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23 novembre 2024

Loi sur le Renseignement : si j’étais un terroriste je jubilerais !


France/ Loi sur le Renseignement : si j’étais un terroriste je jubilerais !

par Jean Level – samedi 9 mai 2015

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » Benjamin Franklin.

Le 5 Mai 2015, 438 députés sur 566 se sont prononcés en faveur de la loi sur le renseignement, afin de lutter contre le terrorisme. C’est beau. On va pouvoir mettre facilement n’importe quel Français sur écoute dès lors que cela concernera la prévention d’attentats, mais aussi la protection des « intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France » ou encore « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ».

Donc si vous travaillez chez Renault (ou toute autre entreprise du CAC 40), ou si vous avez de la famille qui y travaille (après tout on pourrait vous transmettre des informations sensibles de vive voix pour que vous les diffusiez vous même), espionner vos communications est justifié. De même si vous travaillez chez un concurrent de ces entreprises, toujours pour détecter un éventuel espionnage industriel.

Et n’oublions pas que si vous n’êtes pas inscrit sur les listes électorales, ou si vous êtes un abstentionniste régulier, vous êtes potentiellement un dangereux anarchiste, une menace pour les institutions républicaines. Ce sont donc bien tous les Français, ou presque, qui seront sous surveillance. Tout ça grâce à une loi qui au final renforcera les terroristes.

« Terroristes » ? Le terme est vague. De qui parle-t-on ? Du tireur qui sera le bras armé d’un attentat ? De ceux qui financent, forment ou organisent dans l’ombre ? Ou encore de celui qui se spécialise dans la vidéo de propagande ? Dans tous les cas il est assez facile de comprendre que si les mesures que nos parlementaires comptent prendre pour lutter contre eux aboutissent à la multiplication ou au renforcement d’un de ces acteurs, on est sur la mauvaise voie. Manque de chance, c’est exactement l’effet qu’aura la loi sur le renseignement.

De la reconnaissance, de la crédibilité et des moyens supplémentaires pour les cerveaux du terrorisme.

Mettons nous un instant à leur place, ou à celle de ceux qui le financent les attentats ou qui paient pour la création et la diffusion de vidéos de propagande, la formation de terroristes. Au moment où une telle loi passe, que ressentirions-nous si nous détestions comme eux l’occident et les occidentaux, au point d’agir pour les détruire ?

La première émotion serait probablement un sentiment d’importance, l’impression du devoir accompli. Car en plus des décès causés par nos pions, nous aurions ainsi la preuve formelle du traumatisme infligé à la population générale, traumatisme suffisant pour pousser les politiciens en poste à prendre des mesures. Personne n’aimant avoir l’impression de travailler pour rien, nous serions enchantés que l’ennemi nous apporte cette magnifique démonstration que nos efforts ont été couronnés de succès, cette reconnaissance de la qualité de notre travail. Mais cela irait bien au-delà du simple baume au cœur : plus on est crédible aux yeux de son ennemi, plus on devient crédible aux yeux de ceux qui le combattent aussi. Or, voir passer des lois en réponse à nos actes serait une preuve magnifique de notre crédibilité aux yeux de nos adversaires, et donc un argument de poids au moment de contacter des mécènes pour nos prochaines actions, ou encore pour recruter de nouveaux pions prêts à se sacrifier dans un attentat.

Pour certains alliés potentiels nous passerions du rang de simples illuminés à celui de visionnaires capables de faire bouger les choses et de faire trembler l’Occident par nos actions. Impression d’avoir accompli quelque chose, crédibilité, moyens supplémentaires en conséquences, pour l’instant ce n’est que du bonheur. Mais c’est dans le contenu de cette loi que réside la cerise sur le gâteau des barbares qui mènent ce combat .

Car jusqu’à présent on parlait de la forme, des bénéfices que nous tirerions du fait même que les politiciens occidentaux fassent passer une loi en réaction à nos actions. Le fond, la loi elle-même, est l’apothéose : une loi liberticide, de surveillance massive de la population. Une loi qui va elle-même créer de la peur.

