador, carrefour stratégique à la frontière de la Libye, du Niger et de l’Algérie est devenu un dangereux repère de trafiquants et de djihadistes au cœur du désert. Au point que les puissances occidentales n’excluent pas d’intervenir à nouveau dans la zone. Retour sur la descente aux enfers d’un Etat au bord de la faillite.
« La Libye est désormais un incubateur de dictateurs et le peuple libyen n’a en rien profité du renversement de Kadhafi. » Le constat est sans appel, dressé par Ahmad Mahmoud, professeur de sciences politiques dans les universités libyennes. Mahmoud Jibril, premier ministre de la période transitoire, l’a confirmé en ces termes : « La Libye est devenue un danger pour la sécurité nationale de son environnement et l’hypothèse d’une option à l’égyptienne selon le schéma Sissi n’est plus à exclure. »
Les torpilles de Mahmoud Jibril
Telle est en substance la tonalité générale des confidences recueillies par la presse arabe, notamment le journaliste libanais Ghassane Charbel, ainsi que le site en ligne Ar Rai Al Yom. « Les trois dernières années doivent s’ajouter aux quarante-deux ans de la dictature de Kadhafi », a déclaré Ahmad Mahmoud à Ar Rai Al Yom. « La Libye, pays riche, est au bord de la faillite après l’échec des pouvoirs publics de lever le blocus des ports pétroliers, et le peuple est sceptique sur la volonté réelle des pouvoirs publics de mettre un terme à l’anarchie », a-t-il poursuivi, pointant du doigt « les seigneurs de la guerre qui imposent leur loi au pays »(1).
Mahmoud Jibril constituait la combinaison idéale de l’homme promis aux plus hautes destinées de son pays dès lors qu’il apportait une caution moderniste à une coalition rétrograde. Une fonction identique à celle assumée au niveau de l’opposition offshore syrienne par Basma Kodmani, comme auparavant Hamid Karzaï en Afghanistan. Le paravent idéal pour une recolonisation du monde arabe par les puissances coloniales en crise systémique d’endettement, à la recherche de prédation économique des richesses de leur périphérie.
Mahmoud Jibril est diplômé de l’université de Pittsburgh (États-Unis). Ce spécialiste de la planification, auteur d’une encyclopédie sur les investissements dans le monde arabe, proche de Seif al-Islam Kadhafi, était exilé au Caire pour avoir refusé le prix Mouammar-Kadhafi (d’une valeur de 200 000 dollars) deux ans avant la chute du Guide. Un opposant critique au régime, en somme, compagnon de route des Frères musulmans mais nassérien par son mariage avec la fille de Chaarawi Joma’a, ancien ministre de l’Intérieur de Nasser, qui plus est une enseignante à l’université du Caire, parlementaire siégeant à l’Assemblée du peuple égyptienne sous Hosni Moubarak. Fondateur de JTrack (J pour Jibril), une entreprise spécialisée dans le média training, Jibril a pris en main la préparation des dirigeants arabes et d’Asie à la maîtrise du langage médiatique. Du Maroc à Singapour, JTrack a formé la plupart des responsables politiques soutenus par les États-Unis et Israël pour en faire des personnalités médiatiquement respectables. Il favorisera ainsi la promotion de son ami à la direction d’Al-Jazeera, Waddah Khanfar, un ancien journaliste de Voice of America, membre de la confrérie des Frères musulmans. C’est lui qui annoncera par simulation virtuelle la chute de Tripoli, via la construction dans les studios mêmes de la chaîne à Doha des répliques de la place Verte et de Bab el-Aziziya où furent tournées de fausses images de l’entrée des « rebelles » pro-occidentaux dans Tripoli. Écoutons-le avec la distance qui s’impose.
