Yémen États-Unis – Arabie saoudite blitz sur le Yémen: une agression flagrante, le désespoir absolu
30 mars 2015
Yémen
États-Unis – Arabie saoudite blitz sur le Yémen:
une agression flagrante, le désespoir absolu
Le modèle de «guerre par procuration» que les États-Unis ont employé partout au Moyen-Orient, en Europe de l’Est,
et même dans certaines parties de l’Asie semble avoir échoué encore une fois, mais cette fois-ci au Yémen.
En défaisant le régime yéménite soutenu par les Étasuniens, les Saoudiens et une coalition d’extrémistes sectaires dont Al-Qaïda et sa nouvelle version rebaptisée «Daech», les milices yéménites pro-iraniennes, les Houthi ont contrecarré la « puissance tranquille » étasunienne et l’ont obligé d’intervenir militairement de manière directe. Alors que les forces militaires étasuniennes ne sont prétendument pas impliquées, ce n’est pas le cas des avions de guerre saoudiens et d’une possible force terrestre.
Bien que l’Arabie saoudite prétende que « 10 » pays l’ont rejoint sa coalition pour l’intervention au Yémen ; de même que les États-Unis pour l’invasion et l’occupation de l’Irak, il s’agit bien d’une opération saoudienne qui se camoufle derrière une «coalition» qui a pour rôle la vaine tentative de générer une « légitimité diplomatique ».
Le New York Times, même dans le titre de son article, « l’Arabie saoudite déclenche des attaques aériennes contre le Yémen », semble ne pas remarquer les « 10 » autres pays. Il rapporte:
L’Arabie saoudite a annoncé mercredi soir qu’elle avait lancé une campagne militaire au Yémen, le commencement de ce qu’un responsable saoudien a appelé une offensive pour restaurer le gouvernement yéménite qui s’était effondré après que les forces rebelles aient pris le contrôle de larges territoires dans pays.
Les opérations aériennes ont commencé au moment où le conflit civil au Yémen montrait des signes de dégénérescence en guerre par procuration entre puissances régionales. L’annonce saoudienne est intervenue lors d’une rare conférence de presse à Washington faite par l’ambassadeur du royaume aux États-Unis, Adel al-Jubeir.
Une guerre par procuration
contre l’Iran
En effet, le conflit au Yémen est une guerre par procuration, non pas entre l’Iran et l’Arabie saoudite, mais entre l’Iran et les États-Unis, où ces derniers se servent des malchanceux saoudiens comme force de substitution.
L’intérêt de l’Iran au Yémen est la conséquence directe du «printemps arabe» concocté par les États-Unis dans une tentative de renverser l’ordre politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient de manière à créer un front sectaire unifié contre l’Iran en vue d’un conflit direct avec Téhéran. La guerre qui fait rage en Syrie est une partie de ce complot géopolitique élargi, visant à renverser l’un des plus importants alliés régionaux de l’Iran lui coupant le pont avec un autre allié important, le Hezbollah au Liban.
Et alors que l’intérêt de l’Iran au Yémen est couramment présenté comme un autre exemple d’agression iranienne, indicative de son incapacité à vivre en paix avec ses voisins, les décideurs étasuniens sont bien conscients depuis longtemps que l’influence de l’Iran dans la région, y compris le soutien à des groupes armés, ne lui servent qu’à un but exclusivement défensif, vu les tentatives faites par les occidentaux et leurs alliés régionaux, pour l’encercler, la subvertir et renverser son actuel ordre politique.
La RAND Corporation basée aux États-Unis, qui se décrit comme « une institution à but non lucratif qui contribue à l’amélioration de la politique et la prise de décisions par la recherche et l’analyse » a produit en 2009 un rapport destiné à l’aviation militaire étasunienne intitulé, « Dangereux mais pas omnipotent: explorer la portée et les limites de la puissance iranienne au Moyen-Orient »*, qui examine la structure et la posture de l’armée iranienne, y compris le Corps de la Garde révolutionnaire islamique, les armes actuelles et éventuellement futures, sa politique de sécurisation de ses frontières et ses intérêts, contre des agressions extérieures.
