Propos recueillis par David Nouwou pour « La Nouvelle expression »
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La Nouvelle expression: Pr. Shanda Tonme, bonjour !
Pr. Shanda Tonme : Bonjour
La Nouvelle expression: Dans l’une de vos précédentes sorties, vous aviez affirmé que Hollande quoi que l’on puisse lui reprocher, aura au moins sauvé le Mali et la Centrafrique. Est-ce à dire que vous le considérer comme un pacificateur au sens positif du terme ?
Pr. Shanda Tonme: Effectivement, j’ai été de ceux qui ont salué l’intervention prompte qui a épargné la désintégration du Mali et éviter que les islamistes doté d’un agenda aussi imprécis que dangereux s’emparent de la capitale malienne car ils étaient proches et les forces de sécurité du pays étaient dans un piteux état après le coup d’Etat. Cela dit, il me souvient que j’avais aussitôt émis de très fortes réserves quant à une stabilité à long terme tant que les problèmes de fond à la source du conflit n’étaient pas traités honnêtement et surtout globalement.
La Nouvelle expression: De quels problèmes de fond s’agit-il selon vous ?
Pr. Shanda Tonme: Ecoutez, la suite a bien montré, et les événements de ces derniers jours le confirment, que ni les armes, ni des accords de paix de façade ne ramèneront pas la paix dans ce pays. Vous avez vu que quelques jours seulement après la signature officielle en grandes pompes des accords de Bamako par les groupes indépendantistes, de nouvelles attaques meurtrières ont eu lieu dans le pays. Des villes et villages ont été attaquées et des services administratifs détruits ou incendiés.
La Nouvelle expression: Quels sont donc les problèmes selon vous et que devrait faire ou aurait du faire François Hollande ?
Pr. Shanda Tonme: Nous sommes clairement en présence d’une situation qui met en exergue comme d’ailleurs dans certains autres pays, des populations divisées sur une base régionaliste, culturelle ou religieuse. Croire ainsi que l’on peut fermer les yeux longtemps sur cette réalité et vivre en paix est une terrible erreur. On se trompe soi-même et on cultive inutilement la confusion. Au Mali François aurait du prendre son courage à deux mains pour conseiller l’option fédéraliste. Cela me semble être la seule porte de sortie réellement salutaire. Je vous informe que tout différencie les populations du désert du nord Mali avec les populations du sud. Il faut tirer les conséquences une fois pour toute et créer des gouvernements régionaux. C’est ce que ces groupes ont demandé depuis longtemps. Mais la France ni l’ONU ne semblent rien y comprendre. Je n’ose même plus revenir sur le cas de l’actuel Congo démocratique qui paye les erreurs de 1960. Un si grand pays aurait du embrasser le fédéralisme au moment des secousses régionalistes ruinaient ses aspirations à l’indépendance. Voyez comment ce jeunot de Kinshasa a compris qu’il suffit d’éteindre les pouvoirs régionaux pour se maintenir au sommet de l’Etat. C’est triste. Voyez encore comment chez-nous lorsqu’on parle de décentralisation, c’est pour mieux rendre les préfets et sous-préfets arrogants dans l’arrière-pays. Tous sont conscients qu’il faut libéraliser la gouvernance, la rendre plus démocratique, mieux appropriée par les citoyens, mais les résistances au sommet sont tenaces.
Quand les éthiopiens rédigeaient leur constitution, ils avaient dit exactement ceci : « Nous allons élaborer une constitution tellement ouverte et tellement consensuelle, que celui qui voudra s’en aller, sera libre de le faire, mais il le regrettera amèrement ».
La Nouvelle expression: Mais Pr. Ne voyez-vous pas que céder à ces rebelles serait un précédent dangereux ?
