A la frontière franco-italienne, l’incessant va-et-vient des migrants refoulés
20 juin 2015
A la frontière franco-italienne, l’incessant va-et-vient des migrants refoulés
Le Monde.fr |
« C’est le comité d’accueil qui arrive », scande fièrement un CRS en entrant sur le quai de la gare Menton-Garavan. Cette petite station située entre la ville italienne de Vintimille et Menton, coincée entre les falaises et la Méditerranée, est devenue le point d’arrêt de beaucoup d’Africains, venus d’Erythrée ou du Soudan.
Vendredi 19 juin, à Garavan, deux estafettes de CRS attendent de pied ferme le train de 7 h 7. Mêlés aux frontaliers italiens allant travailler en France, deux jeunes hommes sont rapidement escortés sur le quai par les forces de l’ordre. Pas un mot n’est échangé. Le groupe se dirige lentement vers un gradé qui demande aux deux hommes de vider leurs poches avant de noter quelques mots sur son calepin. « Ils arrivent avec les camions », dit-il. « Ils », ce sont les douaniers. Ils viennent chercher les deux hommes, maintenant installés dans un Renault Trafic blanc banalisé ; direction le « bureau des douanes françaises ».
Derrière ce vieux bâtiment de douaniers qui surplombe la Méditerranée, deux Algéco encerclés par des barrières de chantier font office de centre provisoire de rétention. Le balai continu d’estafettes blanches y amène des migrants par 4 ou 5, hommes et femmes, tous plutôt jeunes. Certains sont maintenant assis sur les gravillons éparpillés devant leurs logements de fortune. Et ils attendent. Il n’y aura bientôt plus de place. Un policier les surveille depuis un fourgon, porte ouverte. « Ils vont être amenés au centre de coopération franco-italien [situé à quelques centaines de mètres], et les Italiens viendront les récupérer, explique-t-il. « Il y en a beaucoup en ce moment, mais c’est normal, vu le dispositif ». Qui consiste en un triste retour à l’envoyeur.
A Vintimille, le va-et-vient des migrants
A quelques kilomètres de là, devant la gare de Vintimille, côté italien, plusieurs centaines de migrants attendent, eux aussi, impassibles, près des carabiniers italiens ou à l’ombre sous le car port de la gare. La Croix-Rouge italienne et des bénévoles de l’Unicef passent de groupe en groupe.
Hassan est arrivé il y a deux mois. Ce Soudanais de 32 ans a quitté son pays il y a deux ans, y laissant sa femme. « Il n’y a pas de liberté là-bas (…). Je ferai tout ce que je peux pour passer en France. Je vais patienter. » Au Darfour, il a vu son père se faire tuer, dit-il. En passant par la Libye, il a été le témoin de bagarres, de kidnappings, de la mort de certains de ses compagnons de voyage.
Dans le hall de la gare presque vide, un groupe d’hommes tente d’acheter des billets de train dans une borne automatique, sans succès. Sur la gauche, une trentaine de personnes sont installées sur le sol d’un large couloir. En face de celui-ci, près d’un photomaton, d’autres migrants partagent un plus petit couloir avec des SDF.
A 20 h 30, le hall de la gare s’anime. Un train va partir à 20 h 52 vers la France. Au même moment, un train arrive de Rome. Ils sont plusieurs migrants à en sortir. « Il y a tous les jours entre 50 et 100 nouveaux migrants », affirme un cheminot italien qui souhaite garder l’anonymat. Dans le train provenant de Milan qui va arriver plus tard dans la soirée, « on sait qu’il y a entre 25 et 30 migrants », dit-il. « C’est tous les jours comme ça. Ils vont essayer de passer la frontière, mais la police française va les arrêter à Menton et les ramener ici en bus, ou simplement à la frontière, et c’est la police italienne qui les ramènera ici. »
« Un jour, ils vont rouvrir la frontière »
Le soleil se couche. C’est l’heure de rompre le jeune du ramadan. Une prière s’organise sur la route à l’endroit où certains jouaient au foot. Un autre homme s’est isolé et prie agenouillé sur un bout de carton. D’autres se sont déjà réunis pour manger.
