La connexion libyenne se confirme dans la tuerie commise vendredi 26 juin dans une station balnéaire d’El-Kantaoui près de Sousse, sur le littoral de l’Est tunisien, qui a fait 38 morts étrangers –, principalement britanniques. Le djihadiste tunisien auteur du carnage, Seifeddine Rezgui, avait subi une formation militaire dans un camp d’entraînement en Libye, a révélé mardi 30 juin le secrétaire d’Etat tunisien chargé de la sûreté nationale, Rafik Chelly.
L’information confirme le défi terroriste posé à la Tunisie par le contingent de ses propres ressortissants présents dans la Libye voisine au sein de groupes extrémistes. Les auteurs de la tuerie du Bardo le 18 mars (22 morts dont 21 étrangers), Sabeur Khachnaoui et Yassine Abidi, avaient eux aussi été formés en Libye. Le mode opératoire des deux assauts, revendiqués par l’Etat islamique (EI), est identique : attaque de sites touristiques ciblant de manière sélective des visiteurs étrangers tout en épargnant les civils tunisiens.
Dilemme stratégique
Il s’agirait donc bel et bien de la même filière. Le secrétaire d’Etat Rafik Chelly a cité la localité de Sabratha, située dans l’Ouest libyen à une centaine de kilomètres de la frontière tunisienne, comme étant le siège du camp d’entraînement. Il n’a pas exclu que Seifeddine Rezgui et les deux auteurs de l’attentat du Bardo s’y soient trouvés au même moment, c’est-à-dire en décembre 2014. Ce camp de Tunisiens, historiquement affilié au groupe Ansar Al-Charia, a longtemps été dirigé par Ahmed Rouissi, un chef djihadiste tunisien lié aux assassinats de personnalités de gauche tunisiennes Chokri Belaïd en février 2013 et Mohamed Brahmi en juillet de la même année. Ahmed Rouissi a ensuite fait allégeance à l’Etat islamique au moment de la formation de sa branche libyenne fin 2014, à partir notamment de noyaux d’Ansar Al-Charia. Il a été tué en mars à Syrte, fief de l’EI sur le littoral central libyen, lors de combats avec une brigade de la ville de Misrata, située plus à l’ouest.
La confirmation officielle de l’implication de cette filière de Tunisiens de Libye jette une lumière crue sur le dilemme stratégique auquel est confronté Tunis. La diplomatie tunisienne a peu de prise sur ce littoral occidental de la Libye, plus ou moins contrôlé par la coalition Aube de la Libye siégeant à Tripoli et avec laquelle Tunis n’a pas de liens formels. Le gouvernement tunisien ne reconnaît officiellement que le camp rival de Tobrouk-Baida (Est), même s’il a cherché à se rapprocher du camp de Tripoli qui contrôle une large partie de la frontière commune.
Tensions
Les relations entre Tripoli et Tunis ont été ces dernières semaines émaillées de tensions à la suite d’une prise d’otage perpétrée dans les locaux du consulat tunisien par une milice liée à Aube de la Libye. Il s’y ajoute la difficulté d’opérer contre les groupes extrémistes opérant à Sabratha. « Ces groupes ne s’entraînent pas dans un lieu fixe, explique un Tunisien de Ben Gardane, ville tunisienne de la frontière, chargé de médiations en Libye. Ils se déplacent en permanence afin d’éviter le risque de raids aériens. C’est une stratégie chez eux. Un jour, ils s’entraîneront sur une plage à l’Est de Sabratha. Un autre jour, on les verra plutôt à l’Ouest sur un relief accidenté. »
Selon cet animateur d’une association impliquée dans l’assistance aux Tunisiens en difficulté en Libye, il y aurait environ « une centaine » de jeunes Tunisiens opérant dans les environs de Sabratha. Les relations avec la population locale, précise-t-il, sont souvent heurtées : « Les gens sont souvent énervés par ces extrémistes venant de l’étranger. »
Lire le récit : La dérive du tueur de Sousse dans le djihadisme