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23 novembre 2024

Traité Transatlantique : tribunaux privés contre services publics locaux


Traité Transatlantique : tribunaux privés contre services publics locaux

mai 1, 2015

Pour Vivien Rebière, auteur de « Les territoires face au Grand marché transatlantique », le dispositif de règlement des litiges investisseurs/Etat prévu dans le traité transatlantique « est un mécanisme dangereux pour nos services publics, nos normes sociales et environnementales, pour la souveraineté de nos Etats ». Car de fait, « les nationalisations, régionalisations, municipalisations d’entreprises et de services publics seront considérées comme des expropriations directes et des mesures déraisonnables ». Des décisions susceptibles d’être attaquées par les multinationales…

L‘Investor State Dispute Settlement (ISDS), en français le Règlement des litiges investisseur/État est un mécanisme d’arbitrage qui existe dans plus de 3 000 traités de libre-échange. Le principe est simple : les différends entre la puissance publique et les entreprises sont réglés non pas devant les tribunaux nationaux et publics, mais devant une cour arbitrale privée, sans possibilité d’appel. L’objectif est double : protéger les investisseurs de la meilleure façon, en s’assurant que ceux-ci évoluent dans un cadre économique stable où l’État de droit est respecté, et permettre aux entrepreneurs d’attaquer la puissance publique en cas d’atteinte à leurs investissements. Or, l’État de droit est respecté aux États-Unis et dans l’Union européenne et la sécurité des investissements largement assurée.

Le mandat de négociations de la Commission européenne avance clairement les raisons de l’ISDS : l’« interdiction des mesures déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires », le refus du « traitement national », la « protection contre l’expropriation directe et indirecte », la « protection et sécurité entières des investisseurs et des investissements ». Toutes les formes de protectionnisme seront proscrites. Les nationalisations, régionalisations, municipalisations d’entreprises et de services publics seront considérées comme des expropriations directes et des mesures déraisonnables. On peut légitimement supposer que les critères sociaux et environnementaux (interdiction des OGM, des pesticides, etc.) seront jugés comme des freins au libre commerce. Ainsi, la véritable raison de l’ISDS est politique et économique. Le but est d’assurer le moins d’entraves possibles aux investisseurs et d’empêcher toutes les mesures publiques qui iraient à l’encontre du libre-échange.

« Le coût moyen d’une procédure est de 8 millions de dollars »

En effet, les multinationales ne se privent pas d’attaquer les Etats via les tribunaux d’arbitrage existants. L’entreprise américaine Lone Pine réclame 250 millions de dollars au Canada après que le Québec a imposé un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste. Le suédois Vattenfall exige 4,7 milliards d’euros à l’Allemagne pour sa sortie du nucléaire. Or le coût moyen d’une procédure est de 8 millions de dollars (il peut atteindre 30 millions). Et c’est sans compter le montant des dédommagements obtenus par les multinationales. A ce prix, nul doute que la meilleure option pour les États serait d’obtenir un accord à l’amiable et de se conformer aux desiderata des grands groupes.

Puisque tous les échelons de gouvernement seront visés par l’accord, du gouvernement à la commune, les services publics locaux seront directement touchés. La reprise en gestion publique de l’eau semble compromise par le principe des « expropriations », ou à défaut très coûteuse pour la collectivité. Le mandat de négociations évoque l’obligation d’équité entre secteur public et privé. Il serait donc impossible de soutenir une entreprise publique ou une association au détriment d’entreprises privées, à moins de financer ces dernières au même niveau. L’insertion dans un contrat de marché public de clauses environnementales ou sociales, l’instauration de politiques sanitaires ou écologiques (paquets de cigarettes neutres, indicateurs de polluants sur les produits de consommation, etc.) qui visent à protéger les consommateurs, pourront être perçues comme une expropriation indirecte. D’après les ONG, les services de santé seront aussi concernés. Les centres de santé municipaux feront-ils une concurrence déloyale aux centres privés ?

Pour l’heure, les positions sur l’ISDS sont confuses. Le gouvernement Merkel semblait très réticent, mais l’Allemagne est le pays européen qui pousse le plus à la conclusion d’un accord. Le grouvernement français envoie des messages contradictoires. Matthias Fekl, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur se dit très vigilant sur le mécanisme, mais Matignon aurait envoyé aux eurodéputés français des consignes de vote en faveur du tribunal d’arbitrage. Par ailleurs, les sociaux-démocrates européens ont tranché en faveur d’un ISDS amendé le 21 février dernier, lors d’une réunion à Madrid, en présence de Manuel Valls, Sigmar Gabriel et Martin Schulz. Alors qu’à la commission emploi du Parlement européen, les députés ont voté le 1er avril pour l’exclusion de l’ISDS, la Commission européenne a rejeté l’initiative citoyenne européenne demandant son exclusion, et ne prend pas en compte sa propre consultation publique qui a révélé de véritables inquiétudes sur le sujet.

L’ISDS est un mécanisme dangereux pour nos services publics, nos normes sociales et environnementales, pour la souveraineté de nos Etats. Mobilisons-nous le 18 avril, pour la journée internationale contre les traités de libre-échange et d’investissement, contre le tribunal d’arbitrage et le Tafta.

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