Libye, retour de flamme
10 avril 2015
Libye, retour de flamme
Par Manlio Dinucci
10/04/2015
L’attaque terroriste en Tunisie, qui a fauché aussi des victimes italiennes, est étroitement reliée à la situation chaotique de la Libye, souligne-t-on dans les milieux gouvernementaux et sur les médias. On oublie cependant le fait que le chaos en Libye été provoqué par la guerre Otan qui, il y a quatre ans exactement, a démoli l’Etat libyen.
Le 19 mars 2011 commençait le bombardement aéronaval de la Libye : en sept mois, l’aviation USA/Otan effectuait 10mille missions d’attaque, avec plus de 40mille bombes et missiles. Simultanément, on finançait et armait les secteurs tribaux hostiles au gouvernement de Tripoli ainsi que des groupes islamistes qu’on avait jusque peu de temps auparavant définis comme terroristes. On infiltrait en Libye même des forces spéciales, dont des milliers de commandos qataris. A cette guerre, sous commandement étasunien par l’intermédiaire de l’Otan, participait aussi l’Italie avec ses bases et forces militaires (et la France : « Opération harmattan », NdT[1]).
De multiples facteurs rendaient la Libye importante pour les intérêts étasuniens et européens. Les réserves pétrolifères -les plus grandes d’Afrique, précieuses pour leur haute qualité et leur faible coût d’extraction- et celles de gaz naturel, qui restaient sous contrôle de l’Etat libyen qui concédaient aux compagnies étrangères des marges de bénéfices restreintes. Les fonds souverains, d’un montant d’environ 200 milliards de dollars (disparus après avoir été confisqués), que l’Etat libyen avait investi à l’étranger et qui en Afrique avaient permis de créer les premiers organismes financiers autonomes de l’Union africaine. La position géographique même de la Libye, à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.
Ce sont donc les USA et les plus gros alliés Otan, comme il a déjà été amplement documenté, qui ont financé, armé et entraîné en Libye en 2011 des groupes islamistes qualifiés de terroristes peu de temps auparavant, parmi lesquels les premiers noyaux du futur groupe État islamique ; qui les ont approvisionnés en armes à travers un réseau organisé par la CIA (selon l’enquête du New York Times, voir il manifesto du 27 mars 2013[2]) quand, après avoir contribué à renverser Kadhafi, il sont passés en Syrie pour renverser Assad ; ce sont encore les Etats-Unis et l’Otan qui ont favorisé l’offensive du groupe État islamique en Irak, au moment où le gouvernement al-Maliki s’éloignait de Washington, et se rapprochait de Pékin et Moscou. Le groupe armé État islamique joue ainsi de fait un rôle fonctionnel à la stratégie USA/Otan de démolition des Etats à travers la guerre couverte. Ceci ne signifie pas que la masse des ses militants, dont les histoires sont liées aux tragiques situations sociales provoquées par la première guerre du Golfe et par les suivantes, en soit consciente.
L’attaque terroriste à Tunis est advenue le lendemain du jour où Aqila Saleh, président du « gouvernement de Tobrouk », avait averti l’Italie que « le groupe État islamique peut passer de la Libye à votre pays », faisant pression sur Rome pour qu’elle intervienne en Libye. Le ministre Gentiloni a promptement répondu « Nous ferons notre part ». Et le nouveau chef d’état-major, le général Danilo Errico, a assuré que, « si le gouvernement devait donner le feu vert » à une intervention en Libye, « nous, nous sommes prêts ».
Prêts donc pour combattre aux côtés de l’ « Armée nationale libyenne », bras armé du « gouvernement de Tobrouk », au commandement duquel se trouve -selon l’article documenté de The New Yorker du 23 février 2015- le général Khalifa Haftar qui, « après avoir vécu pendant deux décennies en Virginie (USA), où il travaillait pour la CIA, est revenu à Tripoli pour faire la guerre pour le contrôle de la Libye ».
Manlio Dinucci
Edition de il manifesto
http://ilmanifesto.info/ritorno-di-fiamma-libico-tunisino/
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
[1] http://www.voltairenet.org/article168973.html
[2] « Pont aérien de la CIA pour armer les “rebelles syriens” », Manlio Dinucci, il manifesto.