Saïd a rencontré Hassan en Libye. Il vient du Darfour lui aussi. Mais, contrairement à Hassan, la France n’est pour lui qu’une étape vers l’Angleterre. Il a déjà essayé de passer la frontière. « Je vais repasser en train. Un jour, ils vont rouvrir la frontière et je pourrai aller jusqu’à Nice, puis Paris. De là, je partirai vers l’Angleterre. » Plus tard dans la soirée, les plus déterminés tentent leur chance dans le train de 21 h 50 ou celui de 22 h 40. Hassan et Saïd n’en sont pas.
Depuis lundi, la frontière entre l’Italie et la France sur la route côtière a changé d’aspect. Après le grand portique qui sert de poste frontière, se massent des estafettes de la gendarmerie française, de la douane, des carabiniers italiens, puis les véhicules de la Croix-Rouge et d’autres organisations d’aide aux réfugiés.
Et entre le muret bordant le littoral et la route, des barrières de chantier. Côté français, la plage est pleine de ses habituels baigneurs et vacanciers. Côté Italien, les parasols sont remplacés par des bâches tendues entre le muret et les rochers sur lesquels se sont réfugiés les migrants, une centaine d’hommes, femmes et enfants.
Mustafa est très à l’aise. Il explique qu’ils sont là depuis une semaine, pour « attirer l’attention des gouvernements sur le sort de ceux qui sont à la gare » de Ventimille. Ce Soudanais de 21 ans parle anglais et sert d’interprète à ses camarades. Il veut aller étudier l’anglais à Newquay mais ne sait pas encore quand il tentera à nouveau sa chance. « La gare de Nice est remplie de policiers… Je vais peut-être attendre 7 jours, ou 5 ou 3 », dit-il en souriant. Lui aussi explique son voyage par la violence qu’il a vue au Darfour.
« La France, c’est la seule route »
En contrebas, une maman plie du linge sur un rocher. Ses enfants âgés d’une dizaine d’années se préparent à dormir. Le plus jeune se brosse les dents. Son frère sort un matelas de dessous une bâche pour l’installer à un endroit plus plat.
Moubara est seul, adossé à un poteau. Après quelques minutes de méfiance, il déploie son large sourire. « Le Soudan, c’est très dangereux. Si je rentre, j’aurais de très gros problèmes, affirme-t-il sans vouloir en dire plus. Il a essayé de passer la frontière à plusieurs reprises, à pied, en bus et en train. A chaque fois, la police l’a arrêté. Il va continuer, tous les jours, parce que « la France, c’est la seule route » pour lui.
Une militante de la coordination Presidio Permanente No Border Ventimilia s’indigne : « Le gouvernement doit les aider et arrêter de les brutaliser. Lundi, raconte Valeria Colombera, la police les a délogés d’un endroit ombragé près d’une fontaine, où ils avaient trouvé refuge, puis a installé les barrières. »
« Les flics n’ont pas chargé trop violemment », dit, quant à lui, Philippe de Botton. « Mais même s’ils ont à manger et à boire grâce aux associations et à la population mentonaise, explique ce membre de Médecins du monde, « ils sont fatigués et souffrent pour certains de dermatoses ou de déshydratation ».
De l’autre côté de la route, Youssef Alaoui sirote un verre sur la terrasse du bar-tabac. Ce Mentonais de 32 ans passe tous les jours devant le campement. « Les premiers jours étaient chauds mais depuis ça, c’est beaucoup calmé. » Youssef ne comprend pas pourquoi ils sont là. « Certains passent en France, d’autres non. Je ne sais pas pourquoi. J’en ai vu 2 ou 3 passer à pied pendant la nuit sans problème. » Youssef espère que l’Union européenne va trouver une solution pour eux. « Ça fait mal au cœur de voir des êtres humains comme ça. »
Par Phili