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25 novembre 2024

Les confessions du “Ben Laden français” (I)


MONDAFRIQUE

Les confessions du “Ben Laden français” (I)

D’Amédy Coulibaly aux Frères Kouachi et de Tariq Ramadan aux dirigeants d’Al-Qaïda et Daech, Djamel Beghal, que les services antiterroristes présentent comme « le Ben Laden français » raconte à Mondafrique ses rencontres et ses échanges avec les principales figures de l’islamisme et du djihadisme dans le monde.

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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.

« La France, un pays que j’aimais », confesse Djamel Beghal dans cet entretien exclusif qu’il donne à Mondafrique. Cette tendresse pour la patrie supposée des droits de l’homme n’est plus de mise. Celui que les services ont surnommé « le Ben Laden français » a été en effet condamné à dix ans de prison en raison d’aveux extorqués à Abou Dhabi sous la torture, Comme l’explique Jacques Marie Bourget, auteur de cet entretien, dans un éditorial ( « Pourquoi Mondafrique donne la parole à un proche d’Al-Qaida »), le juge anti terroriste qui a instruit son dossier, Jean François Ricard, a lui même reconnu dans un entretien avec des diplomates américains révélé par Wikileaks, que la condamanation de Beghal reposait sur un dossier quasiment vide. « En novembre 2010, feuilletant Internet de façon machinale, écrit Bourget, je tombe soudain dans le Monde sur une information aussi incroyable qu’un poisson d’avril. « Le 9 mai 2005, l’ambassade narre une rencontre avec le juge Jean-François Ricard. Celui-ci explique que les magistrats tels que lui, spécialisés dans l’antiterrorisme, bénéficient du « bénéfice du  doute ». Il prend comme exemple le dossier Djamel Beghal, arrêté en 2001 et soupçonné d’un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. « Ricard dit que les preuves [contre lui et ses complices] ne seraient pas suffisantes normalement pour les condamner, mais il estime que ses services ont réussi grâce à leur réputation. »

Ce déni de justice justifie à lui seul que « Mondafrique » évoque la situation de Djamel Beghal, privé aujourd’hui de papiers d’identité après un procès tronqué et frappé d’interdit dans le monde entier. Son engagement passé en faveur d’Al-Qaida va de pair aujourd’hui avec le refus clair et net de franchir des lignes jaunes non négociables. Qu’il dénonce « Daech » et les GIA algériens s’en prenant aux populations civiles ou qu’il refuse avec vigueur toute forme d’antisémitisme.

Même si Beghal n’a jamais appRouvé l’attentat des « twin towers » en 2001, il ne le condamne pas clairement. Ce que l’on peut regretter. Pour le reste et même s’il s’agit de combattre sa vision du monde, son propos clair et structuré mérite d’être entendu.

La Rédaction de Mondafrique 

 

L’ENTRETIEN AVEC DJAMEL BEGHAL (PREMIER VOLET)

Djamel Beghal « Comme vous le savez le système politico-judiciaire de votre pays n’a de cessé d’utiliser le profil, celui qu’il m’a savamment tricoté, afin de terroriser vos concitoyens à coups de phantasmes. Aussi en faisant de moi, au mieux un souffre-douleur, au pire un bouc émissaire idéal, il assouvit ses propres frustrations.

Je donne un exemple de cette contamination des esprits… Pour dresser de moi le portrait qui lui convient, disons-le, celui d’un homme caché qui envoie des jeunes commettre des attentats, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) a ouvert les poubelles de ses archives à des journalistes. La parade est de livrer à des reporters, traités comme des amis, des éléments qui n’ont rien à voir avec la vérité. Mais une mosaïque d’éléments « canada dry » qui ressemblent à la vérité tout en la bafouant.  L’intox de la DGSI m’ayant désigné comme bouc-émissaire, il fallait nourrir ma bête journalistique. Ainsi, clés en main, elle a fourni notamment au  « Monde » des dossiers (qui datent de 2010) qui sont censés « m’accabler ».  Par exemple des photos prisent lors de mon assignation à résidence dans le Cantal, et qui me montrent aux côtés de messieurs Kouachi et Coulibaly. Le message est clair : « Beghal est le mentor des auteurs des attentats ».

