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27 décembre 2024

Entretien avec Ken O’Keefe, militant pour la Vérité, la Justice et la Paix


Entretien avec Ken O’Keefe, militant pour la Vérité, la Justice et la Paix

ken-o-keefe-600Aujourd’hui-même, quatre bateaux formant la Flottille de la Liberté III viennent de quitter leurs ultimes points de départ en Europe. Par des moyens de résistance non-violente, ils vont défier le blocus illégal de la Bande palestinienne de Gaza, en passant des eaux internationales directement vers les eaux nationales palestiniennes. C’est l’occasion pour le Cercle des Volontaires de publier ce long entretien avec Ken O’Keefe, qui était présent sur la Flotille de la Liberté II. Avec lui, nous revenons sur son parcours de militant et, bien sûr, sur l’arraisonnement mortel de cette flottille par l’armée israélienne, dans les eaux internationales.

Ken O’Keefe a grandi en Californie, dans les alentours de San Diego, avant de rejoindre le corps des Marines. Il participera d’ailleurs à la Guerre du Golfe, au Koweït et en Irak, et c’est cela qui réveillera en lui son côté militant, puisqu’il raconte son expérience, désabusé, évoquant les termes de « massacre » plus que de guerre, et admettant qu’il aurait pu faire partie de ces soldats qui se suicident au retour, si il avait eu à tuer quelqu’un lors de ses missions, « surtout un enfant ou une femme ». C’est durant son séjour à l’armée qu’il va connaître « le premier goût d’injustice » de sa vie, puisqu’il décide alors de dénoncer des abus de pouvoir commis par ses supérieurs, et se heurtant à un mur, il finit par être démobilisé. Il commence à réaliser qu’on lui a menti sur les Marines, leur objectif ainsi que leur nature, et commence à s’interroger sur les autres sujets sur lesquels on aurait pu le duper.

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Ses deux ouvrages de référence sont le livre d’Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, dont nous étions allés voir l’adaptation cinématographique en Avril, ainsi que l’autobiographie de Malcolm X, qui avait été publiée en 1965, l’année de sa mort. Il a aussi étudié l’histoire du génocide amérindien perpétré par les colons britanniques. « Presque tout ce qu’on m’avait dit était un mensonge », voilà ce que réalise l’activiste tandis qu’il vieillit et qu’il observe le monde autour de lui. Il raconte avoir failli rejoindre des mouvements de suprématie blanche, à cause de mauvaises expériences dans son quartier durant sa jeunesse. Il déclare comprendre comment des gens peuvent rejoindre ce type de mouvements, tout en les désapprouvant totalement. De plus, il dénonce la ségrégation sociale systématique, orchestrée par le gouvernement États-unien sur les minorités ethniques. « J’ai réalisé à quel point j’aurai été énervé si j’étais né noir et que j’avais du subir ce genre de racisme », conclue-t-il.

C’est en Mars 2001, bien avant les attentats du 11 Septembre et l’invasion en Irak qui en découla, que Ken O’Keefe décide d’essayer de renoncer à sa citoyenneté, ne désirant plus avoir son nom lié de près ou de loin aux exactions déjà commises, ou sur le point de l’être par le gouvernement des États-Unis. « J’avais besoin pour mon bien-être d’avoir mon nom retiré de la liste des citoyens » nous dit-il, puisque pour lui il est évident qu’un citoyen est une entité politique, qui accepte un contrat social impliquant à la fois des droits et des devoirs, et qu’il désapprouve inconditionnellement les tâches auxquelles doivent se soumettre les citoyens de son pays, alors il décide de se soustraire au fonctionnement de la société États-unienne en renonçant à sa citoyenneté. Toutefois, après deux tentatives, dont une où il ira jusqu’à mettre le feu à son passeport, il lui sera adressé une lettre mentionnant le fait que, n’ayant obtenu le droit de résider nulle part ailleurs, il est toujours un citoyen des États-Unis.

