Le Niger vient de faire deux découvertes macabres dans son désert. Vendredi, une patrouille militaire a trouvé par hasard un premier convoi, près d’Arlit. Les corps de 18 migrants s’y trouvaient, probablement morts au cours de la semaine précédente, après l’accident du camion qui les transportait, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Même scénario lundi, près de Dirkou, au nord-est du Niger. Cette fois, ce sont les restes de 30 migrants qui ont été retrouvés. Leur état de décomposition indique qu’ils sont morts depuis plusieurs mois.
Qui sont ces migrants ?
Selon les papiers d’identité retrouvés sur les corps du premier convoi, les migrants venaient du Mali, de Côte d’Ivoire, du Liberia, de Centrafrique, du Burkina Faso et du Sénégal. «Seule une personne n’a, pour l’instant, pas été identifiée», précise Paloma Casaseca, de l’OIM au Niger. Ils étaient en route vers l’Algérie. Les morts de l’autre convoi n’ont pas encore pu être identifiés par les autorités du Niger. Selon la presse locale, ils viendraient essentiellement du Burkina Faso et du Sénégal. Ceux-là se rendaient vraisemblablement en Libye.
L’OIM a tenté de reconstituer le sort des 18 migrants du premier convoi. «A priori, ils ont eu un accident de camion, avance Paloma Casaseca. Le véhicule a fait une sortie de route, s’est ensablé. Les migrants, perdus en plein désert, à 100 kilomètres à pied de la première ville et sans moyens de communication, n’ont pu appeler à l’aide. Ils sont probablement morts de déshydratation.» L’OIM et les autorités du Niger ne disposent pas pour l’instant d’assez d’informations pour l’autre convoi.
Pourquoi passent-ils par le Niger ?
Deux axes principaux sont assez clairement identifiés : l’un qui va de Niamey à Agadez, puis à Arlit, pour aller vers l’Algérie. L’autre, de Niamey à Agadez, puis au nord-est, vers la Libye. Ces routes ne sont pas nouvelles, mais ces morts récentes conduisent les organisations internationales à attirer l’attention sur le danger de cette traversée en terre ferme.
Et le flux semble avoir augmenté ces derniers mois. «Le Niger, du fait de sa position géostratégique, la porosité de ses frontières et la difficulté de contrôler l’ensemble de ce vaste territoire, a toujours été un pays d’origine, de transit et de destination des migrants, constate Paloma Casaseca. Mais ces dernières années, l’instabilité des pays environnants (Mali, Algérie, Nigeria) a condamné certaines routes migratoires et augmenté le flux au Niger. Actuellement, un grand nombre de migrants, qui viennent du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso ou de Gambie, et qui arrivent aux côtes italiennes, sont d’abord passés par le Niger.» Pris entre le marteau algérien et l’enclume Boko Haram, les migrants d’Afrique de l’Ouest et centrale n’ont d’autres choix que de traverser le Sahara nigérien. Avant de braver la Méditerranée.
Carte élaborée par l’Organisation Internationale pour les migrations (OIM). Crédit: missingmigrants.iom.int
Les autorités nigériennes estiment qu’en 2015, entre 80 000 et 120 000 migrants venus d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale vont traverser illégalement le Niger en direction de la Libye, voire de l’Europe. Ils étaient 80 000 en 2014. Entre janvier et mai 2015, l’OIM au Niger a secouru plus de 5 100 migrants.
Combien de migrants meurent chaque année dans le Sahara ?
«Cette tragédie met en lumière un danger redouté mais méconnu, auxquels doivent faire face de trop nombreux migrants avant même de risquer leur vie en mer, a souligné dimanche le directeur général de l’OIM, William Lacy Swing. Le Sahara pourrait bien être aussi meurtrier que la mer Méditerranée pour cette vague de migrations. Mais la plupart de ces morts ne sont pas signalés.»
Selon l’OIM, seule une petite fraction de ceux qui y meurent chaque année est comptabilisée, parce que la collecte de données fiables et les recherches dans la zone sont quasi-impossibles. «Seulement» 50 victimes ont été recensées dans la région, en 2014, selon l’OIM. Un nombre largement sous-évalué, estime l’organisation. Selon le blog Fortress Europe, qui recense les morts avérées de migrants sur ce chemin pour l’Europe, au moins 1 790 sont morts dans le Sahara entre 1996 et 2014.
Soit un peu moins que les 1 865 morts en Méditerranée recensés depuis janvier 2015. «Le nombre de victimes dans le Sahara est probablement comparable, argue Paloma Casaseca. Mais nous n’avons pas les mêmes moyens de surveillance, techniques et politiques, qu’en Méditerranée pour avoir un décompte fiable.» Selon les témoignages de migrants qui ont traversé ce désert, le bilan pourrait être beaucoup plus lourd.
Des migrants, au départ d’Agadez, se tiennent à des bâtons accrochés au pick-up pour éviter de tomber, le 1er juin 2015. (Photo AFP. Issouf Sanogo)
Comment se positionne le Niger face au fléau ?
La législation sur les migrations reste lacunaire au Niger. Pour l’OIM, il faudrait mettre en place un comptage systématisé et précis dans le désert, une meilleure coopération régionale, des expéditions de sauvetage régulières, tout en assurant la protection des migrants…
Le gouvernement nigérien a tout de même conscience de l’urgence à traiter les flux de migrants, souvent tombés entre les mains de passeurs et de trafiquants. En 2010, le pays a voté une loi contre la traite des humains. En mai dernier, un autre texte contre le trafic de migrants, qui vise à les protéger et à promouvoir la coopération nationale et internationale, a été approuvé. «Néanmoins, tempère Paloma Casaseca, sa mise en œuvre reste un défi.»