En déviant le focus qui devait logiquement se braquer vers elle, sur sa défaillance, la DGSI s’assure sa propre tranquillité. Sur mon dos : voyez, le cerveau était sous notre surveillance.  L’image ne tient que quelques jours, le temps de mettre le journal au feu. Mais le mal est fait : je suis  le Ben Laden français.  La DGSI se met ainsi à l’abri des interrogations graves et légitimes portant sur sa responsabilité dans les tueries de Paris. Crimes qu’elle n’a pas été capable d’enrayer alors que, depuis 2012 et Merah, elle a reçu d’énormes améliorations structurelles, humaines, matérielles et financières !

Alors que, rappelons-nous, là encore les auteurs des tueries étaient connus, suivis et pris dans le filet des surveillances carcérales et citadines. Conséquences ? « Le Monde » a signé mon enterrement effectif dans le « cimetière des morts vivants », ce que sont les « IT », les quartiers  d’« Isolement Total », système de torture légale des prisons françaises.

Depuis juillet 2001 j’ai donc passé neuf années dans les geôles moyenâgeuses de votre République. Dieu seul sait les conséquences psychique et physique que je devrais endurer ? C’est inhumain. Alors que l’opération de blanchiment de la DGDSI par  «  Le Monde »  a  mieux resserrer sur moi les portes de l’enfer, de faire que je sois un mort sans condamnation. Ironie, dans le même temps, le « système », qui a ses fantaisies, reconnait haut que je suis un « détenu modèle »…

A notre époque, parmi les gens qui manient la plume (dans la plaie !)… il n’existe plus que les journalistes pour traiter une actualité que, le plus souvent, ils maltraitent !  Le philosophe, l’écrivain qui venait s’élever contre l’injustice a disparu de la tradition. Zola est mort et moi -même ne me sens pas très bien. Dans le vieil Occident en décrépitude, plus d’échos venus d’intellectuels présumés penseurs libres. Pour un homme comme moi, il n’y a personne pour réclamer Liberté et Justice. Je suis le diable …  un anti-BHL qui se prend pour Dieu !

JMB. Le 15 mars 2005, même si la justice française ne retient pas un projet d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, vous êtes néanmoins condamné à 10 ans de prison par la Cour Antiterroriste. C’est assez contradictoire, vous êtes condamné alors que l’accusation est tombée ?  Puis, en 2009 vous êtes placé en résidence surveillée dans un hôtel du Cantal. C’est ici que deux des terroristes des attentats du 11 janvier à Paris,  contre « Charlie » et  l’Hyper Cacher, vont vous rendre visite : Cherif  Kouachi et Amedy Coulibaly. Cette proximité va nourrir la rumeur, « vous êtes le guide religieux et le mentor de ces deux tueurs…

Certains magistrats, qui ont été ou sont encore chargés du terrorisme au TGI de Paris, et plus particulièrement certains juges qui agissent comme des prédateurs de la mouvance islamiste, fonctionnent comme une mafia. Je l’ai dit, écrit et répété au juge Bruguière. Il se faisait appeler « l’Amiral » par ses amis, pour nous c’était « le parrain ». Pénétrer dans certains cabinets de juges, c’était entrer dans une loge, où l’homme qui est en face a tous les droits, carte blanche. Tout est permis dans cette enceinte. D’une certaine manière Bruguière revendiquait cette posture. Avec lui j’ai eu des conversations hallucinantes. Je le répète, dans ces bureaux tout est possible, sauf la justice. Ma condamnation en 2005 ferait rougir de honte n’importe quel juge stagiaire dans un pays vraiment démocratique. Pourtant, dans un pays qui se veut « de droit », personne n’a bronché après la mascarade dont j’ai été victime. Chose positive, ce déni me renforce dans ma foi et dans mes convictions.

