Sommet UA : les chefs d’Etats impuissants face à la tragédie des migrants
13 juin 2015
Sommet UA : les chefs d’Etats impuissants face à la tragédie des migrants
Casse-tête de l’Europe, la tragédie des migrants africains noyés en Méditerranée n’a suscité jusqu’à présent qu’un hommage apitoyé de l’Union africaine, mais sauf surprise, les chefs d’Etat réunis à partir de dimanche en Afrique du Sud seront bien en peine de proposer des solutions.
Épineuse dans un continent parti pour dépasser les deux milliards d’habitants d’ici 2050 et miné par la mal-gouvernance, la question sera abordée à huis-clos dimanche, premier jour du sommet, avant une réunion prévue avec l’Union européenne, mais pas avant septembre.
« Je me demande cependant ce que les leaders africains peuvent se dire là-dessus car les solutions sont principalement internes, il s’agit d’améliorer la gouvernance, de promouvoir une croissance qui profite à tous (…) Jusqu’à quel point ils peuvent se dire des vérités qui dérangent et proposer des solutions aux problèmes des migrations, je n’en sais rien », souligne Tjiurimo Hengari de l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA).
Il y a un mois et demi, juste après la vague de violences xénophobes qui a fait 8 morts à Soweto en janvier et au moins 7 morts à Durban en avril, parmi les immigrés africains, le président sud-africain Jacob Zuma avait interpellé ses pairs.
« Ces problèmes doivent être discutés à l’UA, parce que si nous avons peut-être un problème de xénophobie, nos pays frères y ont contribué.Pourquoi leurs citoyens ne sont-ils pas dans leurs pays ? », avait-il lancé.
L’Afrique du Sud, à l’économie développée, est un des principaux pays d’accueil des migrants sur le continent.Mais les violences xénophobes à répétition et la réaction des autorités ont écorné son image.
Délicat par exemple pour M. Zuma d’aller donner des leçons de droits de l’Homme à son homologue congolais Denis Sassou Nguesso et de lui reprocher la traque des clandestins issus de République démocratique du Congo (RDC), alors qu’il vient de mobiliser l’armée pour une opération similaire en Afrique du Sud (1.600 sans-papiers arrêtés en mai).
Difficile aussi de demander qu’on aide davantage les réfugiés somaliens quand l’Afrique du Sud se montre « plus restrictive et en renvoie beaucoup chez eux », selon l’avocat spécialisé David Cote, membre de Lawyers for Human Rights (LHR).
– ’Pas les bienvenus’ –
Signataire des textes les plus progressistes en matière de protection des réfugiés, l’Afrique du Sud s’est efforcée à la fin de l’apartheid de devenir une terre d’accueil exemplaire, après que nombre de ses dirigeants aient eux-mêmes vécu en exil durant le régime raciste.
Mais très vite, « dès les premières circulaires ministérielles de 2000 », souligne M. Cote, le temps des restrictions est arrivé.Et avec lui, celui des récépissés sans valeur légale, des bagarres dans les files d’attente devant les guichets du Home Affairs (ministère de l’Intérieur), et des papiers obtenus au gré d’agents hostiles et parfois corrompus.
« La tragédie, après ce qui s’est passé en janvier et en avril en Afrique du Sud, c’est le signal envoyé aux migrants : où qu’ils aillent, au nord, au sud, peu importe, ils ne sont pas bienvenus », commente Jens Pedersen, consultant humanitaire de Médecins sans Frontières (MSF).
Marc Gbaffou, président du Forum de la Diaspora africaine (ADF), enfonce le clou : « Nous, on dit que la xénophobie est institutionnalisée en Afrique du Sud (…) il y a des migrants tués tout le temps ».
Dès le 12 avril, il a écrit à l’Union africaine pour demander d’ajouter « la protection des migrants dans les pays d’accueil » à son ordre du jour, ainsi que « la liberté d’installation et de monter une entreprise dans le pays africain de son choix ».
Ivoirien d’origine, M. Gbaffou fait partie des leaders reçus en avril par M. Zuma : « On a discuté franchement, pendant six heures.Il a pris son temps (…) Quelques semaines après, l’impression que nous avons, c’est qu’ils sont en train de rétrograder l’importance de ce sujet ».
Et « le 1er mai, ils ont déclenché l’ opération Fiela , ça veut dire nettoyer , et là on n’a rien compris ».L’opération (plus de 4.000 arrestations dont 1.600 sans-papiers) visait des lieux où habitaient des migrants. »C’est comme si le gouvernement donnait raison aux gens qui attaquaient les migrants dans les townships », dit-il.