Membre de l’Otan, pays musulman sunnite non arabe, la Turquie a été, avec le Qatar, le deuxième sous-traitant des Occidentaux du printemps arabe. Pour Mohamad Jibril, « la Turquie représente une forme d’État régi par le libéralisme islamique. » Un État quasi occidental dans sa version musulmane, de surcroît un allié de l’Otan. Son empressement à s’engager dans le processus répondait à son souci de s’aménager un pouvoir de négociation dans la perspective de son adhésion à l’Union européenne. « Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan m’a souvent répété : “L’État n’a pas de religion.” Mais si j’avais affirmé cela devant les Libyens, j’aurais été certainement poursuivi pour apostasie. »
De la « confrontation » au « containment »
« La stratégie américaine, depuis 2007, a visé à confier la gestion de l’islam politique aux Frères musulmans afin que la Confrérie assume le rôle de chef de file du courant se réclamant de l’islam modéré. » Elle s’est inspirée d’un rapport de la Rand Corporation, qui avait pour nom de code « C-C », pour « From confrontation to containement ». La Rand Corporation est un think tank américain chargé d’élaborer des prospectives en vue de nourrir la réflexion stratégique américaine, en complément d’une structure jumelle, la Ford Foundation, dont la directrice régionale pour le Moyen-Orient, basée au Caire, n’était autre que l’universitaire franco-syrienne Basma Kodman. Et première porte-parole de l’opposition syrienne offshore, chargée de la promotion de L’Arab Reform Initiative, un projet financé par des capitaux mixtes, notamment de la principauté d’Abou Dhabi.
« Morsi au pouvoir était pleinement conforme aux desiderata américains. Mais les Américains baignent dans la contradiction. Ils ont certes protesté contre la destitution de l’ancien président égyptien comme étant contraire à la légalité, mais n’ont soufflé mot lorsqu’en Libye le vainqueur des élections législatives, la “Coalition des forces nationales”, a été privée du pouvoir par la force des armes. » « Al-Qaïda, les takfiristes, les djihadistes ont été instrumentalisés par certains cercles occidentaux dans le but de les canaliser et de les diriger vers des lieux précis, non pour les affronter, mais pour les contenir. Le courant islamiste devrait veiller à éviter de servir de prétexte à une intervention militaire étrangère. »
« Le printemps arabe a tué le printemps arabe »
« Le printemps arabe avait un rapport avec le règlement du conflit israélo-arabe. Le projet prévoyait l’affectation d’une portion du désert du Sinaï à l’installation de Palestiniens de la diaspora dans le sud de la péninsule. Ce projet devait être complété par la création d’une zone franche à l’est de Suez et des investissements considérables, pour faire de cette zone de démarcation entre Israël et l’Égypte, le Hong Kong des Arabes. »
Pour Mahmoud Jibril, le régime syrien sera préféré aux djihadistes, car « le désarmement chimique de la Syrie donne désormais à ce pays une importance plus grande aux yeux des Américains et des Occidentaux que les djihadistes. Assad désarmé est un atout considérable pour la sécurité d’Israël. Son maintien sera préféré à la présence d’un inconnu extrémiste. Le règlement en Syrie interviendra selon le schéma yéménite. Le maintien des structures du régime sans Assad. Un de ses proches lui succédera et Assad ne sera pas poursuivi par la justice pénale internationale ».
« Le printemps arabe a tué le printemps arabe. Nous lui avons fait supporter plus qu’il n’en pouvait. La paternité du terme revient d’ailleurs au journaliste américain Thomas Friedman, du New York Times, par comparaison avec le phénomène qui s’est produit en Europe centrale » dans la décennie 1990. « La Libye contenait en germes les indices d’une malformation. La Syrie en a démontré l’ampleur. En Libye, la violence était contenue dans tous les aspects de la phase de transformation. En Syrie, la violence a atteint un degré catastrophique. Le drame du monde arabe réside dans la faiblesse des démocrates. »
« Si la Libye fait face à un problème de gestion des richesses, la Tunisie et l’Égypte connaissent un problème de création de richesse. Les investissements ont chuté de 90 % durant cette séquence, dont 30 % pour des recettes touristiques, tant pour l’Égypte que pour la Tunisie… »
« Les objectifs américains dans la zone ont été pleinement atteints. La sécurité d’Israël et du pétrole n’ont jamais été aussi grands. L’Irak et la Syrie ont été détruits. L’Égypte a besoin d’un véritable plan Marshall pour son redressement afin de retrouver son rôle pilote dans le monde arabe. Tout cela a déblayé la voie à l’émergence de l’Iran et de la Turquie en tant que puissances régionales avec les rivalités que cela implique. »
« Sauvetage national »
Mahmoud Jibril assure avoir vu la dépouille de Kadhafi tué de deux balles, l’une au front, l’autre à la poitrine. Il a démissionné de son poste le 23 octobre 2011, trois jours après le décès de l’ancien Guide, en rétablissant son curseur personnel dans le sens nationaliste. Cela a coïncidé avec le dégagement de Mohamad Morsi, premier président néo-islamiste de l’histoire arabe démocratiquement élu, par le général Abdel Fattah Sissi, ministre de la Défense, aujourd’hui président de l’Égypte.