Idem quand « Le Monde »publie des révélations sur  Wikileaks, là l’information était positive pour moi. Le quotidien publie le contenue de milliers de câbles diplomatiques expédiés par les diplomates US à leurs patrons de Washington. Dans un de ces télégrammes, l’ambassadeur américain à Paris raconte avoir reçu la visite du juge français antiterroriste Jean-François Ricard. Lors d’une conversation, le magistrat, parlant de mon cas,  révèle que mon dossier « contenait des preuves insuffisantes ». Néanmoins, en raison « de la bonne cote de popularité de Ricard auprès de la Cour », il a obtenu ma condamnation et celle de mes « complices ». Le « juge » aurait pu dire franchement « absence de preuves »…

Face à ce scandale, celui d’un magistrat qui avoue qu’un homme a été injustement condamné, que s’est-il passé ? Rien. Rien de rien. Pour le Conseil Supérieur de la Magistrature, saisi par mon conseil Bérenger Tourné, l’affaire était « forclose ». Après cela vous allez me demander à moi et à ceux dont je partage le sort judiciaire, de croire en l’institution… Elle ne fait que nous renforcer dans nos croyances. Ici je pense surtout aux jeunes que je croise  en prison et qu’un jour on va qualifier « de loups solitaires ».

Poursuivant ma revue de détail, celle du comportement de la justice quand elle a face à elle un innocent qui ne lui convient pas, je peux aussi évoquer le cas de ma nationalité. Citoyen de seconde zone, j’ai été déchu de la nationalité française.  Tout cela en un tournemain, sans me laisser le temps de rejoindre ma famille ou de trouver un pays d’accueil décent. Les juges on fait de moi une sorte d’apatride, d’otage « légal ». Et que deviennent mes quatre enfants qui, comme ma femme, sont tous français ? Je dois faire face à un continuel non-dit. Mon dossier est vide mais des  prédateurs ou des agents des services, viennent alimenter en secret les magistrats en rumeurs. Ainsi, moi Beghal simple homme de foi, même si elle est rigoureuse et totale, je suis le « Ben Laden français ».

Il faut vivre cette pratique qui relève de l’Inquisition pour en mesurer le poids. De bonnes âmes vont vous dire : « Mais il n’a qu’à retourner dans son pays de naissance, l’Algérie ! ». Vous croyez que c’est un choix facile, quand vous êtes un « islamiste »,   de retourner dans un là où l’on éradique le religieux ? Pourtant, en 2009, j’ai été approché par les services spéciaux du pays où je suis né. On m’a proposé une « offre », elle était empoisonnée et je l’ai refusée. Alors les algériens m’ont administrativement ignoré, je suis virtuellement rayé de la liste des citoyens.  Je suis un apatride de fait, mais sans en avoir le statut, et je ne peux bénéficier du droit international qui protège  celui-là. Je vois venir les experts en roman « journalistique », ils vont me comparer à Cheikh Oussama Ben Laden qui, lui aussi, n’avait plus de pays. Finalement, votre pays, notre pays, leurs peuples ne sont pas dupes de  la légende médiatico-policière inventée sur moi et cer sont les dirigeants qu’il faut mettre en cause. la preuve de ce décalage entre le « haut » et le « bas » de la société: des gens anonymes, qui n’ont rien d’islamistes, choqués par le sort qu’on m’est fait, me témoignent leur sympathie. C’est un réconfort. Aux yeux de ceux qui ont des convictions comparables aux miennes, l’acharnement judiciaire dont je suis victime fait de moi une sorte de « héros », et fédère autour de moi un effet attractif, celui d’un « leader » que je ne cherche pas du tout. Mais c’est vrai que j’aime l’humanité, accueillir les gens. Et on me le rend.