Le rapport admet que:
La stratégie de l’Iran est en grande partie défensive, mais avec toutefois quelques éléments offensifs. Elle consiste à protéger le régime contre des menaces internes, de décourager les agressions, de sauvegarder la patrie au cas où une agression se produirait, ainsi que d’étendre son influence. Elle est en grande partie défensive sert aussi ses tendances agressives lorsque celles-ci sont accouplées avec ses aspirations régionales. Elle est en partie la réponse aux déclarations de la politique et à la posture étasunienne dans la région, en particulier depuis les attaques terroristes du 11 septembre, 2001. Les dirigeants iraniens prennent très au sérieux la menace d’invasion, compte tenu des propos explicites faits par les États-Unis affichant leur volonté d’un changement de régime, avec des discours définissant l’Iran comme faisant partie de l’«axe du mal», ainsi que leurs efforts déployés pour assurer des bases dans les pays autour de l’Iran.
Quel que soit la nécessité impérieuse que tente à faire valoir l’Arabie saoudite pour justifier son agression militaire contre le Yémen, et quel que soit le soutien rhétorique, diplomatique ou militaire que les États-Unis tentent de lui fournir, la légitimité de cette opération militaire s’effondre devant les raisonnements des décideurs politiques occidentaux qui admettent que l’Iran et ses alliés tout simplement réagissent à une campagne concertée d’encerclement, de sanctions économiques, d’agression militaire clandestine, de subversion politique, et même de terrorisme, dans le but d’établir l’hégémonie occidentale dans la région au détriment de la souveraineté de leur pays.
Impératif de l’Arabie saoudite dépourvue de légitimité
Le régime héréditaire, non élu, qui règne en Arabie saoudite, un pays notoire pour ses violations flagrantes des droits de l’homme, totalement dépourvu même d’un semblant de ce que l’on appelle les «droits humains», désormais se pose en arbitre pour décider quel est ou quel n’est pas le gouvernement « légitime » du Yémen avoisinant, et en affirmation de cela est prêt à utiliser la force militaire pour restaurer le premier en dépit du dernier.
L’appui étasunien au régime saoudien sert à fournir de la légitimité à ce qui autrement aurait été un prétexte difficile à faire accepter. Entretemps, les États-Unis eux-mêmes subissent des déficits de légitimité et d’autorité morale de plus en plus importants.
Le plus ironique de tout, ces extrémistes sectaires soutenus par les États-Unis et les Saoudiens, y compris ceux d’al-Qaïda au Yémen, avaient servi comme forces d’appoint destinées à tenir les milices Houthi en échec, afin que la nécessité d’une intervention militaire directe comme celle qui se déroule actuellement ne devienne pas nécessaire. Cela signifie que l’Arabie saoudite et les États-Unis interviennent au Yémen après que les terroristes qu’ils soutenaient aient été battus et que le régime qu’ils soutenaient jusque-là se soit effondré.
En mettant la rhétorique étasunienne et saoudienne de côté, un régime régional brutal s’est mêlé des affaires du Yémen et a perdu ; maintenant l’aspirant hégémon mondial qui le parrainait de l’étranger lui a ordonné d’intervenir directement et de nettoyer son foutoir.
Le pari dangereux de l’Arabie saoudite
L’attaque aérienne contre le Yémen vise à faire comprendre aux spectateurs la puissance militaire saoudienne. Un contingent terrestre pourrait aussi tenter d’entrer rapidement et semer la panique parmi les combattants Houthi pour les obliger de se plier. Hormis une victoire rapide qui écraserait psychologiquement les combattants Houthi, l’Arabie saoudite risquerait de se faire envelopper dans un conflit qui pourrait facilement sortir du cadre que la machine militaire étasunienne lui a mis en place.
