Des esclaves thaïlandais derrière les crevettes vendues en supermarchés.
15 juin 2015
Des esclaves thaïlandais derrière les crevettes vendues en supermarchés.
Des esclaves thaïlandais derrière les crevettes vendues en supermarchés.
Les crevettes de Thaïlande vendues en supermarché cachent un lourd trafic d’êtres humains. afp./Joel Saget
En Thaïlande, des hommes sont enchaînés, battus ou tués sur des bâteaux de pêche, révèle The Guardian, afin de fournir en crevettes les groupes de supermarchés Walmart, Tesco, Costco et Carrefour.
Un arrière-goût amer pour la crevette. Le quotidien britannique The Guardian révèle ce mercredi les résultats d’une enquête de six mois en Thaïlande, dans le milieu de la pêche industrielle à la crevette. Et le constat est effarant: des hommes sont vendus, enchaînés, battus voire tués sur les bateaux qui pêchent de quoi nourrir les crevettes des fermes marines spécialisées.
Selon The Guardian, la plus importante ferme de crevettes au monde, Charoen Pokphand CP Foods, se fournit en nourriture auprès de ces bateaux esclavagistes, qu’elle garde pour ses crevettes ou revend à d’autres fermes.
Les crevettes sont ensuite revendues dans les supermarchés du monde entier. Parmi les chaînes nommées se trouvent Walmart, Tesco, Costco et Carrefour.
Côté supermarchés, les réactions sont unanimes: ils sont contre l’esclavage et des enquêtes sont en cours. Carrefour rappelle au Guardian que des audits étaient effectués auprès de ses fournisseurs. Bien que les enquêtes aient été renforcées depuis 2012, le groupe admet ne pas avoir enquêté au-delà de CP Foods.
« Ils nous ont vendus comme des animaux »
Des esclaves qui ont réussi à s’échapper racontent aux journalistes leur quotidien à bord: 20 heures de travail d’affilée, des passages à tabac, de la torture et des exécutions par les capitaines. Quinze Birmans et Cambodgiens expliquent comment ils ont été capturés, puis vendus pour 300 euros minimum. « J’ai cru que j’allais mourir, se rappelle Vuthy, ancien moine cambodgien, vendu de capitaine en capitaine. J’étais enchaîné en permanence, sans soin ni nourriture. Ils nous ont vendus comme des animaux. Mais nous ne sommes pas des animaux, nous sommes des êtres humains! »
La plupart des malheureux sont des migrants, venus de Birmanie ou du Cambodge pour travailler sur les sites de construction et embarqués de force sur des navires. Certains sont drogués. Un esclave se rappelle avoir vu 20 personnes être tuées devant lui. L’une d’elles a été « écartelée » puis « dispersée » dans la mer. « Nous étions frappés même si nous travaillions dur, ajoute un autre rescapé. Il y avait tellement d’esclaves qu’il était impossible de les compter. »
Le quotidien britannique rappelle que CP Foods affiche un bénéfice annuel de 24,8 milliards d’euros et se surnomme « la cuisine du monde ». CP Foods admet être au courant de l’esclavagisme en cours en Thaïlande. « Nous n’allons pas défendre cela, affirme au Guardian Bob Miller, directeur à CP Foods au Royaume-Uni. Nous savons qu’il y a des problèmes avec ce qui est livré au port. Or nous n’avons aucune visibilité sur l’ampleur du problème. »
« Si vous achetez des crevettes de Thaïlande, vous achetez le produit de l’esclavage »
Certes, l’esclavage sur ces navires en Thaïlande a déjà été pointé du doigt par des associations, des ONG et même l’ONU. Cependant c’est la première fois que le lien est fait entre les esclaves et l’achat par le consommateur. « Si vous achetez des crevettes de Thaïlande, vous achetez le produit de l’esclavage », lance Aidan McQuade, d’Anti-Slavery, une ONG.
Si l’esclavage y est interdit, la Thaïlande est considérée comme un plaque tournante de trafic d’êtres humains. Il y aurait 500 000 esclaves dans le pays. L’industrie de la pêche emploie 300 000 personnes, dont 90% de migrants. « La Thaïlande se bat contre l’esclavage, affirme l’ambassadeur du pays aux Etats-Unis, Vijavat Isarabhakdi. Des progrès ont été constatés, même s’il y en a encore beaucoup à faire. » Les Etats-Unis envisagent maintenant de placer la Thaïlande sur la liste noire du trafic d’êtres humains. Et donc de mettre en place des sanctions économiques.