Quand j’étais en résidence surveillée dans un hôtel du Cantal, des dizaines de personnes m’ont rendu visite, de tous bords et de toutes natures. C’est surprenant que les journaux n’aient pas publié cette liste. Mais seulement les noms de Cherif Kouachi et Amédy Coulibaly… Leur visite ? C’est tout simple. Ce sont des jeunes que j’ai croisés en prison. A des moments difficiles pour eux. Il est possible que j’aie su trouver des mots de réconfort et qu’ils en aient été reconnaissants. Rien d’autre. Rien de plus. On ne peut me reprocher de fréquenter  d’anciens prisonniers alors que mon univers, depuis quinze ans, est carcéral. Dans le Cantal j’ai reçu des gens avec lesquels je n’avais pas une ombre d’affinité, mais je me suis toujours montré accueillant et courtois.  Je ne pratique pas de discrimination sur le casier judiciaire, le sexe, l’âge l’origine sociale ou culturelle, la religion. J’ai toujours vécu ainsi.

Si on vient me poser des questions sur la religion, ce qui est à la fois ma raison de vivre et ma discipline intellectuelle, je discute écoute, débats sans me prendre pour un quelconque « mentor ». Je n’impose rien, je m’exprime, c’est tout. Si c’est cela être un « mentor », je l’assume.

Pour revenir sur ma connaissance d’Amédy Coulibaly, je me souviens qu’il était profondément marqué par la mort de son ami tombé sous les tirs gratuits d’un policier,  lors d’une poursuite alors qu’ils étaient tous les deux adolescents. Il a été aussi bouleversé par  l’état de vie désastreux  des palestiniens, aussi bien musulmans que chrétiens, à Jérusalem qu’il avait visité il y a quelques années. Ce sont ces injustices, vécues ou observées, qui influencent les choix et les réactions. Après coup, selon mes impressions, ce sont ces deux épisodes de sa vie qui l’ont déterminé à choisir ces « cibles » lors des attentats de janvier : le meurtre d’une policière et ceux de « l’Hyper cacher »

Quant à Chérif Kouachi, je sais qu’en 2010 il a été injustement incarcéré pendant plusieurs mois pour sa complicité imaginaire dans un faux projet d’évasion d’Aït Ali Belkacem. Puis il a été libéré sous contrôle judiciaire avant d’obtenir un non-lieu total, dans cette affaire « bidon », après quatre ans d’instruction… Il avait écrit plusieurs lettres au juge, se plaignant de cette justice qui détruisait tous ses efforts de réinsertion, de son boulot perdu à cause de cet emprisonnement injuste. Il hurlait son innocence.

Cette incarcération l’avait marqué et lui avait démontré qu’il était à la merci du moindre caprice de l’antiterrorisme français, même s’il finissait par être blanchi, les dégâts étaient irréparables. C’était devenu un homme sans avenir.

Ce que je dis là c’est de la spéculation, un raisonnement logique issu de ce que je sais de ces deux garçons. Mais je crois pouvoir affirmer que, si j’avais été libre, ces deux jeunes m’auraient probablement demandé conseil avant de s’engager dans la violence. Je les aurais orientés tout autrement.  Je me vois essayer de les convaincre que toute cette intolérance, cet irrespect envers le sacré des musulmans ce mépris de ce que peuvent ressentir des croyants, l’offense, le dédain…. C’est-à-dire ce qu’exprimaient envers la communauté musulmane, à tout vent, ces caricaturistes et leurs soutiens imbéciles, sur Mohammad  -que salut et éloges soient sur lui- que tout ça donc jouera finalement en faveur de l’Islam et du renforcement de sa cause dans le monde contemporain. Voilà ce que j’aurai dit à Kouachi et Coulibaly.

Dieu dit : « Or, telle ou telle chose que vous détestez peut être bénéfique pour vous, tandis que telle ou telle autre que vous aimez peut être néfaste. Allah (Dieu) sait, tandis que vous, vous ne savez pas » Sourate 2. Verset 216.

Vous objecterez que, malheureusement, à cette distance les spéculations et conjectures sont faciles.

Jacques Marie Bourget Coulibaly s’est revendiqué de Da’esch, les frères Kouachi d’Al-Qaïda au Yémen… comment voyez- vous ces deux faces de « l’Islam de la terreur » ?