Après le 11 Septembre, il décide de retourner vivre à Hawaï, où il raconte avoir vécu « au paradis », « directement sur la plage ». Il nous explique que, déjà à l’époque, il y avait des mandats d’arrêt contre lui pour un documentaire qu’il avait produit sur le « génocide légal » commis par les États-Unis sur le peuple hawaïen. Il nous renseigne, au cours de l’interview, sur comment, au travers des quotas, le gouvernement US démontre la volonté de faire disparaître, par l’usage de la loi, la nationalité hawaïenne et le peuple qui y est lié.

En Décembre 2002 il lance une action qu’il nommera « Human shields to Irak », « Les boucliers humains pour l’Irak », qui consiste à positionner des citoyens occidentaux aux endroits qui auraient été normalement bombardés par les assaillants. Il nous explique avoir repris un modèle déjà utilisé dans les années 80, dans des pays d’Amérique Latine tels que le Nicaragua, ou le Salvador, où des citoyens États-uniens venaient s’interposer pour empêcher les massacres menés par les escadrons de la mort. A la suite du lancement de son appel dans les médias alternatifs, il reçoit très rapidement des demandes d’interview de la part de la BBC, ou d’autres journaux et émissions s’adressant à un très large public. Bien que de nombreux soutiens s’ajoutent à son initiative, son mouvement va être diffamé, lui qualifié de partisan de Saddam Hussein, son objectif étant de le protéger et de ralentir la libération amenée par l’armée États-unienne. Ken O’Keefe soutient même l’idée que son groupe ait été infiltré, afin de le diviser de l’intérieur et de le décrédibiliser aux yeux du public, ce qui n’est pas improbable. Il finira par être expulsé de l’Irak par la police secrète irakienne.

En Juin 2010, il sera à bord du MV Mavi Marmara, baptisé « flottille de la liberté » par ses occupants, et tentera de briser le blocus conduit par l’armée de Tsahal, avec l’aide d’autres militants pour la paix à Gaza. Il choisit de participer à la défense du navire sur lequel il se trouve, et nous raconte le raid mené par les forces israéliennes pour tenter d’aborder le bateau. Au cours de l’intervention, il déclare avoir désarmé deux soldats israéliens, et tenté de cacher l’arme d’un des deux comme preuve, une personne ayant déjà été tuée parmi ses camarades, il lui fallait un moyen de pouvoir affirmer que l’armée israélienne avait commis un crime au niveau du droit international. Ils sont pourtant obligés de se rendre, et seront fait prisonniers, maltraités et frappés, Ken O’Keefe nous explique que certains parmi les captifs sont morts de leurs blessures, alors qu’ils auraient pu être pris en charge. Au total, une dizaine de personnes périront à ses côtés lors de l’assaut.

Pour l’activiste, le 11 Septembre était une période très sombre, les manipulations et les mensonges qui ont été propagés ont eu un impact très important sur la population, il évoque même la notion de « contrôle mental », mais il observe que la situation est en train de changer. Selon lui, c’est ce moment là qui est à la genèse de l’éveil des consciences que nous pouvons observer autour de nous, il fait l’état des lieux de cette époque, qu’il met en parallèle avec l’évolution des mentalités aujourd’hui. « C’était de la pure folie si vous me demandez, le fait que quelqu’un ait pu croire cette histoire, et ait pu sérieusement soutenir une guerre menée par les États-Unis contre la terreur, les mêmes États-Unis qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, qui ont tués près de 2 à 4 millions de personnes au Laos, au Cambodge et au Vietnam, qui ont largués 20 millions de bombe sur le Vietnam, le Laos et le Cambodge. »

