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27 décembre 2024

Algérie : SEPT TRAVAILLEURS DE l’ENOR EN SONT DÉCÉDÉS


Algérie/ Empoisonnement au cyanure à Tamanrasset

SEPT TRAVAILLEURS DE l’ENOR EN SONT DÉCÉDÉS

Liberté, 17 juin 2015

“Nous sommes restés pantois lorsqu’on a pris connaissance des résultats des analyses de sang d’Abdeslam, lesquels ont révélé une quantité de plomb, tenez-vous bien, 400 fois supérieure à la normale. C’était peu avant son décès”, a confirmé notre source.

Pas soucieux du risque ni du danger auxquels il s’était exposé, Mohamed R. ne savait pas que le travail qu’il faisait allait le conduire droit vers sa dernière demeure. Les quelques années passées à l’entreprise d’exploitation des mines d’or (Enor) de Tamanrasset en qualité d’agent d’exécution ont suffi pour que le cyanure — produit toxique et réactif utilisé dans le process de production aurifère — ait raison de lui.
Mohamed, la quarantaine bien entamée, est décédé en mai dernier, laissant derrière lui six enfants et une épouse ruinée qui l’ont pleuré sans savoir les véritables raisons de cette tragique disparition. “Il a eu un malaise soudain, le corps suintant de sueur froide. Il ne pouvait plus respirer”, raconte tristement un collègue proche de Mohamed. Et d’ajouter qu’en l’absence de moyens de prise en charge médicale dans leur base-vie, se trouvant à 500 km du chef-lieu de wilaya, “on était contraint de l’évacuer sous le sceau de l’urgence à l’hôpital de Tamanrasset”. Plongé dans un coma convulsif, il a ensuite été transféré vers l’hôpital de Ghardaïa (1 400 km au nord de Tamanrasset) où il a rendu l’âme, renchérit notre interlocuteur qui n’a pas manqué de sonner l’alerte face à ce problème qui serait à l’origine de plusieurs décès parmi les travailleurs de l’Enor.
Il nous est difficile d’avoir le chiffre officiel de victimes auprès des responsables de la direction générale d’Enor que nous avions vainement essayé de joindre à maintes reprises. Personne n’était disposé à répondre à nos appels. Il en est de même pour l’ex-médecin de l’entreprise, K. M., qui refuse toute déclaration à la presse.
Toutefois, pour M. M., membre du syndicat des employés, le chiffre donne déjà le tournis.
Le nombre de victimes s’élève à sept personnes, dont la plupart seraient exposées directement à l’acide cyanhydrique sans protection aucune. “On travaillait sans équipement et sans aucune norme de sécurité, édictée par la réglementation en vigueur”, s’indigne-t-il, précisant, au passage, que les travailleurs subissent périodiquement des tests médicaux, mais les résultats ne leur ont jamais été notifiés, de peur de se révolter contre les procédés de production appliqués.
Pour ne citer que cet exemple, B. Abdeslam, originaire de la wilaya de Mila, qui aurait souffert d’une oppression thoracique avant de quitter le monde des mortels, l’a appris à ses dépens. La réalité que les médecins de l’entreprise ont toujours cachée — des problèmes inhérents à l’inhalation excessive du cyanure — a été malheureusement confirmée. “Mais c’était trop tard”, se lamente notre source. “Nous sommes restés pantois lorsqu’on a pris connaissance des résultats des analyses de sang de Abdeslam, lesquels ont révélé une quantité de plomb, tenez-vous bien, 400 fois supérieure à la normale. C’était peu avant son décès”, a-t-elle corroboré. Du point de vue technique, Adila Kaoues, ex-directeur régional de l’Enor, par qui le scandale de l’arnaque monumentale fomentée par l’ex-actionnaire majoritaire de l’entreprise, GMA ressources, avait éclaté, a tenu à expliquer que l’utilisation du cyanure, “importé de surcroît avec de faux documents, a eu de graves répercussions sur l’environnement”. Dans un rapport adressé, le 23 juin 2011, aux autorités compétentes, dont nous détenons une copie, il a fait état de création de plus de 78 tonnes de déchets miniers pour chaque once d’or produite lors du processus du DMA (drainage minier acide), d’où se dégagent des toxines polluantes rendant impossible toute forme de vie dans les sites affectés et les zones environnantes.
78 tonnes de déchets miniers par once d’or

Plus explicite, M. Kaoues précise qu’une fuite de DMA s’infiltrera rapidement dans le sous-sol et contaminera par conséquent la nappe phréatique. C’est ce qui est plus grave à l’idée de savoir que 90% de la production d’or est actuellement soutirée des zones aurifères contenant au fond de leur entrailles d’importantes réserves d’eau dans cette partie aride de l’extrême Sud algérien.
Le malheur dans toute cette situation est que, malgré l’interdiction de ces produits, on continue à utiliser la technique consistant à déverser des tonnes de cyanure sur des amas de minerai pour séparer l’or.
Ce que les experts appellent la lixiviation au cyanure où on fait également usage d’une dizaine d’autres produits aussi dangereux les uns que les autres, sans même penser à “l’épuration de l’eau polluée ni au recyclage des produits utilisés”, regrette M. Kaoues.
Il convient de signaler que les risques de ceux-ci ont poussé nombre de pays à travers le monde à en interdire l’usage, notamment dans les mines à ciel ouvert. “Rappelons qu’en réaction à l’accident qu’a connu la Roumanie en 2000 suite à une fuite de cyanure contenu dans 130 000 mètres cubes d’eau qui s’écoulaient sur une distance de 150 kilomètres dans le bassin fluvial Tisza-Danube, des décisions portant interdiction définitive de ce produits toxique ont été prises”, souligne M. Kaoues. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour l’Algérie où la menace pèse encore sur l’écosystème et les habitants des zones aurifères. “C’est un carnage”, peste Abdallah, un nomade qui a essuyé une perte de plusieurs camelins et caprins qui se sont abreuvés dans des étangs pollués par les rejets du DMA à Amesmassa. “Les conséquences sont désastreuses sur les plans écologique et agricole”, maugrée le président de l’Assemblée populaire de wilaya (P/APW), Dahmane Hamza, qui dit avoir saisi les autorités compétentes pour dépêcher une commission d’enquête devant faire la lumière sur la pollution causée par l’exploitation des mines d’or dans cette région et sur les problèmes relatifs à l’utilisation irrationnelle des produits chimiques. “Il n’y a pas que les employés de cette entreprise qui sont exposés aux risques de ces produits mais aussi le cheptel ; des éleveurs enregistrent des pertes considérables chaque semaine. Il est temps d’engager une commission d’enquête dans cette région qui fait face à un sérieux problème écologique”, a-t-il demandé. Las d’attendre la réaction du gouvernement, les employés d’Enor ont décidé d’entreprendre une action de protestation pour faire valoir leurs droits.
En grève depuis plus de 90 jours, ils sont plus que déterminés à faire aboutir leur plateforme de revendications socioprofessionnelles à même de révéler les secrets que l’administration de l’entreprise tenterait d’enterrer avec les employés décédés.

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