Djamel Beghal l Qaëda oscilla, selon les influences du commandement du moment, entre deux objectifs. Le premier était la constitution d’une armée islamique mondiale (AIM). Le rôle de celle-ci était de parvenir au changement de régime des gouvernements du monde islamique, pas au-delà. Puis il y eut divergence sur la stratégie à suivre : fallait-il reconquérir pays par pays ou ouvrir des fronts multiples et simultanés partout où c’était possible ?

Le second objectif était de punir tous les soutiens à nos régimes corrompus. Là, il s’agit bien sûr des puissances occidentales qui ne se privent pas de profiter de nos richesses. Tout affermissant les pouvoirs corrompus et  en faisant couler le sang des musulmans. L’ouverture de ce front, vers ceux qui soutiennent les régimes pourris, était un sujet de discussion.

Où en sommes-nous ? Il suffit de lire les journaux. De considérer le volume d’Al-Qaëda initial et de le comparer à celui qu’il atteint aujourd’hui. Alors que la Coalition mondiale a tout fait pour l’éradiquer en Afghanistan puis en Irak ! La simple couverture géographique actuelle est éloquente : la progression, le développement, la spécialisation et la capacité de la régénération de l’arborescence d’Al-Qaëda sont manifestes. Depuis 2001 la « Base »  est sur une courbe ascendante et, face à elle, les moyens mis en œuvre par la coalition s’effondrent, défaite après défaite.

Al-Qaëda semble perdurer durablement. Cela dépendra de sa capacité, celle qu’elle a montrée ces dernières années, à s’adapter, à se critiquer, à corriger sa trajectoire et tirer les leçons des erreurs commises par la mouvance jihadiste.  Cheikh Aymane Adhawahiri est un saint homme de grand valeur et un leader de haut rang. J’ose croire que l’adhésion de monsieur  Kouachi à Al-Qaëda au Yémen est postérieure à sa décision de punir « Charlie »… Il a trouvé en l’organisation la capacité de  formation militaire et, peut-être, un léger financement pour son projet… Il se pourrait, tout au plus, que les deux parties se soient trouvées complémentaires sur ce sujet. Dieu et plus le savent ! Je ne connais pas Saïd Kouachi personnellement.

A propos des évènements du 11 janvier, et les commentaires qui ont suivi, je suis très surpris de cette charge faite contre l’Islam ou le jihad, qualifiés de « philosophie antisémite ». Alors, qu’en la matière, il ne peut y avoir de tels sentiments. Etre sémite c’est descendre de Sem, fils de Noé, le messager-prophète de Dieu. Arabes comme juifs  sont sémites par excellence. Etre antisémite c’est, aussi, être anti arabe. L’antisémitisme primaire, typiquement chrétien, est né à l’époque romaine et c’est ancré en Europe durablement. Puis, de nos jours en France, l’antisémitisme est principalement une loi qui puni ceux qui s’en prennent eux juifs  ou nient la Shoah. Faut-il rappeler qu’au Moyen Orient et en Afrique du Nord, juifs et musulmans jusqu’à la création d’Israël, ont toujours vécus en parfaite intelligence. Mieux, en Palestine, les palestiniens eux-mêmes ont, pendant des années, aidés les juifs venus d’Europe. Au Yémen, pendant longtemps, les juifs locaux ont  refusé d’émigrer en Israël. Et les sultans ottomans n’épousaient-ils pas une juive… Et l’on pourrait parler aussi de l’époque Andalouse où savants musulmans et juifs travaillaient ensemble. L’antisémitisme est bel et bien une invention européenne que l’on tente de rejeter aujourd’hui sur la communauté musulmane. L’Islam  ne considère aucunement  Jésus  -paix et salut sur lui- mort  et assassiné. Il a été plutôt , vivant, vers Dieu et reviendra avant la fin des temps pour remettre de l’ordre dans la famille judéo-chrétienne.

Pour revenir sur la législation française, qui veut combattre l’antisémitisme, il faut observer que la prédiction de Simone Veil, qui craignait que ces lois provoquent le rejet et le mépris, est peut-être en train de se réaliser… Il y a mélange des genres entre antisémitisme et  antisionisme.   Pourtant, on a le droit et le devoir de combattre les criminels juifs, comme les colons et leurs soutiens, sans être attaqué comme « antisémite ».

