Ces mises en examen concernaient des membres du ministère du Travail en poste dans les années 80 (dont l’actuelle maire de Lille Martine Aubry [1]) et divers membres du Comité permanent amiante (CPA).
Composé d’industriels, de représentants de ministères, de scientifiques, d’organisations syndicales de salariés et d’employeurs, le CPA a été constitué en 1982, alors que se multipliaient les informations sur les dangers de l’amiante, et les restrictions – voire interdictions – de son usage ailleurs dans le monde. Censé améliorer la gestion de l’amiante et prévenir les risques pour la santé, le CPA, hébergé dans les locaux d’une société de communication payée par les industriels (!), a exercé un lobbying très efficace pour que dure le plus possible l’usage de la fibre tueuse [2]. En France, l’amiante n’a été interdite qu’en 1997.
L’argument principal avancé par la Cour de cassation le 14 avril, est que dans le contexte des données scientifiques de l’époque (les années 80), les personnes mises en examen pouvaient ne pas mesurer le risque d’une particulière gravité auquel les victimes étaient exposées. « Ceci est tout simplement faux ! », s’insurge l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Les premières publications scientifiques sur la relation entre amiante et cancer datent des années 1930. Un inspecteur du travail avait même évoqué les dangers de l’or blanc dès 1906.
Une loi pour exonérer les industriels
« Avec cette décision de la Cour de cassation, le monde judiciaire est sur la même ligne que le personnel politique qui, quelle que soit sa couleur, n’a jamais été favorable à un procès pénal de l’amiante », poursuit l’Andeva. « Depuis 19 ans que la première plainte a été déposée, le pouvoir exécutif a utilisé toutes les ficelles que la procédure met à sa disposition pour retarder ou empêcher la tenue d’un procès pénal de l’amiante qui aurait permis d’apprécier et de juger l’ensemble des responsabilités de cette catastrophe sanitaire. »
La décision de la Cour de cassation met aussi au jour les limites de la loi Fauchon. Adoptée en 2000, cette loi définit les délits non intentionnels. Mais il ne fait pas de différences entre la ménagère qui tue quelqu’un en faisant tomber par mégarde un pot de fleurs et un industriel responsable de la mort de milliers de personnes. Avec une affaire comme l’amiante, « nous avons des industriels qui s’organisent pour cacher les dangers d’un matériau. Il y a tricherie, tromperie. Mais le but du jeu, ce n’est pas de tuer. Simplement de faire un maximum d’argent », détaille François Desriaux, co-fondateur de l’Andeva et ancien président de l’association.
Pour le code pénal, ces employeurs ne sont pas des délinquants. Au moment où la loi Fauchon était adoptée, diverses associations (Andeva, le Comité anti-amiante Jussieu, Fnath – association des accidentés de la vie) avaient affirmé que le texte allait permettre d’amnistier par avance la responsabilité des auteurs indirects d’homicide ou de blessures involontaires. Donc les dirigeants. Aujourd’hui, pour ces associations, « la véritable nature de cette loi éclate au grand jour : elle n’exonère pas seulement les décideurs, elle empêche tout examen des véritables responsabilités dans les catastrophes sanitaires ». Les victimes de l’amiante, qui tombent par milliers chaque année, comptent maintenant sur le Chef de l’État et le Parlement pour réviser cette loi. Seront-elles entendues ?
Nolwenn Weiler
NB. En revanche, la Cour de cassation a aussi le même jour cassé les annulations de mises en examen dans deux autres affaires de l’amiante, celle l’université de Jussieu et celles des chantiers navals de Dunkerque. Les instructions pourront donc reprendre. Lire ici.