À propos du documentaire intitulé: «Le président Sarkozy & le dictateur Kadhafi »
Par Françoise Petitdemange*
Ce documentaire d’Antoine Vitkine diffusé sur France 3, le 9 avril 2015, est particulièrement intéressant. Les différents témoignages permettent de saisir la trame des événements franco- libyens de 2011. Une ombre, cependant, s’étend sur le tableau …
Le documentaire dure 1 heure 17 minutes ; le mot « dictateur » est répété 57 fois dans le commentaire en voix off (vidéo à la fin de l’article).
6 octobre 2005. Voix off : « Toute cette histoire a commencé deux ans avant que le futur président n’entre à l’Élysée lorsqu’il est allé faire la connaissance du dictateur un jour d’octobre 2005. » Revenant sur cette visite, Zohra Mansour, qui était chargée des relations diplomatiques entre la France et la Libye, se souvient : « Le Guide m’a dit : « Zohra, nous honorons quelqu’un qui sera candidat à des élections importantes. S’il arrivait au pouvoir, nous pourrions entretenir de bonnes relations avec son pays. Ça vaut le coup, non ? ». »
À propos du candidat Nicolas Sarkozy, en 2007, Rama Yade a son avis : « C’est l’époque où une certaine gauche intellectuelle s’insurgeait de ses propos et, à un moment donné, on a senti chez lui le besoin aussi de s’adresser à ces intellectuels-là, heu, parce que même s’ils ne sont pas majoritaires dans le pays, ils ont une certaine influence. Nicolas Sarkozy était sensible, très sensible à ce que pouvaient penser les Bernard-Henri Lévy, les Glucksmann, les Bruckner… » La politique étrangère de la France, serait-elle dictée par des personnes qui « ne sont pas majoritaires dans le pays » ?
Monsieur le Guide…
Voix off : « Le 28 mai 2007, l’un des tout premiers dirigeants du monde à qui le présideent français, tout juste élu, téléphonait longuement était le chef d’un petit pays d’Afrique du Nord. » Muammar Gaddhafi : « Monsieur Sarkozy, je vous félicite pour votre élection. Vous méritez la confiance du peuple français. » Sans doute, Nicolas Sarkozy, sait-il s’il doit quelque chose à la Libye. En tout cas, il n’est pas question de « dictateur » : « Monsieur Kadhafi, je suis enchanté de vous parler. Je n’ai pas oublié notre rencontre. Je garde un excellent souvenir de la qualité de vos analyses. Vous méritez amplement votre titre de Guide. » Nicolas Sarkozy dit : « votre titre de Guide » Mais encore… « Oui, monsieur le Guide. J’espère vous recevoir en France ou me rendre en Libye. » Et, pour finir… « Je vous exprime mes respects et mon amitié, monsieur le Guide. »
25 juillet 2007, Tripoli. Voix off : « L’heure est à l’idylle. Surtout lorsque vient la signature d’une dizaine d’accords de coopération. » Les contrats sur l’armement ? Henri Guaino a la réponse : « Quand vous faites des contrats de ventes d’armes, vous imaginez bien que le gouvernement peut effectivement les utiliser d’une autre manière que pour préserver l’indépendance, l’indépendance nationale. Bon ! Voilà. Mais faut-il donc ne plus vendre d’armes à quiconque ? » Trois ans plus tard, le président Nicolas Sarkozy fera voter une résolution à l’ONU qui interdira à tout avion libyen de décoller; il sera ainsi plus facile de détruire les avions au sol et tout le dispositif de défense, empêchant ainsi le peuple libyen de préserver l’« indépendance nationale » si chère à monsieur Guaino.