Vous me posez une question sur Al-Qaëda, mais vous connaissez trop bien le dossier pour ne pas savoir qu’aujourd’hui l’histoire est brouillée par un nouvel acteur appelé Da’esh… Ces gens veulent établir un « Califat »… Très bien mais, selon la loi, ce Califat est le résultat d’un contrat entre le Calife, choisi, et la masse des croyants musulmans.  En Islam, tout homme réclamant le pouvoir pour sa personne en sera privé. L’Emir ou le Calife est choisi pour ses qualités et ne peut faire campagne pour être investi. Ce contrat, son contenu, ses critères, ses conditions, son mode de résiliation, sont clairement établis par la science politique Islamique. Aujourd’hui, « l’Etat Islamique » auto proclamé n’a pas rempli les conditions légales, celles que je viens de décrire, pour s’approprier le statut de Califat. D’autant plus -puisqu’ au paravent il faisait partie intégrante d’Al-Qaëda- l’E.I. a failli en rompant la chaîne de subordination. Sans raison valable. Aux prémices du conflit avec le docteur Aymane Adhawahiri l’E.I. avait refusé tous les tribunaux légaux et indépendants pour arbitrer et juger cette dissidence illégale.

D’où vient E.I. ? C’est Cheikh Abou Moussâab Azzarqawi, un indépendant, qui instaura le jihad contre les Américains en Irak, de 2003 à 2006. Il prête alors allégeance au Cheikh Oussama Ben Laden et rejoint Al-Qaëda.   De 2003 à 2012, en Irak, Al-Qaëda n’a cessé de former des cadres militaires et administratifs afin de préparer la charpente du futur pays. En 2006, à la mort d’Azzarqawi, c’est Omar Al-Baghdadi qui lui succède, tout en maintenant la dépendance du commandement à Al-Qaëda. En 2010 l’émir irakien est tué pour être remplacé par Abou Bakr Al- Baghdadi.

C’est alors que le groupe fait brutalement scission et entre en dissidence, et même en guerre contre Al-Qaëda, plus particulièrement contre son groupe syrien, Anosra. D’où vient ce schisme ? Le « Califat » actuel  est vicié par un ancien groupe, que je pensais disparu. Ce sont des adeptes du Califat qui a vu le jour en Afghanistan au milieu des années 80. Il a atteint ce que l’on pensait être son apogée durant les années 90. Cheikh Abou Qatada, était sans cesse aux prises avec eux, en raison de leur démarche et de leur dogme déviant étalé au cours des débats avec les érudits. Les faire disparaitre a pris des années. Cheikh Abou Qarada a réalisé un immense travail de recherche, de propagation et de vulgarisation des thèmes qui touchent à ce sujet sensible. Il y a plus de vingt ans, Londres  était déjà la scène d’une bataille intellectuelle acharnée sur ce sujet du Califat. Le groupe dont je parle, avait élu un Calife, que j’ai rencontré plusieurs fois. Je connais profondément leur doctrine, leur niveau et leurs objectifs, leurs façons d’opérer, et leurs failles.

Je pensais vraiment que les multiples démonstrations du Cheikh Abou Qatada avaient enterré à jamais ce groupe et ses ambitions. Je me rends compte, que mes quinze années d’absence, emprisonné, ont brouillé mes radars, celui du suivi de la situation dans le monde musulman.  J’ai appris officiellement que ce groupe et son dogme, très « Kharijite », s’est invité dans les rangs d’Al-Qaëda en Irak, donc de l’Etat Islamique. Puis il est parvenu à des postes de commandement, sans parler de la base où il compte des milliers de combattants aguerris. Dès lors, pour ce groupe, il est très facile de séduire et de convaincre par une logique simpliste, jouant de l’inculture de  tout nouveau converti ou novice dans la religion, mais sincère dans son élan.

