Les réfugiés abandonnés à la frontière franco-italienne : à qui la faute ?
27 juin 2015
Les réfugiés abandonnés à la frontière franco-italienne : à qui la faute ?
- Andrea Davolo
Depuis plusieurs jours, 400 réfugiés sont bloqués à Vintimille, à la frontière franco-italienne. En provenance de l’Italie, ils veulent traverser la frontière française et se rendre là où ils ont un lien familial, une promesse de travail, ou simplement une langue connue, là où ils pourraient se reconstruire une vie décente.
Certains d’entre eux, très probablement, ne voudront même pas s’arrêter en France. Ils chercheront à poursuivre leur route et tenter de traverser une dernière frontière, celle de Calais. De là, chaque jour, des dizaines de réfugiés et de demandeurs d’asile tentent d’éviter les contrôles de police, parfois même au péril de leur vie, pour rejoindre la Grande-Bretagne. Beaucoup d’entre nous ont découvert, ces derniers jours, que la forteresse Europe n’a pas une seule et unique barrière, celle de la mer Méditerranée, mais au contraire d’innombrables barrières, au moins autant que les Etats qui la forment. Mais il serait erroné de croire l’argument selon lequel ces frontières ont été fermées à l’improviste, comme l’ont affirmé Renzi et Alfano [respectivement Premier ministre et ministre de l’Intérieur de l’Italie – NDT], et comme l’ont repris un peu naïvement certaines personnalités de gauche. Par cette contre-vérité, le gouvernement italien rejette la faute du traitement honteux et inhumain subi par les réfugiés sur le manque de solidarité du gouvernement français. Ce dernier, en vérité, n’est ni pire ni meilleur que le gouvernement de Renzi en terme de politiques racistes et anti-ouvrières.
En réalité, la France n’a jamais suspendu les Accords de Schengen sur la libre circulation. Elle a continué à les respecter, comme elle l’a fait d’autre part et dans le même temps avec les Accords de Dublin. Les premiers établissent et règlementent en effet la libre circulation des citoyens européens, ainsi que celle des migrants « en règle » entre Etats de l’UE – avec toutefois certaines exclusions temporaires décidées par les gouvernements, souvent pour empêcher l’afflux de manifestants à l’occasion de grands rassemblements internationaux. Les Accords de Dublin règlementent en revanche le droit d’asile en Europe. Ces derniers ont été ratifiés dans deux versions successives, en 2003 et en 2008. Ils établissent que l’Etat compétent pour l’examen d’une demande d’asile est l’Etat dans lequel le demandeur a fait sa première entrée en Europe. Il est d’ailleurs à noter que parmi les signataires, au nom du gouvernement italien, on trouve deux ex-ministres de la Ligue du Nord [parti d’extrême droite ayant participé aux gouvernements Berlusconi dans les années 2000, NDT], aujourd’hui particulièrement remontés contre l’application de ces mêmes lois sur l’asile : Roberto Castelli, ministre de la Justice en 2003, et Roberto Maroni, ministre de l’Intérieur en 2008.
Ces dernières années, il est devenu pratiquement impossible d’entrer en Europe de manière légale. Quasiment tous les gouvernements européens, à l’exception de l’Allemagne, ont posé des limitations sévères aux entrées des migrants. En Italie, il n’existe plus de véritable décret sur les flux migratoires depuis 2010. Ces flux ont été énormément réduits, au point qu’à partir de 2008, dans les territoires de l’Union Européenne, les migrations extra-UE ont baissé à la vitesse d’environ 12 % par an. L’immigration classique pour motifs économiques (les migrants à la recherche de travail) a été littéralement réduite à néant au plan légal. Parallèlement, la crise économique qui a touché toute l’Europe, motivant les gouvernements bourgeois de l’UE – de droite ou sociaux-démocrates – à une politique migratoire plus restrictive, s’est également accompagnée de crises politiques, sociales et économiques en Afrique, Moyen-Orient et Asie. Or, la guerre conduite par l’impérialisme en Lybie et les différentes guerres civiles au Moyen-Orient (Syrie, Kurdistan, Irak) et en Afrique (Mali, Nigéria), provoquées par des forces réactionnaires, comme l’Etat Islamique ou Boko Haram, et encouragées par les puissances occidentales — le plus souvent dans un but contre-révolutionnaire — ont achevé de bouleverser complètement le paysage des migrations internationales. Jusqu’à présent, les migrants forcés (demandeurs d’asile et réfugiés politiques) constituaient une minorité dans le cadre des déplacements internationaux des individus, alors que les migrants à la recherche d’un travail en constituaient la plus grande partie. Mais aujourd’hui cette distinction n’a plus de sens. Celui qui fuit son pays – ou un autre pays dans lequel il était déjà immigré, comme c’est le cas pour de nombreux immigrés non Lybiens en provenance de Lybie – le fait pour sauver sa propre vie, mise en danger par des assassins, la guerre et la pauvreté. Cependant, l’absence d’une voie d’entrée « légale », encouragée par les politiques de réduction à zéro des flux migratoires, fait qu’il ne lui reste plus qu’à tenter sa chance par la mer sur des embarcations de fortune.