En Libye en 2013, près de 260 manifestations ont été dénombrées contre le gouvernement et le Parlement. Plus grave : le 10 octobre 2013, le premier ministre en personne a été enlevé dans un hôtel en plein centre de Tripoli, alors qu’un chef de milice, Ibrahim Jadhran, proclamait, en novembre 2013, un gouvernement autonome de la Cyrénaïque. Parallèlement, Fethallah al-Gaziri, nouveau chef des renseignements, a été assassiné à Derna en décembre 2013. Hassan Al-Droui, vice-ministre de l’Industrie à Syrte, lui, a été assassiné début janvier. L’hôpital central de Tripoli a été saccagé le 20 janvier 2014. Enfin, un ingénieur français a été assassiné le 2 mars à Benghazi et deux députés de la nouvelle Assemblée ont été blessés par balles le même jour.
Face à un tel chaos, Mohamed Jibril a lancé, le 28 décembre 2013, une « Initiative de sauvetage national » et le chef nominal de l’opposition pro-atlantiste, Mustapha Abdeljalil, a préconisé la constitution d’un Groupe national pour le dialogue. Tout cela dans un contexte exacerbé par les rivalités factionnelles, marquées par trois coups d’éclat : le 7 janvier 2014, la quasi-démission d’Ali Zaidan de son poste de premier ministre, suivie, une semaine plus tard, par l’irruption des hommes armés au Parlement pour demander son départ. Le 21 janvier, les ministres du Parti de la justice et de la construction se retiraient du gouvernement.
Les lauréats du chaos
Sans surprise pour ceux qui ont suivi ce récit, Rached Ghannouchi, Waddah Khanfar, Waël Al-Ghoneim, Bernard-Henri Lévy, et Nicolas Sarkozy, président français, ont été distingués en 2011 par la revue Foreign Policy parmi les « personnalités les plus influentes de 2011 »(2). Des lauréats qui ne manquent pas d’allure : Rached Ghannouchi, est le chef du parti islamiste tunisien Ennhadha, longtemps la bête noire des Occidentaux ; Waddah Khanfar, l’ancien directeur islamiste de la chaîne Al-Jazeera, est l’interlocuteur des services de renseignement américains ; tout comme Waël al-Ghoneim, responsable pour l’Égypte du moteur de recherche américain Google, amplificateur du soulèvement populaire égyptien place Tahrir. On ne présente plus Bernard-Henri Lévy « philosophe » français sioniste et défenseur acharné du « devoir d’ingérence », à l’influence déterminante auprès des politiques, et notamment sur l’ancien président français Nicolas Sarkozy au moment de l’intervention en Libye.
Parmi les « 100 plus grands intellectuels » honorés cette année-là, figurait une brochette de bellicistes à tous crins : Dick Cheney, ancien vice-président de George Bush Jr, un des artisans de l’invasion de l’Irak, Condoleezza Rice, secrétaire d’État de George Bush Jr, également fer de lance de l’invasion en Irak ; John McCain sénateur républicain, candidat à la présidence en 2008 ; Nicolas Sarkozy ; Bill Clinton, ancien président américain, et sa femme Hillary, secrétaire d’État de Barack Obama ; Robert Gates ministre de la Défense de Bush Jr et de Barack Obama ; Recep Teyyip Erdogan, fondateur du parti islamiste AKP et premier ministre turc ; et l’incontournable Bernard Henri Lévy. Sur le plan arabe, outre les trois personnalités précitées, ont figuré l’ancien directeur de l’agence atomique de Vienne Mohamed Baradéï et le politologue palestinien Moustapha Barghouti, dont nous aurions souhaité qu’ils soient distingués par un autre aréopage que Freedom House ou Global Voice Project.
Ghannouchi obtient une mention spéciale en tant que « plus grands intellectuels de l’année 2011 ». Il est vrai qu’il avait mis à profit son séjour aux États-Unis pour rendre visite au Washington Institute for Near East Policy, très influent think tank fondé en 1985 par Martin Indyk, auparavant chargé de recherche à l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le lobby israélien le plus puissant et le plus influent aux États-Unis. Le chef islamiste, longtemps couvé médiatiquement par la chaîne Al-Jazeera, a pris soin de rassurer le lobby pro-israélien quant à l’article que lui-même avait proposé d’inclure dans la Constitution tunisienne concernant le refus du gouvernement de collaborer avec Israël.