Désormais les choses ont changés selon Ken O’Keefe, il nous explique que ce qui s’est passé dans le cas de la Syrie en 2013 est inédit, que l’échec des néo-conservateurs à ce sujet est quasi-total, n’ayant même pas réussi à amener le projet de destitution de Bachar El-Assad par l’invasion du pays au Parlement ou au Congrès des États-Unis ou du Royaume-Uni, les deux pays leaders de la Guerre contre le terrorisme. Il raconte avec enthousiasme, comment la politique du « false flag », c’est-à-dire l’attaque sous fausse bannière, aurait pour la première fois de l’Histoire échoué avec la Syrie. Après la propagande au sujet des attaques aux armes chimiques menées par le président Syrien sur sa propre population, c’est seulement 9% des citoyens résidents aux États-Unis qui auraient soutenu l’invasion de l’OTAN en Syrie. Après le chaos installé en Lybie par les dirigeants occidentaux, il semble en effet assez raisonnable de ne pas se jeter sur le premier semblant de dictateur pour justifier le massacre d’une population civile. Pour lui, la Russie joue un rôle non négligeable dans ce changement au niveau géopolitique, tout en ne fermant pas les yeux sur son rôle dans le passé. Il affirme que la Guerre Froide était un prétexte pour justifier l’augmentation des dépenses du complexe militaro-industriel des États-Unis et de l’URSS, et que chacun des dirigeants jouait alors son rôle et rien de plus, que le danger d’un affrontement était simulé, mais il argue que la Russie n’est plus l’URSS, et il ne voit pas du tout ce qui pourrait montrer que Poutine joue le jeu des États-Unis désormais.

« Quand vous vivez vraiment bien, que tout est génial, que vous avez votre grand écran plasma, que vous avez une bière dans une main et la télécommande dans l’autre, et que vous avez un job peinard, que vous pouvez aller en vacances, quand vous avez ce genre de confort, c’est magnifique de voir à quel point vous pouvez être stupide. Mais quand vous n’avez plus ce genre de confort, c’est époustouflant de voir à quel point vous devenez intelligent. » Le point majeur dans son combat, c’est le fait qu’il dénonce le contrôle privé de l’émission monétaire. Il revient sur le fait que les Pères Fondateurs des États-Unis avaient insisté longuement sur la nécessité absolue de ne pas remettre dans les mains d’un petit groupe d’individus le contrôle de l’émission de la monnaie, mais que cela devait rester dans les mains d’un gouvernement réellement représentatif de la volonté du peuple. Ken O’Keefe affirme que si l’on ôtait des mains des élites le contrôle de la monnaie, alors tout leur pouvoir disparaitrait. Il milite donc pour que l’on retire le contrôle que possède actuellement la Réserve Fédérale des États-Unis (la FED), qui n’a rien de fédéral, ni d’une réserve, et qui possède des privilèges, tels que le droit d’émettre de la monnaie indéfiniment, et de ne subir aucun audit sur les dépenses menées, qui devraient être abolis dès aujourd’hui.

Ken O’Keefe est donc confiant quant à l’avenir, il semble plutôt optimiste du fait que pour lui, la solution est simple, il suffit d’abolir le contrôle privé de l’émission monétaire pour supprimer la réserve infinie d’argent qui a permis aux États-Unis de créer un monstre tel que Daech, afin de justifier les politiques d’armement massif sur le territoire américain et d’ingérence au Moyen-Orient. L’échec de l’invasion en Syrie est pour lui très révélateur, les pouvoirs en place sont loin d’être fous, et ils craignent un soulèvement populaire. « Le fait est qu’il y avait une chose qu’ils, les pouvoirs en place, devaient avoir, dans le but de pouvoir faire quelque chose. Ils ont besoin d’avoir cela, qu’on veuille l’admettre ou non. Et c’est qu’ils ont besoin d’avoir, au moins, l’illusion du consentement. » Sa théorie sur l’action à mener est donc claire, ne pas consentir, c’est paralyser les élites et les empêcher d’agir. En les mettant dans l’incapacité de mener l’offensive, la résistance est alors plus efficace, et bien plus aisée à mettre en place.

Propos recueillis par Raphaël Berland.
Traduction réalisée par Semeen et Arby.
Sous-titrage effectué par Gérome-mary Trebor et Arby.
Article rédigé par Arby.

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