Pour celui qui organise des actions ou qui fait de la communication pour nuire et terroriser, le fait que sa proie décide de réagir en se nuisant à elle-même et en rajoutant une couche de peur est inespéré. Si nous comptions réellement parmi les architectes du terrorisme nous jubilerions : investir du temps et des moyens pour détruire quelqu’un qui en réaction décide… d’utiliser ses propres moyens pour augmenter la rentabilité de notre investissement. Il y a de quoi mourir de rire ou danser de joie. Ou les deux. Bien qu’il soit probable qu’à leur place nous ne serions pas de grands consommateurs d’alcool, croyances obligent, nous ferions sûrement une exception pour trinquer et fêter ça.

De la motivation pour les ceux qui hésitent à passer à l’acte.

De la même façon on peut aussi se mettre dans les bottes du pion potentiel, de l’éventuel futur terroriste, de celui qui habite en France mais déteste les Français ou leur mode de vie.

Avoir comme lui notre vie, nos amours, nos emmerdes, avec en plus une cause qui nous tiendrait à cœur : la destruction de la « civilisation occidentale ». Et chaque jour la question se poserait pour nous de sacrifier les premiers au profit de nos idéaux. Chaque jour le coût d’un passage à l’acte terroriste (une vie en prison, dans le meilleur des cas) et son utilité pour notre cause s’affronteraient dans la balance.

Pour certains d’entre nous l’idée de tuer quelques « ennemis », de préférence si ils représentent une cible symboliquement forte, pourrait suffire à prendre effectivement les armes, et les événements récents l’ont prouvé. Mais à côté de ceux-là il y aurait tous ceux pour qui cela ne représenterait qu’une goutte d’eau face à un ennemi trop grand, ceux qui se demanderaient « qu’est-ce que ça va changer ? », les découragés d’avance (comme pour toute cause finalement). Passer des lois en réaction à des attentats reviendrait alors à nous hurler des encouragements. Le message que nous entendrions serait « Ne vous découragez pas ! Non ce n’est pas qu’une goutte d’eau ! Ces attentats sont des coups terribles que vous nous portez, au point que nous devons réagir par la loi ! Votre action fera une différence ! ».

Sans oublier encore une fois le contenu même de cette loi : une loi intrusive, une loi d’espionnage de masse, une loi de défiance. Chacun d’entre nous aurait son propre seuil de haine à atteindre pour réellement se décider, et cette loi permettrait assurément à certains de s’en approcher ou de l’atteindre.

A côté de cela les bénéfices à attendre en terme de sécurité sont dérisoires.

Soyons généreux avec le législateur, supposons qu’il y ait 3000 terroristes potentiels en France (estimation probablement très large), et que cette surveillance en repère 99% (ce qui bien au-dessus de la réalité), pendant qu’elle étiquette aussi 1% des innocents (chiffre sans aucun doute largement sous-estimé cette fois). Les renseignements n’auront alors « plus qu’à » mener une enquête approfondie sur 650.000 personnes environ, pour y dénicher les trois mille terroristes. Absurde.

Au final cette loi sur le renseignement est absolument fantastique pour un terroriste : plus de motivation, de crédibilité et de moyens pour les instigateurs, et plus de pions prêts à devenir leur bras armé, consciemment ou non. Demander d’avantage serait de la gourmandise.

Pour nous cela ressemble au contraire à un superbe exemple de route de l’enfer pavée des meilleures intentions du monde. Car si cette loi vise en théorie à nous faire sacrifier un peu de Liberté contre de la sécurité, la réalité sera toute autre : nous perdrons bel et bien notre intimité, mais le terrorisme en sortira également renforcé, et il suffit de se mettre quelques minutes à la place d’un terroriste avéré ou potentiel pour s’en rendre compte. Benjamin Franklin avait raison, nous allons bien perdre de la Liberté et un plus de sécurité en croyant malin de brader l’une pour l’autre. Tout ceci nous promet des lendemains qui chantent.

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