Girouettes et Cie
En trente ans d’exil, cet ancien nassérien modulera sa pensée politique en fonction de la conjoncture, épousant l’ensemble du spectre idéologique arabe au gré de la fortune politique des dirigeants, optant d’abord pour le nassérisme égyptien, puis, tour à tour, les sirènes islamistes de l’ayatollah Ruhollah Khomeiny (Iran) de Hassan al-Tourabi (Soudan), de Recep Teyyip Erdogan, avant de se stabiliser sur celles du Qatar. Soit sept mutations, une tous les quatre ans en moyenne. Du grand art, qui justifie a posteriori le constat du journaliste égyptien Mohamad Tohima, directeur du quotidien égyptien Al Hourriya, repris dans le journal libanais Al Akhbar du 1er octobre 2011 : « Les Frères musulmans, des maîtres dans l’art du camouflage et de la contorsion mercurielle », En attendant la prochaine culbute. Et prochaine chute ? Le journaliste et écrivain Nicolas Beau détaille avec soin la stratégie de Rached Ghannouchi visant à masquer la faillite du pouvoir islamiste en Tunisie.
Le parcours du deuxième lauréat, Waddah Khanfar, résume à lui seul la confusion mentale arabe et la duplicité du Qatar. Ancien journaliste de la chaîne gouvernementale américaine Voice of America, ce Palestinien natif de Djénine, en Cisjordanie occupée, a épousé la nièce de l’ancien premier ministre jordanien Wasfi Tall, surnommé le « boucher d’Amman » pour sa répression des Palestiniens lors du septembre noir jordanien (1970). Cet islamiste notoire était aussi un interlocuteur des services de renseignements de l’US Army. Une opacité typique du comportement du Qatar. Deux reproches ont pesé sur sa gestion de huit ans à la tête d’Al-Jazeera (2003-2011) : sa volonté d’imposer un code vestimentaire ultra-strict aux présentatrices de la chaîne, en conformité avec l’orthodoxie musulmane la plus rigoureuse. Cela a entraîné la démission de cinq journalistes femmes. Khanfar a aussi autorisé la publication des documents confidentiels sur les pourparlers israélo-palestiniens, The Palestine Paper, discréditant les négociateurs palestiniens. Conséquence : le chef des négociateurs palestiniens, Saeb Oureikate, a réclamé sa démission, de même que l’Arabie Saoudite, effrayée que la large couverture des soulèvements arabes par la chaîne du Qatar puisse avoir des répercussions sur la stabilité des pétromonarchies.
Propulsé à la direction de la chaîne Al-Jazeera par son ami libyen, Mohammad Jibril, il sera remercié, en 2011, au terme de l’épisode libyen, mais gratifié de la distinction américaine. Maigre consolation. L’homme a quitté la scène publique avec de substantielles indemnités, sans bruit, emportant avec lui ses secrets et sa part d’ombre, les raisons de sa gloire et de sa disgrâce.
Les arroseurs arrosés
En trois ans, deux des principaux « libérateurs » de la Libye, Les États-Unis et la France, ont été la cible d’attentats de représailles. Le Sahel, sur fond de sanglants règlements de compte entre factions rivales et de pillages du gigantesque arsenal libyen, a muté en zone de non-droit absolu. Le pré carré africain de la France s’en est trouvé considérablement fragilisé, alors que, parallèlement, les maîtres d’œuvre de la contre-révolution arabe ont sombré dans la guerre intestine, menaçant de paralysie le Conseil de coopération du Golfe (CCG), la seule instance de coopération régionale arabe encore en activité.
Fait sans précédent dans les annales pétromonarchiques, l’Arabie Saoudite a placé le 7 mars 2014, les Frères musulmans, une organisation qu’elle a longtemps couvée, sur les listes des « organisations terroristes ». Une décision qui traduit le degré de virulence de l’épreuve de force engagée entre elle et le Qatar à propos de la Confrérie. Dans ce qui apparaît comme une grande opération de blanchissement de ses turpitudes et de dédouanement à son soutien à la nébuleuse du djihadisme erratique depuis son apparition dans la décennie 1980, lors de la guerre antisoviétique d’Afghanistan, l’Arabie a associé à cette liste l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), le Front al-Nusra, les rebelles chiites zaïdites, dits houthis, du Yémen et naturellement, le Hezbollah Libanais.