J’ai appris, depuis le début de la guerre en Syrie, que le commandant de Da’esh n’a pas d’emprise sur les anciens du Califat, ceux des années 80 qui tous, ou presque, opèrent en Syrie. Ceci est confirmé par les deux piliers que sont Cheikh Abou Qatada et Abou Mohammad Al Maqdissi qui, lui,  est en Jordanie. Et une épitre de Cheikh Abou Qatada, intitulée « L’Habit du Calife » est diffusée depuis septembre 2014. Il explique le statut du Califat, avant de conclure par une fatwa adressée au commandant de Da’esh, à sa démarche et ses exactions.

Da’esh commet les mêmes erreurs que les groupes armés qui ont échoué dans le passé. A commencer par le GIA en Algérie. Da’esh est voué à disparaitre puisqu’il est INJUSTE. Dieu dit : « Mon engagement, l’attribution de mon pouvoir, ne s’applique pas aux injustes » Sourate 24 Verset 2. S’il ne corrige pas ses fautes, Da’esh va prospérer puis disparaitre.

En somme, la foi, ce sentiment merveilleux, mystérieux et apaisant ne peut être expliqué par une sociologie de misère ou une psychanalyse de divan. C’est extraordinaire, c’est divin. Et c’est tout ! Le jihad ne connaitra jamais de repos, c’est dans le crédo. Pour l’Occident, la démocratie et ses sages, il serait judicieux d’ouvrir les portes de la discussion et du compromis, avec des accords et le respect de ses masses enflammées. Cette prise de conscience épargnera des dégâts inutiles et énormément de vies humaines. Il est inévitable de prendre en compte cette force combattante. Comme il est inévitable de l’asseoir chez nous, dans nos pays. Il y a largement moyen, en Islam, de parapher des accords ou des pactes de reconnaissance. Continuer ainsi, en aveugle, fera couler des rivières de sang, dépenser des milliards et des tas de ruines. Le pouvoir selon la Charia, propre à ceux qui croient et le souhaite viscéralement, arrivera bien un jour. Il faut reconnaitre à ceux-là le droit du choix. Le tout est de faire cela selon une démarche instruite, intelligente et la moins passionnelle possible. Le tsunami vert à la bannière noire déferlera sur nos anciennes terres, tôt ou tard. Sinon… le pire est à prévoir !

JMB. Il est acquis que vous avez fait un choix, celui d’une lutte engagée sous la bannière de l’islam. Quel est votre but ?  Convertir la planète   -avec la vision qui est la vôtre- ou lutter, au nom de votre croyance, pour la libération de « frères » que vous estimez opprimés ?

Connecter la planète à ma (notre) religion est un objectif inaccessible. Cependant, aucune personne juste et éclairée ne pourra, normalement, me reprocher de vouloir, avec ferveur et passion, PARTAGER ou OFFRIR à autrui ce qui représente pour moi la chose la plus PRECIEUSE et la plus JUSTE pour guider l’humain et l’aider à retrouver le sens de son existence ici-bas et dans l’au-delà : l’Islam. Il faut méconnaitre cette Religion et ses textes fondateurs pour parler de cette utopie qui serait de  connecter l’humanité. Oui, c’est une utopie !

« Si Dieu avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Concurrencez-vous donc dans les bonnes œuvres. C’est vers Dieu que tous vous vous retournerez, alors il vous informera de ce en quoi vous avez divergé ». Coran : Sourate 4-Verset 48.

Mais que la civilisation occidentale soit tranquille : nul ne peut imposer à quiconque d’embrasser l’islam. Le texte axial de ce principe est un jugement coranique immuable et définitif : « Nulle contrainte en religion. Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. » Sourate 2 Verset 256. Voilà comment, en Islam, le libre arbitre est intronisé à perpétuité, conscient de sa décision et responsable de ses conséquences.

Il n’en demeure pas moins que nous ne bradons pas le droit, et le devoir, de pouvoir exposer librement le message « unicitaire »  véhiculé par cette dernière et ultime religion céleste ; d’en discuter et d’en débattre de façon respectueuse avec amis et détracteurs.