Un comportement inadmissible
Paris. Décembre 2007. Problème de dernière minute… Voix off : « Alors, à l’heure du laitier, ce lundi matin, la jeune secrétaire d’État frappe un grand coup. À un journal, elle lance : « La France n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant peut venir s’essuyer les pieds de ses forfaits », avant de rééditer à la radio… » Voix de Rama Yade : « Personnellement, je me retrouve avec une journée des droits de l’homme sur les bras et Kadhafi sur le tarmac d’Orly. Donc, pour moi, c’est un problème. » Appelée à l’Élysée pour rendre des comptes, Rama Yade racontera plus tard : « Au retour de la radio, […] arrivent les deux conseillers, là, Lévitte, messieurs Lévitte et Guéant, qui donc me sermonnent lourdement : « Vous vous rendez compte, son avion est dans le ciel français. Il veut pas atterrir. » Heu, bon, je lui dis : « Écoutez, ben, qu’il rentre chez lui. » […]. » Le député Arnaud Montebourg, lui, apostrophait, à l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner, qui lui répondait : « Vous avez cité un certain nombre des prises de position de monsieur Kadhafi, sachez que je les réprouve. Lorsqu’il a parlé des droits de l’homme, ici, c’est-à-dire des droits de l’homme dans notre pays, en Europe, c’était assez pitoyable. » Zohra Mansour dira plus tard au sujet de ses étranges comportements d’alors : « C’était une attitude contraire à toute diplomatie. Pour nous, musulmans et diplomates, c’était un comportement inadmissible. » Henri Guaino paraît, lui, tout étonné du résultat d’une diplomatie française à coups de phrases intempestives : « On aurait vendu beaucoup de Rafale, hein, si toutes les promesses et tous les précontrats signés, tous les engagements signés avaient été tenus, hein. » Le mot de Ziad Takieddine (intermédiaire en armements) est sans aucun doute plus pertinent : « Les affaires ne peuvent pas se faire sans qu’il y ait une politique extérieure cohérente et rassurante. C’est ça quand je vous dis : « des amateurs ». »
Un donneur de leçons du Café de Flore
Début 2011, la Tunisie, l’Égypte, la Libye sont la proie de bandes armées. Depuis la Turquie, le président Nicolas Sarkozy déclare catégoriquement : « Notre position est claire. Monsieur Kadhafi doit partir. » Déjà, il était clair que l’accusation, disant que Muammar Gaddhafi faisait tirer sur sa population, était inexacte. Mais de quel droit Nicolas Sarkozy, pouvait-il exiger le départ du Guide ? Voix off : « Et voilà que le 5 mars, le président reçoit l’appel providentiel d’un donneur de leçons du Café de Flore qu’il vitupérait en 2007. » Jean-David Lévitte (conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy) rapporte les propos de Bernard-Henri Lévy, tenus de Benghazi, lors d’une conversation téléphonique avec le président Sarkozy : « Je suis avec les nouveaux dirigeants du Conseil National de Transition qui vient de se créer. » Le président va s’empresser de les recevoir.
La rébellion était presque éteinte. Mais le président français, Nicolas Sarkozy, allait mettre les autres chefs d’États devant le fait accompli. Le jour même du “Sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen – Samedi 19 mars 2011”... Voix off : « […] à l’instant même où ses alliés se réunissent à l’Élysée, le président leur apprend que deux Rafale viennent de tirer leurs premiers missiles sur les troupes du dictateur. C’est le début de huit mois de guerre. » Bruno Jeudy (journaliste au Figaro) : « Je crois qu’Hillary Clinton, elle, parle d’une guerre obsessionnelle : « la guerre de Sarkozy » ; je crois qu’elle dit même, elle emploie ce mot-là, et c’est vrai qu’il y a ce côté-là, il est complètement habité par ça : il fait installer une carte dans son bureau. » Jean- David Lévitte dit ce qu’il a vu : « Lui intervenait ; il commentait les cartes et, en effet, le président Sarkozy trouvait toujours des petits points de progrès puisque les couleurs étaient différentes. Il connaissait absolument par cœur chaque petit village, heu, tenu par les uns ou par les autres ». Cette guerre ne visait pas seulement des points stratégiques mais le peuple libyen lui-même jusque dans les villages.
Je lui ai donné l’argent avant qu’il ne devienne président…
Voix off : « Retranché dans sa capitale, le dictateur résiste mieux que prévu à la guerre du président. De son arsenal, il dégaine même une arme nouvelle. » Dans sa tente, Muammer Gaddhafi parle à un homme – un journaliste ? – qui prend des notes : « Je suis vraiment en colère. C’est moi qui ai aidé Sarkozy à prendre le pouvoir. Je lui ai donné l’argent avant qu’il ne devienne président. Il est venu ici, il m’a rendu visite sous ma tente quand il était ministre de l’intérieur et m’a demandé de l’aide. Selon moi, il a un problème mental. »
Muammar Gaddhafi, arrêté le 20 octobre, serait lynché : frappé, traîné à terre, écorché vif, assassiné. Ce documentaire s’achève sur deux phrases instructives. À propos d’un financement de sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy déclarait sur Télé Matin en 2012 : « Vous croyez vraiment qu’avec ce que j’ai fait à monsieur Kadhafi, il m’a fait un virement ? Pourquoi pas un chèque endossé ? » Comme il est possible de le constater, Nicolas Sarkozy inverse la succession des événements : si la Libye a financé sa campagne présidentielle de 2007, elle ne l’a pas financée… après les huit mois de guerre de 2011 et la mort du Guide révolutionnaire ! Coup de théâtre : « ce que j’ai fait à monsieur Kadhafi » est un aveu…
Quant au mot « dictateur », répété 57 fois dans le commentaire, doit-il vraiment s’appliquer au Guide révolutionnaire ou…
Photo : Muammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy au Sommet Afrique-Union européenne (Lisbonne – 8 décembre 2007)…
* Françoise Petitdemange écrivaine indépendante et professionnelle depuis 1981. Elle a notamment publié, en 2014: « La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011) » aux Editions Paroles Vives.
(Plus d’informations et contact : http://www.francoisepetitdemange.sitew.fr )
(1) Vidéo (1:17): France Tv Info