Par Richard Silverstein (revue de presse : Tikun Olam – 19/3/15 – traduction et synthèse par Xavière Jardez)*
Des « cables-espions » (Spycables), obtenus d’une source sud-africaine du renseignement, ont été récemment publiés par Al Jazeera (cf. vidéo) sur les activités du Mossad dans ce pays.
La plupart de ces documents se rapporte aux liens entre le Mossad et la SSA (Agence de renseignements sud-africaine) et ses activités dans d’autres pays africains. Ces révélations ne peuvent être mises en doute dans la mesure où des évènements récents intéressant la participation de l’Afrique du Sud, sont cités.
Les Sayanim
Le Mossad a mis en place un réseau d’agents dormants à l’étranger qui recueille des renseignements et l’assiste dans des opérations locales d’espionnage. Ces agents, du nom de sayanim (volontaires en hébreu), sont différents de ceux employés par ses agences de renseignements car ils ne sont pas payés. Il s’agit de dirigeants de la communauté juive du pays ou d’hommes d’affaires dévoués à Israël. En Afrique du Sud, des membres du Conseil des Députés, l’institution gouvernementale la plus haute, en font partie.
« Le détail de factures (de téléphone mobile) montre que… (nom de l’agent)… avait des contacts réguliers avec des membres du Conseil des Députés » rapporte Al Jazeera. « Le modus operandi du Mossad est de recruter dans la communauté juive… partout dans le monde… pour ses activités de renseignements. Ce contact entre (l’agent) et les membres de la communauté juive sud-africaine prouve que le Mossad se repose sur eux pour ses activités occultes ». « De plus, il a été établi que le même (agent) a eu des contacts réguliers avec le Conseil des Députés Juifs d’Afrique du sud, corps qui a une influence importante sur la communauté juive et entretient des liens affectifs forts avec Israël ».
Le Sayanim joue un rôle tant mondain que stratégique : il s’occupe de trouver des logements, une assistance médicale, arrange la logistique et finance les opérations au travers des agents du Mossad. Il doit aussi leur obtenir le plus d’informations possibles. « Le Sayanim amasse aussi toutes les informations possibles, rumeurs, techniques, radiophoniques, journalistiques et fournit des pistes pour les katsas (agents qui recueillent ces informations) » souligne le rapport. « L’idée est de toujours disposer d’un nombre de gens qui peut fournir les services nécessaires et être discret par loyauté à la cause ».
Même si les sayanim sont des personnes ordinaires dans leur communauté, ils vivent une double vie intrinsèquement liés aux méthodes d’espionnage israéliennes. Ils sont des milliers, peut-être des dizaines de milliers dans le monde. En Grande-Bretagne, ils étaient en 1998 quelque 4000 selon le « cable-espion ».
Cette cooptation dans la communauté juive mondiale en fait un précédent alarmant. Les juifs sont accusés (souvent en raison des déclarations de dirigeants israéliens les impliquant dans la politique israélienne) de double allégeance, plus particulièrement de pencher davantage vers Israël que vers le pays natal. Dans la plupart des cas, les juifs récusent cette accusation comme de la propagande antisémite. Mais la dénonciation de la culture de sayan et le recours à des juifs du pays en tant qu’agents du Mossad fait que fait que l’antisémitisme relève une fois de plus sa vilaine tête,, et, cette fois, avec raison.
El Al, couverture du Mossad
Le Service de renseignement sud-africain (SSA) est particulièrement conscient du rôle d’El Al en tant qu’agent principal du système de renseignement israélien. Selon un documentaire de la télévision sud-africaine et un « cable-espion » : « Toutes les agences de renseignement sud-africain confirment … qu’Israël utilise son agence aérienne El Al comme couverture pour ses services de renseignement ». « Les espions (israéliens) conduisent des fouilles clandestines (aux aéroports) des bagages des personnes qu’ils jugent suspectes en violation des lois sud-africaines qui autorisent seuls la police, les forces armées ou le personnel employé par le ministère du transport à accomplir ces fouilles ». Après qu’un lanceur d’alerte, ancien agent de sécurité d’El Al, eut informé, en 2007, la TV sud-africaine qu’El Al agissait essentiellement pour le compte du Mossad, les relations entre les deux pays furent tendues, l’Afrique du Sud menaçant d’annuler les droits d’atterrissage de la compagnie : un agent de sécurité fut expulsé.
Le « cable-espion » détaille les méthodes du Mossad vis-à-vis d’El Al : « … 45 personnes sont employés par El Al comme agents de sécurité à l’aéroport international de Johannesburg et 8 le sont au secteur Cargo et Passager… El Al a le privilège de ne pas être fouillée dans les zones réservées et ses officiels peuvent voyager avec leurs armes…. Quand un vol arrive de Tel Aviv, … le personnel d’El Al, utilisant un équipement radio sophistiqué, se fait passer pour des passagers. Aux points de contrôle, ils passent tout simplement leurs cartes El Al et peuvent circuler n’importe où dans l’aéroport comme cela leur est permis par la (sécurité sud-africaine) ». « Un officier des renseignements israélien peut entrer en Afrique du sud … sous l’apparence d’un membre d’El Al et passer tous les points de contrôle sans présenter aucun document ». Les « cables-espions » précisent que le dernier chef de la sécurité d’El Al au dit aéroport était soupçonné d’être un agent de renseignement.
Les agents de sécurité d’El Al harcèlent régulièrement les passagers sud-africains. Un dirigeant du syndicat des employés municipaux, en route vers Israël pour participer à une Conférence contre l’Occupation en Cisjordanie, a été dénudé et fouillé, interrogé et détenu jusqu’au départ de l’avion, puis escorté par des agents de sécurité israélien, une minute avant le décollage.