En pointe dans le combat tant contre la Libye que la Syrie, le CCG, syndicat des pétromonarchies du Golfe sous haute protection militaire occidentale, paraît devoir réduire sa voilure, non seulement en raison de la guerre entre les frères ennemis du wahhabisme, mais aussi du fait de la volonté du sixième membre, le sultanat d’Oman, de se maintenir à l’écart de ce conflit fratricide. Il cherche auprès de l’Iran un contrepoids à la prééminence du duo saoudo-qatari au sein de l’organisation. Pour répudier la servilité à l’égard des États-Unis, bannir le dogmatisme régressif sous couvert de rigueur exégétique, concilier islam et diversité, en un mot conjuguer islam et modernité…
Tel était le formidable défi que les Frères musulmans se devaient de relever à leur accession au pouvoir. Ils ont au contraire mené une politique revancharde contreproductive, qui a conduit directement en prison leur chef de file égyptien (Morsi) et a débouché sur la désintégration morale du Hamas, unique mouvement de libération national de l’islam sunnite, dans un retour retentissant à la case départ.
Illusions perdues
La satisfaction légitime de la chute d’un « dictateur » ne saurait occulter le gâchis stratégique provoqué par l’effondrement de la Libye, un pays à la jonction du Machrek et du Maghreb, et son placement sous la coupe de l’Otan, le plus implacable adversaire des aspirations nationales du monde arabe. Acte stratégique majeur comparable par son ampleur à l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, le changement de régime politique en Libye, sous les coups de boutoir des Occidentaux, était destiné au premier chef à neutraliser les effets positifs du « printemps arabe ». Il devait accréditer l’idée que l’alliance atlantique constituait le gendarme absolu des revendications démocratiques des peuples arabes.
Aucune intervention occidentale à l’encontre du monde arabe, même la plus louable, n’est jamais totalement innocente, tant que perdurent les effets corrosifs des actions passées, et vivace le souvenir de leurs méfaits. L’intervention en Libye n’échappe pas à la règle. Elle a ciblé un régime républicain, à l’exclusion de toute monarchie, en exonérant ceux-ci de leurs turpitudes et de l’impérieuse nécessité de changement.
L’Histoire retiendra que la révolution libyenne aura été « la première révolution assistée par ordinateur », et le meurtre libératoire de l’ancien bourreau l’objet d’une assistance à distance. La fin de Kadhafi est la fin d’une longue lévitation politique en même temps qu’une d’une illusion lyrique.
Les Libyens vont devoir évacuer le cauchemar qui peuple leur subconscient et leur inconscient, et apporter la démonstration qu’ils ne constituent pas un peuple d’assistés permanents. Le combat contre la dictature ne saurait être sélectif. La démocratie du tomahawk a affranchi le djihadisme erratique et projeté dans l’arène la foultitude des paumés de l’islam takfiriste. Le sommeil de la raison a engendré des monstres.
* Ce dossier a été préparé en coopération avec www.renenaba.com
Il est fondé sur les notes personnelles de son signataire, complétées par des entretiens des anciens dirigeants libyens dans le quotidien transarabe de Londres Al-Qods Al-Arabi et sur le site Ar Rai al Yom (« L’Opinion aujourd’hui ») d’Abdel Bari Atwane, ancien directeur d’Al-Qods Al-Arabi. Il s’appuie aussi sur l’ouvrage de Ghassane Charbel, journaliste au quotidien saoudien Al-Hayat, intitulé : Sous la tente, les compagnons du colonel révèlent les secrets de son règne (Éd. Riyad Rayess, Londres).
(1) Pour aller plus loin en arabe : http://www.raialyoum.com/?p=53057
(2) Manque à l’appel un lauréat : Hamad du Qatar, The Air and Field Marshal de Libye.
Sur ce lien, le chainon manquant : http://www.renenaba.com/lhomme-de-lannee-2011/
(3) http://mondafrique.com/lire/politique/2014/03/02/tunisie-guerre-de-religion-au-sein-du-mouvement-islamiste-ennadha.
Ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’Agence France Presse, ancien conseiller du Directeur Général de RMC/Moyen orient, chargé de l’information, est l’auteur notamment de « L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres »; Golias Automne 2013 et de “Média et Démocratie, La captation de l’imaginaire un enjeu du XXI me siècle”, Golias Novembre 2012 .