Il est trop tôt pour dire comment l’opération militaire tournera et jusqu’où iront les Saoudiens et leurs mécènes étasuniens pour se réimposer au Yémen. Toutefois, le fait que les Houthi aient, aux portes de Riyad surpassé les forces de substitution des étasuniéno-saoudiennes, montre bien qu’ils ont une capacité opérationnelle qui peut non seulement survivre à l’assaut saoudien actuel, mais se renforcer à travers lui.
Des rapports affirmant que des combattants Houthi ont utilisé des avions de combat yéménites capturés, viennent renforcer cette notion et révèlent qu’ils ont une sophistication tactique, opérationnelle et stratégique, et qu’ils pourraient bien se montrer aptes à résister à tout ce que les Saoudiens pourraient leur envoyer, et en revenir renforcés.
Ce qui peut survenir est un conflit qui en débordant les frontières du Yémen passe en Arabie saoudite elle-même. Quel que soient les sombres secrets de décennies d’autocensure des médias occidentaux concernant la vraie nature sociopolitique de l’Arabie saoudite, ils apparaîtront quand les habitants de la péninsule arabique devront choisir de risquer leur vie en luttant pour un régime client de l’Occident, ou de s’accaparer un morceau de la péninsule pour eux-mêmes.
De plus, un transfert de ressources et de combattants rangés sous le drapeau du soi-disant « État islamique» [Daech] et d’al-Qaïda, de Syrie à la péninsule arabique, marquera de manière plus claire encore que les États-Unis et leurs alliés régionaux sont derrière le chaos et les atrocités perpétrés dans le Levant ces 4 dernières années. De telles révélations saperont davantage l’impératif moral de l’Occident et de ses alliés régionaux, et mineront leurs efforts à rallier des soutiens pour la bataille de plus en plus désespérée, qu’ils ont eux-mêmes conspiré à déclencher.
Le déchéance de la légitimité des états-Unis
C’est juste au début du mois que les États-Unis ont rappelé au monde « l’invasion » par la Russie de la Crimée et cela en dépit du fait qu’ils aient déstabilisé l’Ukraine avec une insurrection violente armée à Kiev dans le but de faire pénétrer l’OTAN encore plus profondément dans Europe de l’Est et d’encercler davantage la Russie. L’Occident prétend que la Russie n’avait pas et n’a toujours pas de mandat pour intervenir en aucune manière en Ukraine voisine. Les affaires de l’Ukraine, insistent les États-Unis, sont celles des Ukrainiens. Mais de toute évidence, les États-Unis entendent cela seulement dans la mesure où les Ukrainiens déterminent leurs affaires de la manière qui conviendrait aux intérêts étasuniens.
C’est encore plus évident aujourd’hui au Yémen, où le peuple yéménite n’est pas autorisé à décider de ses propres affaires. Tout, jusqu’y compris l’invasion militaire, est spécifiquement prévu pour que le peuple du Yémen ne puisse pas se déterminer par lui-même, clairement parce que cela ne convient pas aux intérêts étasuniens.
Une telle flagrante hypocrisie ne peut qu’être dûment constatée par l’opinion publique mondiale ainsi que par les milieux diplomatiques. L’incapacité de l’Occident de maintenir un discours cohérent est un signe de faiblesse croissante. Les partenaires de l’entreprise mondiale dans laquelle l’Occident est engagé, pourrait bien considérer une telle faiblesse comme une raison pour se désister ou tout au moins se diversifier dans d’autres entreprises. Ces dernières peuvent bien comprendre le monde multipolaire de la Russie et de la Chine. La disparition de l’hégémonie mondiale occidentale se concrétisera en un conflit destructeur conduit par la désespérance et le dépit.
Aujourd’hui, cette désespérance et ce dépit s’abattent sur le Yémen.
Tony CARTALUCCI
Tony Cartalucci, est un chercheur géopolitique et écrivain, en particulier pour le magazine en ligne «Perspectives New Orient ». Il est basé à Bangkok.