Pr. Shanda Tonme: Oui mais alors, dangereux pour qui sinon pour les pouvoirs autocratiques et totalitaires ? Je ne sais pas si vous avez une idée de l’étendue du territoire malien ? Les gens veulent tout régenter depuis Bamako, en imposant à des populations dont ils ignorent tout des modes de vie et de la culture. Ça ne marchera jamais. Le monde est voué à l’éclatement des grands ensembles et à des gouvernances locales pragmatiques, plus proches des citoyens et mieux adaptées à leurs quotidiens et aspirations.
La Nouvelle expression: Oui mais que dites-vous de l’expérience malheureuse des deux Soudans ?
Pr. Shanda Tonme: Ne vous attardez pas sur une exception décevante pour remettre en cause le principe de l’option fédéraliste et de la gouvernance selon la volonté des populations spécifiquement et caractériellement différents. Le fédéralisme va s’imposer partout avec le temps, et les pouvoirs qui voudront résister, seront noyés dans des guerres civiles interminables à défaut d’être balayés sans ménagement.
La Nouvelle expression: A vous entendre, les grandes puissances nous trompent ou alors elles ne comprennent pas vraiment la situation ?
Pr. Shanda Tonme: Il y a les deux. Mais la réalité c’est que la persistance des régimes autocratiques et ultra centralisés, est perçu à tort ou à raison, comme un facteur de stabilité. En fait, c’est la peur de devoir négocier avec plusieurs pouvoirs et d’être confrontés à de multiples paramètres fluctuants, mobiles et inconnus, qui favorisent le conservatisme des puissances tutélaires et maîtres du monde. Les peuples africains particulièrement sont ainsi victimes d’articulations et de calculs géopolitiques et géostratégiques sans aucun rapport avec leurs attentes, et contraires à leur quête d’un destin meilleur.
La Nouvelle expression: Une opinion répandue voudrait tout de même que sans la France et le courage de François Hollande, la Centrafrique aurait été désintégrée. Est-ce votre avis ?
Pr. Shanda Tonme: C’est absolument vrai que Paris a joué un rôle de sapeur-pompier indéniable dans ce pays qui demeure un champ de ruine. Logiquement le pays était dans un trouble dont personne ne voyait la sortie de façon aisée. Mais qui voulez-vous voir sur ce théâtre comme pompier sinon Paris. Je crois honnêtement que n’importe quel autre président français aurait fait exactement pareil. Ne perdez jamais de vue que sur l’Afrique, la classe politique française, d’un régime à un autre demeure unanime, soudée et cohérente dans la vision, le statut stratégique et l’importance économique, certes à quelques rares variantes près.
La Nouvelle expression: Vous confirmez que la Françafrique n’est pas morte ?
Pr. Shanda Tonme: Je suis franchement embêté par cette question. Je ne vois pas pourquoi quelques analystes croient au père noël en plein mois de juin. La politique étrangère n’est pas une science de rêve et de roman, et la diplomatie qui en exprime le déploiement et la mise en œuvre pratique ne saurait être un outil de trafic changeant au gré du vent, des sourires et des humeurs. Dans l’expression des relations entre les Etats, qu’ils soient considérés au sens bilatéral, sous régional, régional ou universel, il y a à la base des paramètres stables, des atouts et des éléments palpables, matériels qui forment l’ossature de la planification et organisent les orientations de la réflexion puis de l’action. Ce n’est pas du jour au lendemain que la façon dont la France approche l’Afrique changera, particulièrement avec ses anciennes colonies. Si la Francafrique c’est le déploiement diplomatique du champ des intérêts entre ces entités, alors, rassurez-vous que tout est en place et bien en place : la philosophie ; les paramètres ; les éléments physiques et matériels ; les instruments d’animation et les outils conceptuels. Nous parlons dons d’une somme de références immuables, inaltérables et stables. Hollande est un vent qui passe et bercera juste le tableau qui se présente à lui et s’impose à lui.
Entretien réalisé le 02 Juillet 2015
Posted on juil 2, 2015 @ 17:48
Allain Jules