D’abord, 250 Algériens bloqués à Djeddah depuis vendredi dont le rapatriement est en cours, l’interdiction aux équipages d’Air Algérie de descendre de leur appareil et de passer la nuit à Djeddah et enfin la fermeture de l’espace aérien saoudien aux appareils portant pavillon algérien, qu’ils soient civils ou militaires.
Désormais, les appareils d’Air Algérie devront contourner l’Arabie Saoudite pour joindre Dubaï et donc allonger les distances et augmenter consommation en carburant et traverser des zones dangereuses.
La raison de ce pic de colère de Riyad est l’audacieuse opération d’exfiltration, en pleine guerre aérienne, de plus de 200 ressortissants maghrébins, dont 160 Algériens, qui se sont conclue samedi sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene à Alger.
Cellule de crise
Tout commence au début de l’offensive aérienne « Tempête décisive » qu’a lancée, le 25 mars, une coalition menée par l’Arabie Saoudite contre les rebelles Houthis au Yémen.
L’Algérie décide à ce moment précis de mettre en place une cellule de crise pour suivre les évènements. La présidence de la République, le ministère de la Défense nationale et celui des Affaires étrangères coordonnent leur action. Le 26 mars alors, que des navires chinois et saoudiens se dirigent sur Aden pour rapatrier leurs ressortissants ; l’Algérie commence à étudier un plan d’évacuation.
Aucun navire des forces navales n’est dans la zone. La Chine qui se charge de récupérer le 31 mars, un grand nombre de ses ressortissants mais aussi ceux d’autres pays asiatiques par voie maritime. Cette option ne représente pas une solution pour les autorités algériennes d’autant que le personnel diplomatique et la majorité des nationaux se concentrent dans la région de Sanaa.
L’Arabie Saoudite qui a réussi à cristalliser autour d’elle la quasi-majorité des pays arabes dans sa guerre au Yémen a du mal à accepter l’attitude défiante d’Alger. Car non seulement l’Algérie refuse de participer à cette offensive, mais elle argumente de fort belle manière sa décision et ose même proposer une alternative pacifique pour le règlement du conflit.
Pis encore, le dédain avec lequel la diplomatie algérienne a accueilli la proposition égyptienne de créer une force militaire arabe pour « lutter contre le terrorisme » a été ressenti par l’axe Riyad-Le Caire comme un véritable affront, d’autant que ses événements ont eu lieu sur le territoire égyptien et lors d’un sommet de la Ligue Arabe.
Planification
Alger ne le sait pas encore mais Riyad semble vouloir faire payer la capitale frondeuse. A Sanaa, les fonctionnaires de l’ambassade algérienne sont sur les charbons ardents. Ils subissent, comme l’ensemble des habitants de la capitale yéménite les bombardements de la coalition. Ils sont occupés à recenser les ressortissants et à établir le contact avec les différentes parties sur les lieux pour s’assurer de la réussite d’une exfiltration. Ces deux missions sont primordiales, car il en découle le dimensionnement des moyens que devront mettre les autorités algériennes pour réussir l’opération.
Ils sont un peu plus d’une centaine, dont beaucoup de femmes, s’y ajoutent les diplomates et leurs familles. En tout 160 Algériens figurent sur le listing des personnes à évacuer. La liste est ouverte aux ressortissants des pays voisins qui n’ont pas pu quitter le Yémen : quarante Tunisiens, quatorze Mauritaniens, huit Libyens, trois Marocains et un Palestinien. Ce sont au final, près de 230 personnes à évacuer.
A Alger l’on a pris la mesure de l’opération, on décide d’envoyer le plus gros appareil civil de sa flotte, un Airbus A330 d’Air Algérie. Même si la ligne aérienne Alger-Sanaa n’a jamais été desservie par la compagnie nationale, les pilotes sont confiants malgré les difficultés qui s’annoncent.
L’obstacle majeur devant cette entreprise est d’abord le survol et l’atterrissage en zone de guerre, avec d’un côté, plus d’une centaine de chasseurs occupant l’espace aérien et de l’autre une rébellion qui dispose de missiles anti-aériens, de différentes portées.
Autre difficulté, l’Altitude de l’aéroport de Sanaa, plus de 7 300 pieds, fait que l’avion aura du mal à décoller à pleine charge de carburant. Le rapport poids/portance lui est défavorable. Le ravitaillement à Sanaa est exclu pour des raisons de sécurité. L’équipage devra faire l’ensemble du trajet avec un seul plein, ce qui mettra l’appareil aux limites de son rayon d’action.
Menaces …
Jeudi l’avion décolle d’Alger, direction Sanaa, le ministère des Affaires Etrangères prévient l’Arabie Saoudite et l’Egypte de la mission. Le plan de vol de l’appareil civil est partagé avec l’ensemble des pays qui seront traversés ou qui risquent de l’être de manière classique. Le vol se passe normalement jusqu’à l’approche de l’espace aérien saoudien. Alors que l’équipage d’Air Algérie s’attendait à une escorte militaire à partir de l’Arabie Saoudite, ils sont surpris par l’attitude de chasseurs envoyés pour les dissuader de pénétrer dans l’espace aérien.
Le contrôle saoudien prévient l’équipage de l’interdiction et le somme de rebrousser chemin. Surpris et pensant à un problème de communication ou à un danger quelconque au-dessus du Yémen, les Algériens demandent un déroutement vers Dubaï. Là encore, ils sont étonnés par la fermeté du ton du contrôle aérien. L’espace saoudien est fermé à l’ensemble des appareils algériens.
… séquestration
L’équipage n’a pas le choix, rebrousser chemin vers le Caire et attendre que la machine diplomatique fasse son travail. En moins d’une heure et demie l’A330 atterri au Caire. Mais la situation s’aggrave. La petite délégation algérienne est malmenée, ses membres sont dirigés vers l’hôtel habituel où logent les équipages d’Air Algérie puis y sont assignés à résidence avec interdiction de quitter l’établissement. Cette séquestration durera 48 heures.
A Alger l’affaire surprend, les Saoudiens font la sourde oreille. La demande algérienne de rapatriement de sa communauté au Yémen est rejetée. L’affaire prend une tournure sérieuse. C’est la présidence de la République qui gère désormais ce dossier. Alger prévient Riyad que l’avion effectuera sa mission malgré tout, vu son caractère humanitaire.
L’avion décolle samedi, se pose à Sanaa, les officiels de l’ambassade ont réussi à regrouper et acheminer tout le monde en bon ordre à l’aéroport. Le vol retour se fait sans soucis, mais l’équipage ne souffle qu’après avoir atteint la méditerranée. Les officiels algériens et les dirigeants de la compagnie aérienne ont choisi de ne pas communiquer sur cette affaire. Les quelques personnes qui ont choisi de l’évoquer mettent en avant le courage de l’équipage et sa détermination à aller jusqu’au bout de sa mission.
Mais l’Arabie Saoudite a décidé maintenir la pression sur l’Algérie. Le pavillon national n’a toujours pas le droit de survoler l’espace aérien saoudien, seule la desserte de Djeddah est maintenue avec interdiction aux équipages de passer la nuit sur place. La moindre formalité conforme aux codes de l’organisation de l’aviation civile internationale prend des heures. C’est ce qui explique les difficultés rencontrées par la compagnie pour rapatrier les Algériens bloqués à Djeddah ces dernières 48 heures. Au Caire Air Algérie souffre également de lenteurs des procédures et de pressions.
Ce sera, en partie, le prix à payer par l’Algérie pour son refus de participer à la guerre au Yémen.
K.A