Malheureusement le système, dit « démocratique » et laïque,  pour nous brider, va à l’encontre de ses propres principes  en nous taxant de prosélytisme. Et pour nous éliminer, nous ostraciser, il légifère. Le « système » veut cantonner notre conviction et notre croyance à l’intérieur de nous-mêmes, derrière les côtes de nos poitrines et jusqu’à l’étouffement. C’est le grand refoulement.

Au sujet de l’Islam, le moindre mot peut nous valoir d’être enterrés vivant dans les cellules de la République. Une captivité « sécuritaire », et pourquoi pas « préventive » qui est inhumaine, douloureuse, incompréhensible. Tout en étant inefficace et contre-productive. Un traitement qui ne peut qu’engendrer la naissance des futurs « Monstres » qui, délivrés du joug, ravageront tout sur leur passage. Ce virus inoculé en prison affecte tous ceux qui ont ainsi été injustement privés de libertés, mais aussi ceux qui, un seul jour, en ont été les témoins. Croyez-moi, l’actualité le confirme.

Car la vraie fabrique de « Monstres », ceux de la terreur passée ou future, se trouve dans les traitements de l’humain par le Système et non dans une « radicalisation » qui serait la conséquence de  prétendues prédications carcérales sauvages. Les injustices subtiles et les maltraitances étouffées et cachées sont la cause de l’hémorragie… Dire le contraire c’est nier la réalité.

Mais il est vrai que la lutte par le verbe, et par la force si nécessaire, constitue le sixième pilier de l’Islam : le Jihad. Ce dogme, tant décrié, reste néanmoins minutieusement règlementé, et dans les moindres détails, par la jurisprudence islamique. Mais il faut reconnaitre que, souvent, le bâillon que nous réservent les différents pouvoir politique et militaire de la planète, la gabegie étatique, économique et sociale dans nos pays d’origine supposés « islamiques » (enfin musulmans), conjuguée à l’oppression affichée et quotidienne de nos frères et sœurs   -sans que quiconque s’en offusque- nous poussent dans la violence.  Mais parfois, hélas, nous glissons nous-mêmes  avec empressement dans les pièges qui nous sont tendus faute d’une profonde réflexion préalable.

Sinon que faire lorsque l’on se « soumet »  corps et âme aux urnes, et au processus dit « démocratique »,  pour extirper nos sociétés musulmanes  -dans nos pays d’origines – de leurs multiples souffrances  et avilissement ? Nous gagnons haut la main  -comme ce fut le cas en 1991 en Algérie et en Egypte récemment- et que le bras violent des armées vient nous voler la victoire, appuyé et exonéré par le système Occidental, le  monde « libre » et la démocratie ? Alors que faire ? Choisir entre l’avilissement et le combat, la potence ou la « kalach », la prison ou la liberté ? Fût-elle au prix de côtoyer quotidiennement la mort.

Nous avons un patrimoine islamique spirituel, humain, matériel et culturel à reprendre en main, à appliquer tel que défini, à faire fructifier puis à exposer au reste de l’Humanité. Est-ce un crime ? A savoir, l’Islam n’est pas une ethnie ni une race comme pourrait l’être, par certains aspects, le judaïsme. L’Islam est une religion d’adhésion, de conviction et de soumissions à ses préceptes. C’est un mode de vie distingué qui gère et oriente les grandes politiques de la vie comme il gère et oriente le culte et le spirituel. Ceci est important.

A VENIR, la suite de notre entretien qui portera sur le parcours de Djamel Beghal, de Londres à Kaboul puis aux Emirats, où il est emprisoné et torturé.

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Publié par Jacques Marie Bourget

Grand reporter et écrivain: Il commence sa carrière chez Gallimard à la NRF puis enchaine l’ORTF, L’Aurore, Le Canard Enchainé, L’Express, VSD, le Sunday Times, Paris-Match et Bakchich.
En 1986 a obtenu le Prix Scoop pour avoir révélé l’affaire Greenpeace.

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