Vol de plans par le Mossad
En 2010, le Mossad, par l’intermédiaire d’un homme d’affaires israélien, et vraisemblablement agent du Mossad, Yitzah Thalia, a acheté les plans du nouveau Mokopa, un missile anti-tank air-sol, fabriqué par l’entreprise d’armement sud-africaine Denel. Un haut employé de Denel et le directeur d’un sous-traitant les offraient à des agences de renseignement variées désireuses de les acheter. Après la découverte du vol et de la vente, l’Afrique du sud a demandé au Mossad des informations sur l’obtention et le retour des documents secrets. L’agence refusa d’enquêter ou de fournir quelque information. Mais, elle se montra « magnanime » en offrant de les rendre comme un geste de bonne foi et de reconnaissance des excellentes relations entre les deux pays. Les services de renseignements d’Afrique du Sud gardèrent le secret sur la participation d’Israël à ce crime jusqu’à ce que le « cable-espion » d’Al Jazeera ne le révèle. Même après le procès des deux inculpés, le rôle joué par le Mossad a été passé sous silence ; en fait le procureur général mentit en disant que les plans n’avaient jamais été en cause.
Le Mossad et le BDS sud-africain
Le BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) en Afrique du sud dérange particulièrement le Mossad et Israël. Les sionistes comprennnent qu’historiquement, un mouvement du même genre a contribué au renversement du gouvernement d’apartheid. Ce précédent alarmant rend Israël particulièrement vigilant pour contrecarrer ce qu’il perçoit comme une menace croissante en Afrique du Sud contre l’Occupation et l’Apartheid israéliens.
En juillet 2012, le ministre des Finances a reçu une lettre mystérieuse, non postée, en provenance d’un groupe anonyme d’ex-agents du Mossad qui revendiquait la création des virus Stuxnet et Flame et l’informait qu’il allait les utiliser dans une cyber-attaque contre les institutions financières et bancaires du pays, si la justice et la police n’écrasaient pas le mouvement BDS et n’arrêtaient pas ses dirigeants dans les 30 jours. Le « cable-espion » notait que la possibilité de passer à l’action reposait en fait sur les Israéliens participant à cette opération qui travaillaient dans les secteurs des télécommunications et de l’informatique.
Israël craint que, s’il n’est pas bridé, l’activisme pro-palestinien se développe et pousse l’Afrique du Sud à rompre ses relations diplomatiques avec Israël, ce qui aurait le même effet de dominos que celui qui a entraîné la fin du gouvernement de l’apartheid.
La communauté juive, selon les « cables-espions », a été intégrée à l’agenda israélien de sécurité. Les juifs sud-africains ont fondé une agence de consultants, The Community Security Organisation (CSO) – Organisation de sécurité de la communauté – qui fonctionne comme une organisation para-militaire et fournit des services de sécurité à des dirigeants et des institutions juives. Si la communauté juive devait être confrontée à des attaques d’éléments d’islamistes radicaux ou pro-palestiniens, la CSO, disent les rapports des services de renseignement sud-africains, frapperait ceux qu’elle désigne comme étant la cause de la violence contre les juifs.
Comme je l’ai noté précédemment, la fusion des intérêts israéliens avec ceux de la communauté juive locale pose un problème sérieux, peu connu. Quand Israël a bombardé Gaza ou le Liban, ou assassiné des savants nucléaires ou des généraux iraniens, ou s’est emparé de terres palestiniennes, le monde arabe n’a pas pu faire la distinction entre les actes d’Israël et ceux de la diaspora. Si les juifs – et les dirigeants israéliens – ne font pas cette distinction, comment voudraient-ils que les non-juifs la fassent ?
Activités du Hezbollah et de l’Iran en Afrique du Sud ?
L’objectif principal du Mossad en Afrique du Sud est d’identifier les menaces potentielles des islamistes et les attaques terroristes. Mais, le Mossad embarrasse la SSA en prétendant que le Hezbollah a planifié en Afrique du Sud la plupart des attaques de l’aéroport bulgare de Bourgas.
En 2007, le Mossad a désigné un Iranien du Cap comme une menace terroriste en raison de ses contacts étroits avec un supposé agent du Hezbollah au Liban. Lors d’une rencontre entre la SSA et le Mossad, les Israéliens ont demandé un compromis : en échange d’alertes, le Mossad réclamait des Sud-Africains qu’ils surveillent le suspect et informent régulièrement Israël de ses activités. Cela fut refusé car hors du protocole. L’Israélien a claqué la porte de la réunion. De plus, le Mossad pense que certaines personnalités sud-africaines ont des sympathies pour l’Iran et la volonté d’aider à son programme nucléaire. Il pense aussi que l’Iran a acheté du matériel pour ses recherches dans ce pays.
L’agence israélienne surveille des organisations de charité comme Al-Aqsa Foundation et African Muslim Agency qu’elle considère comme des organes soutenant le terrorisme palestinien. Afin de s’assurer de la loyauté des agents palestiniens ou arabes qu’il recrute en Afrique du Sud, il a engagé des prostitués « pour les entretenir ». Les ébats sont photographiés et enregistrés au cas où l’agent changerait d’avis sur sa collaboration.
En 2009, le « cable-espion » constate que les relations entre les deux agences de renseignement se sont détériorées à un point tel que le Mossad a rappelé son agent et l’a transféré à Tel Aviv.
Richard Silverstein dirige Tikun Olam, un blog israélien centré sur la dénonciation des excès de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat sécuritaire. Ses recherches ont été publiées dans Haaretz, The Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a collaboré à une collection d’essais sur la guerre du Liban de 2006, A Time to Speak.
*Source: Tikun Olam – South African Intelligence Cables Expose Mossad Africa Operations
Photo : Logo du Mossad
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