En conséquence, l’Italie et la Grèce se retrouvent effectivement à devoir supporter la plus grande part de cette pression. Leur emplacement géographique en fait un « pont naturel » vers l’Afrique et la Méditerranée. Ainsi, sur la base des Accords de Dublin, ce sont ces deux pays qui doivent, plus que tout autre pays européen, accueillir les demandeurs d’asile et se prononcer à propos de leur demande de protection internationale. Et malgré tout, il ne s’agit pas d’une pression insoutenable, comme on serait tenté de le croire si l’on devait se baser uniquement sur le discours des médias et les délires paranoïaques de Matteo Salvini [actuel dirigeant de la Ligue du Nord, NDT]. Quelques données : en Italie, les réfugiés à qui l’on a reconnu une protection internationale sont au nombre de 64 milles. En Allemagne ils sont 590 milles ; au Liban, à la frontière avec la Syrie, 1 million 200 mille (un quart de la population totale) ; au Pakistan, aux frontières avec l’Afghanistan, 1 million 600 mille. En ce moment, le gouvernement Renzi cherche à trouver un accord avec les 28 pays de l’Union Européenne, dont la population totale est proche des 500 millions, sur la répartition des 40 mille demandeurs d’asile arrivés cette année en Italie. En 2013, le Pakistan, l’Iran, le Liban, le Kenya, la Turquie, la Jordanie, le Tchad, l’Ethiopie – qui ensemble totalisent l’équivalent d’un cinquième du PIB de l’Union Européenne – ont accueilli près de 6 millions de réfugiés.
Et pourtant, les pays de l’Union Européenne ne trouveront que difficilement un accord. Cette difficulté diplomatique n’a donc pas pour origine une base politique rationnelle, mais repose plus probablement sur la peur qui pousse les gouvernements à poursuivre les positions les plus racistes et xénophobes à l’intérieur de leur propre pays. En France, le président Hollande veut se montrer « plus lepéniste » que Marine Le Pen. Au Danemark, la politique de fermeture totale aux migrants et réfugiés ces dernières semaines n’a pas empêché la défaite récente du gouvernement social-démocrate sortant, et la victoire de l’extrême droite, lors des dernières élections parlementaires. Partout où la cristallisation d’une alternative de gauche aux politiques d’austérité est absente, on voit au contraire la propagande xénophobe s’enraciner avec plus de facilité, celle-ci servant de faux-né idéologique à même d’expliquer le déclin des conditions de vie des populations européennes. Ce phénomène se vérifie aussi en Italie. Il ne se traduit pas pour autant par une mobilisation raciste de masse, mais « seulement » par une croissance des votes pour la Ligue du Nord – une croissance encore limitée malgré tout. Son dirigeant, Matteo Salvini, tente ainsi de créer des peurs et des boucs émissaires en transformant les réfugiés en propagateurs de maladies « exotiques », comme la gale ou la tuberculose. Sur ce sujet, les données récentes de l’Institut Supérieur de la Santé italien sont clairs et indiquent, il est vrai, la recrudescence en Italie de nouveaux foyers de maladies infectieuses qu’on pensait disparues. Cependant, celles-ci réapparaissent à cause de la dégradation des conditions de vie et des coupes dans les services de santé. De toute manière, aucun des migrants ne part d’Afrique gravement malade ; avec toutes les épreuves qu’ils doivent affronter, ils ne pourraient pas survivre. Beaucoup en revanche tombent malades en Italie.
Les réfugiés sont donc loin d’être des « bourreaux » ; les politiques de l’Union Européenne en revanche confirment leur statut de « victimes » de ce système. En effet, ces personnes arrivent en Europe en espérant pouvoir enfin trouver la justice, mais se retrouvent souvent prises dans un nouveau mécanisme d’exploitation. Une fois obtenue la protection internationale en Italie, il est très improbable pour ces réfugiés de pouvoir s’arrêter et vivre dans un pays en pleine crise économique, où les emplois perdus chaque mois se comptent par dizaines de milliers. La législation européenne prévoit pourtant, pour toute personne en possession du statut de protection internationale, qu’il puisse se déplacer à l’intérieur des frontières de l’Union Européenne. Aucun réfugié ne pourra être arrêté à Vintimille s’il a en poche le document de protection internationale. Malheureusement, au droit de libre circulation ne correspond pas la possibilité d’exercer une activité de travail légale dans un Etat différent de celui où la protection internationale a été reconnue. Les réfugiés dans cette situation peuvent par exemple rester un maximum de 30 jours en France, mais ils doivent ensuite retourner en Italie où ils ont eu ce document. Dans la réalité, des dizaines de milliers de réfugiés disposant de la protection internationale, pour pouvoir travailler et survivre, n’ont d’autre solution que de travailler au noir, exploités et sous-payés, à Paris, Londres ou Berlin. Ils retombent ainsi dans la « clandestinité », après voir obtenu la protection internationale en Italie, où ils reviendront chaque fois qu’ils auront besoin de renouveler ces documents.
Le problème qui émerge à Vintimille – comme à Calais, Lampedusa, Ceuta et Melilla, Malte, Kos et Patras, et tous les centres européens de transits des migrants – ne se résume donc pas à un simple manque de solidarité ou d’humanité. Le problème central trouve son origine dans l’Europe capitaliste et ses lois politiques et économiques – un système criminel qu’une révolution peut et doit renverser au plus tôt !
Falce Martello : http://www.marxismo.net/immigrazione/immigrazione/immigrazione/se-si-pensa-che-il-problema-siano-i-francesi-sui-reietti-di-ventimiglia